8 Avril 2015
L'Algérie est une jeune nation en pleine mutation. Ce n'est plus vraiment un pays du tiers-monde, mais réellement une société de consommation parmi les plus consumméristes d'Afrique. L'Algérie de nos enfants n'a plus grand chose de semblable à celle de nos parents; et cela souvent pour le pire, comme parfois heureusement pour le meilleur.
On peut, par exemple, déplorer à quel point nos campagnes se vident à la même mesure que des cités dortoirs s'érigent un peu n'importe où sur notre territoire, se gorgent de nos ruraux, exilés de leur milieu naturel,le douar. Dans des nouvelles villes, construites le plus souvent sur les meilleures terres arables à la disposition de l'agriculture algérienne. Elle est déjà pénalisée, pourtant , par une surface agricole utile largement insuffisante.
Ce n'est plus à présent la terreur qui fait fuir de leurs douars natals nos fellah , mais une misére sociale ainsi qu'un manque cuisant d'infrastructures leur donnant les moyens de vivre hors des villes sans être privés du confort le plus légitime: proximité des transports, des écoles, des hopitaux, parfois même d'un accès facile et réguilier à l'eau courante, le gaz de ville ou bien même l'électricité. Les perspectives de carrières y sont aussi anecdotiques que les mesures du projet national d'aménagement du territoire appliquées pour désenclaver les populations rurales.
Les campagnes se vident et, dans leur sillage, ce sont tant de terroirs qui s'érodent à petit feu; disparition de leurs semences, également, une myriades de produits locaux, de ce fait...
Il faut dire que ce phénomène n'est pas seulement endémique à l'Algérie, ni même propre à l'espèce humaine, d'ailleurs. Puisque les abeilles, elles aussi, et un peu partout à travers le monde, s'évadent de la campagne. Surtout là où l'agriculture pétrochimique industrielle a colonisé leur milieu.
Oui, les abeilles se mettent à préférer les villes dans les pays où l'ont a corrompu la nature avec des centaines de milliers de molécules chimiques; sachant qu'un seul pour cent d'un pesticide atteint généralement sa cible. Que le reste touchera son environnement proche ou plus lointain. Elles préfèrent les villes, parait-il, qui sont,comble du parodoxe, presque moins polluées que ces campagnes biochimisées. Elles ressemblent trop souvent à des déserts monochromes , vastes néants pleins de monocultures en si peu de genres; qui n'ont plus de végétale que l'apparence.
L'assiette de l'Algérien s'est internationalisée. Fini le temps des vaches maigres, la junk-bouffe nationale est saturée de graisse, de sel et de sucre. Tandis que dans la majorité des pays dévellopés, on veille de plus en plus à manger sain et de préférence " local". L'Algérie, elle, importe massivement; se nourrit à l'excés de leurs erreurs, comme pour ronger un os sans chercher à le briser, histoire d'en extraire la substantifique moelle.
D'un autre côté, en parallèle à ces aspirations de "confort" urbain de la part des ruraux, et comme c'est une tendance naturelle au sein d'une société de consommation de masse, un nombre croissant de citadins algériens se rêvent au contraire une vie plus bucolique. Un environnement beaucoup moins bétonné, une alimentation plus authentique; bref, presque un retour à la terre.
Car, eux aussi ne sont que trop peu heureux de vivre dans un milieu urbain algérien si pauvre en verdure, en paysages apaisants, en air pur et atomsphere de calme absolu. L'anarchie provoquée par les nuées "d'arrivistes" qui ont deferlé dans les villes où ils sont nés et vivent depuis plusieurs générations, n'a fait qu'accentuer les désagréments qu'ils subissent au quotidien. Tout ce qui les entoure n'est plus que saleté, cohue incéssante, tourbillons de poussière et de vapeurs polluées. De là à se laisser tenter par un éxode urbain vers la vie en pleine nature, pour beaucoup, il n'y plus que quelques pas à franchir.
Pour exemple, dans la périphérie d'Alger, quelque part dans le domaine agricole de Bouchaoui, j'ai rencontré quelques uns et unes d'entre eux . Des "gens des villes" qui ont pris le parti d'aller au bout de ce joli rêve de "Petit Prince" et de se lancer ainsi dans des actions concrètes. Dans un champ, tandis qu'ils s'affairaient à désherber de leurs propres mains les légumes plantés ensemble. Un rituel, comme tant d'autres tâches de rigueur dans une plantation. Un rendez-vous hebdomadaire où l'on cultive avec son voisin, son ami ou bien une nouvelle connaissance. Pas seulement des légumes, mais un art de vivre, surtout...
Les "Torbistes" avec qui j'ai pu discuter, ce jour-là, m'ont beaucoup appris sur l'Algérie, son histoire, ses réalités présentes, des pistes possibles quant à son avenir. Ce ne sont pas des agriculteurs confirmés, certes. parfois ni même des jardinniers aguérris. Mais la bonne volonté ainsi que l'enthousiasme qu'ils affichent dans cette longue et progressive aventure a déjà porté ses fruits, puisque les légumes sont bien là, dans la terre qu'ils foulent de leurs bottes pour l'apprivoiser et non la conquérir.
"Je veux être sûre par moi-même qu'il est possible de se nourrir avec des légumes et des fruits cultivés sans le moindre apport chimique..." me confie une des membres, tout en travaillant. La doxa fondatrice de ce collectif est celle de cultiver sans polluer et, si possible, de faire autant de bien à la terre qu'elle n'est capable d'être généreuse avec ses bienfaiteurs. "Bio"? "produits naturels"? Peu importe l'appellation, moi je dirais tout simplement qu'ils produisent de vrais légumes et que tous ceux qui sont cultivés chimiquement ne sauraient en être. On ne devrait pas parler de légumes "bios", mais plutôt de produits chimiques quand ils ne répondent pas ne serait-ce qu'au béaba de cette norme.
C'est une ambiance à la fois très studieuse et conviviale qui se dégage de cette modeste assemblée de cultivateurs du samedi. La plupart viennent en couple, en famille, avec leurs enfants, même tout petit comme l'adorable Yanis dont la mère est une Phillipine qui a suivi son époux Algérien, lui même venu de France pour travailler en Algérie. Les équipes changent en fonction des disponibilités de chacun. Ce jour-là, j'étais en présence des plus réguliers...
A ce propos, Justine, une des plus dynamiques et au fait d'agriculture parmi le groupe, m'aura appris, en l'observant, qu'il suffit parfois de mettre en contact les pieds nus d'un enfant en bas âge pour que cesse sa crise de larmes. L'effet sur Yanis, un peu impatient à retrouver les bras de sa mère si occupée, fut instantané. C'est une très belle et touchante scène que je n'oublirais jamais...
Karim Rahal, coordinateur et instigateur de "Torba", leur a proposé cet endroit, pour tenter l'expérience de vivre l'Algérie à contre courant de l'état de mauvais d'esprit qui sévit parmi la société algérienne actuelle; comme partout ailleurs où l'on consomme du rêve plus qu'on ne produit de la réalité.
Ce projet d'AMAP, lui tenait à coeur depuis bien avant notre première rencontre en 2013; lors d'un séminaire de l'INRAA dédié à la valorisation des produits agricoles algériens. Depuis, il n'a cessé de tout faire pour qu'il se concrétise et, ses ambitions vont bien au délà de relever ce seul défi. Autant qu'elles ne reflètent pas seulement ses propres aspirations. C'est grâce à des rencontres, des mises en commun, que tout cela est en train de se faire, encadré, certes, par le sérieux et la détermination de Karim.
Bien entendu, loin d'être rodé, le système Torba n'en prend pas moins pour autant ses marques. Beaucoup de volets sont à éclaircir, de process à réevaluer, voire à changer. Il y a un manque de moyens et surtout de main d'oeuvre au quotidien. Tout n'est pas si rose, ni vert dans cette aventure, mais elle a le mérite d'être sincère et engagée.
De mon regard extérieur, mais aussi intime, puisque je suis ce projet depuis sa fondation, ce qui compte dans cette histoire, c'est d'avoir déjà posé une première pierre. Le reste suivra, se perfectionnera au fil de l'expérience; même des échecs pour guise de meilleures leçons.
Faute d'avoir pu trouver des ouvriers agricoles sérieux et réguliers, ils n'ont pas hésité à mettre la main à la terre pour que tout ce qui a été entrepris ne soit pas vain, à cause d'un tel "contretemps" pourtant très pénalisant.
D'autant que les gens de Torba apprennent vite et bien, il me semble, puisque sur leur terrain on peut déjà deviner salades, haricots, carottes, fèves et navets cultivés sans aucun apport chimique. Torba produit aussi des oeufs et de la vollaille avec la même approche que pour les fruits et légumes: que du naturel... Les premiers paniers sont remplis, les premières satisfactions de manger le fruit de son labeur également...
"Cultivons la santé", ce slogan que j'ai un jour trouvé pour "Torba", est assez parlant quant aux objectifs ainsi que la nature de ce collectif. Culture et santé ne sont-elles pas les deux mamelles du bien-vivre ensemble? d'incontournables indices d'une société épanouie?
La santé se cultive et se cultiver est bon pour la santé, ne serait-ce que pour celle de l'esprit. Sensibilisation, formations, action de terrain, Torba est un jeune collectif qui voit plus loin qu'à l'échelle d'une génération. Voilà ce qui importe encore plus et, surtout, pourquoi je vous encourage à les réjoindre au plus vite pour que cette petite "révolution" prenne l'ampleur qu'elle mérite en Algérie.
L'Algérie change, pour le pire certes, mais, aussi, rappelons-le encore, pour le meilleur.Torba, pour moi, sème des idées et se donne les moyens de les récolter sur le terrain. C'est aussi simple et louable que cela...
Pour en savoir plus, consultez le site web de Torba