ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT EN ALGERIE (Une revue de web de plus de 4500 articles )
23 Mai 2015
En Algérie, beaucoup trop de gens confondent la protection de l’environnement avec la conservation de la nature. Même si ce que j’aimerais vous donner envie de protéger dans cet article peut être qualifié aussi comme telle.
Mais cette fois-ci, avec un sens plus culturel que celui seulement d’une identité biologique, géographique et même climatique. Elle est souvent tout aussi endémique, pourtant. C’est de la protection de la nature de notre peuple, et plus particulièrement de l’histoire de nos ancêtres dont je vais vous parler à présent, comme d’une écologie intime à conserver à tous prix, même quand les bénéfices à court terme paraissent des plus mirobolants.
Notre environnement désigne certes la nature ou le milieu qui nous entoure à la mesure d’un cadre de vie. Mais ce terme signifie également tout ce qui influence notre société. Une empreinte passée, présente et même future impossible à négliger. Pire, l’ignorer, c’est risquer fatalement de la voir se dénaturer. Elle tend ainsi à perdre en profondeur, car déconnectée de sa matrice identitaire.
L’environnement d’un pays est une notion très vaste que l’on ne peut dédouaner d’une corrélation intime avec l’Histoire du peuple qui l’a fondé. Au sein du territoire qui l’a porté, comme à la fois un ventre, puis un berceau et enfin un foyer. De la même manière, cette terre-mère peut également devenir un jour son propre tombeau, dès lors qu’il aura égaré beaucoup trop de cette nature, sur le chemin d’un développement seulement économique. Ne dit-on pas que « celui qui ne sait pas d’où il vient ne saura jamais vraiment où il va » ? On sait aussi bien que le déclin de nombre de prestigieuses civilisations fut la plupart du temps la résultante d’une crise environnementale insurmontable.
Tout crime contre la nature algérienne, matérielle ou immatérielle, est donc un délit impardonnable vis-à-vis de notre environnement. Nous devons assimiler cette réalité, autant que nos anciens geôliers, jadis si prompts à défigurer nos paysages et fragmenter notre identité, ont fait de tels forfaits les outils infaillibles d’une politique fondamentale. La guerre à l’environnement El Djazaïre fut la base même de leur colonisation de l’Algérie.
Comment admettre alors, de nos jours, que de tels genres de massacres sont peut-être autant légions que les hordes ordonnées de romains qui envahirent un jour notre pays? Souvent, dans ces endroits ignorés du grand public, on assassine à petit feu un pan de notre nature aux multiples facettes. Et cela, aussi régulièrement, dans la plus grande et cruelle des indifférences. A part les quelques individus qui persistent heureusement à lutter contre le viol plus ou moins légal de ces lieux dont ils sont si légitimement fiers et attachés. Comme des sentinelles en sous nombre le feraient pour un trésor sans prix. Avec la vaillance et la résistance des gens qui n’ont plus d’espoirs à nourrir, mais surtout des batailles à gagner.
Pour triste exemple, ce qui se passe dans la daïra d’Aïn Fakroun, wilaya d’Oum El Bouaghi. Au lieudit d’Oussalit, à une dizaine de kilomètres de l’endroit où est né le roi numide Massinissa. Deux sites archéologiques sont en voie d’extinction. Leur valeur historique et identitaire est pourtant loin d’être anecdotique pour tous les Algériens, qu’ils se considèrent Amazigh ou non. Ils témoignent d’un génie commun à bien des générations d’êtres humains qui ont habité notre terre, autant que de la symbiose passée entre leur nature humaine et ce milieu.
Cependant, il semblerait qu’à présent rares sont ceux qui se préoccupent de les savoir menacés de disparaître tout simplement broyés en de vulgaires gravats. Un réseau de carrières, une fois n’est pas coutume en Algérie, est en train de coloniser cette partie de la « Vallée des Rois » numides, qui fut également appelée en cet endroit « Bou Ouchen » ; soit « là où vivaient les loups » en Tamazigh.
Il faut croire que si les rangs de ces redoutables et implacables prédateurs canidés ont été largement décimés depuis longtemps, l’influence prévaricatrice de leurs avatars humains a subi un sort totalement contraire. Prolifération de loups à la morsure non plus d’ivoire, mais d’acier trempé, dont les blessures s’incrustent jusque dans la roche du Djebel Loussali qui subit également les impacts quotidiens de nombreuses explosions à la dynamite …
Le premier vestige que je découvre est de la période romaine . Mais ce n’est pas le plus ancien s’étalant dans les environs ; et de loin. C’est un double pressoir ainsi qu’un moulin datant de la présence de cette civilisation dans notre pays. Une datation contestable pour son plus fervent défenseur, qui est également mon guide, ainsi que mon hôte dans la région. Il persiste une polémique, d'ailleurs à ce propos, car selon les autorités, c'est un site romain. Pour lui, c'est un site berbère. A vrai dire, pour moi, cela n'a pas vraiment d'importance, car la plupart des ouvrages datant de cette période ont été produits par des Amazigh romanisés, et non des Romains. Ce sont incontestablement nos ancêtres, en tant que peuple habitant l'Algérie...
Cet homme a donné beaucoup de sa personne, investi de ses modestes finances, ainsi que de son temps. Afin de réunir toutes les conditions d’une étude archéologique digne de ce nom pour ce site, dont il est le valeureux gardien bénévole. De ce qu’il m’en a raconté, il a invité de nombreux chercheurs et archéologues pour aller au bout de cette louable ambition. Il ne fut pas le seul, heureusement, mais toujours le plus assidu dans cette noble entreprise de conservation.
Il fallait mettre en valeur ce patrimoine précieux, autant pour les Chaouis de cette région, que pour tous les Amazigh du Grand Maghreb, ainsi que pour l’ensemble des Algériens à travers le monde. Les autorités et la population locales n’ont jamais vraiment parus sensibles ni concernés par ce terrible drame ; ni par le défi de préserver une telle mémoire, d’ailleurs. Il n’hésitera pas non plus, donc, à s’engager dans une véritable campagne médiatique. Afin de sensibiliser l’opinion nationale et internationale sur la terrible perte que représenterait la destruction de ce double pressoir aux dimensions inédites et donc rare. Ainsi, sur les vingt-quatre sites d’exploitations prévus à l’origine, il en aura fait suspendre tout de même plus d’une dizaine. Mais pour combien de temps encore ?
À quelques dizaines de mètres de là, le sinistre balai des marteaux piqueurs n’a toujours pas cessé. Ni d’ailleurs le bal des vampires, vas et viens quotidiens de camions, chargés des miettes d’un passé grandiose. Encore moins la danse tourbillonnante des tonnes particules de poussières qui ont habillé le paysage d’une couverture maléfique pour la santé humaine. Autant que pour celle d’une nature sauvage dont la biodiversité ne se décèle pas du premier regard. Car ici la vie se fait sobre, discrète, et souvent nocturne, en ce qui concerne la faune locale…
Pas si loin de là, à vol de rapace du moins, un autre forfait encore plus grave est en préparation. Cette fois-ci, est en péril un champ de dolmens (idhilimène en berbère) et de tumulus mortuaires. Un patrimoine qui est sous le coup de la même épée de Damoclès. Presque 200 hectares parsemés de ces ingénieux amas de pierres dont la construction est en elle-même un miracle, sinon une énigme.
La preuve incontestable de l’existence d’une civilisation en Algérie, certes préhistorique. Un passé dont notre terre est la source, non l’héritière. Voilà, il me semble, le message jusque-là éternel porté par cette œuvre de paysage gigantesque, devenue à présent terre agricole et une zone pastorale.
Je pèse mes mots en parlant de civilisation, car tous les signes d’une véritable société y sont apparents. Dans cet espace funéraire et rituel mégalithique, la position de chaque dolmen correspond à celle d’une étoile dans le ciel. Leur taille, ainsi que leur conception, répondaient à des critères bien établis, selon le statut social des morts auxquels ils rendent encore hommage plusieurs milliers d’années après. Certains pouvaient atteindre dix mètres ou plus ! On peut deviner que l'endroit a été fortifié, certaines ruines en témoignent incontestablement. Une culture, une science, une technologie, ainsi qu’une hiérarchie sociale...Il est bien question d'une civilisation; aussi primitive que l'on voudrait la considérer.
Là encore, Hakim, alias « Gaya », a sollicité l’aide de quelques experts afin de tenter de lire sur la pierre de ces trésors archéologiques tout le génie embryonnaire d’une population qui vivait jadis à l’ombre des tombeaux de leurs plus illustres ancêtres. Ceux-là même qui sont à présent les nôtres. Leur mémoire est maintenant sous la coupe de desseins purement mercantiles. Presque machiavéliquement hostiles à un tel souvenir commun. Celui d’une réalité historique que beaucoup pourraient considérer comme une empreinte fondatrice pour la jeune nation enfantée par un peuple plusieurs fois millénaire. Une république moderne, qui a vu le jour 50 ans après avoir subi 132 années de nuit coloniale. L’aboutissement logique d’une histoire bien plus antécédente à l’intrusion française en pays d’El Djazaïre. Bien avant cette appellation pour notre terre…même…
Déjà, dans la région, un autre site berbéro-romain a été entièrement enseveli sous la construction d’une cité dortoir sans âme ni charme endémique, à l’image de toutes celles qui se bâtissent depuis quelques années en Algérie. Le plus souvent, en total dénie des prescriptions du plan national d’aménagement du territoire ; particulièrement lorsqu’il faudra choisir leur emplacement !
Après tant d’années de luttes passées pour protéger leur environnement de toute invasion étrangère, et donc pas seulement l’intégrité de leur territoire, les Algériens, de nos jours, sont-ils devenus victimes d’une passivité maladive face à une dégradation systémique et endémique de leur nature? Comment interpréter le fait qu’aucun de ces sites n’a jamais été vraiment classé ? Si peu protégé de surcroît, ils le furent et le sont toujours. Malgré tout ce que la loi algérienne a statué dans un cas aussi précis que malheureusement récurent à travers toute l’Algérie.
Le combat d’une poignée d’hommes conscients et intègres pourrait-il venir à bout de tout un engrenage parfaitement bien huilé ? Il n’est pas aussi pessimiste que cela d’en douter…
C’est surtout de la prise de conscience de toute une société dont des vestiges historiques et préhistoriques tels que ceux d’Oussalit ont le plus besoin. Celle d’une Algérie qui a tendance à oublier le fond, se limite d’aborder l’essentiel avec beaucoup de pingrerie et de superficialité. Tandis qu’elle n’a de cesse de célébrer le futile, toujours à très grand train…
Devons-nous laisser tout nos sites archéologiques se tranformer en champ de mines et de carrières ? Le cas d'Ifker est loin d'ête isolé. La question ne devrait même pas se poser tant la réponse est évidente. Encore plus pour un vrai patriote naturellement jaloux de tous les trésors historiques de son pays !
Karim Tedjani
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