17 Juillet 2016
Un retour aux sources oubliées de la vraie modernité...
Dans le parcours de tout voyageur, aussi modeste soit-il, parmi tous ceux qu’il aura eu un jour la chance de visiter, il y aura toujours quelques rares endroits qui exerceront sur lui une attraction toute particulière. Nul besoin qu’ils se situent dans le désert pour qu’il s’y sente comme baigné dans l’ombre ressourçante d’une oasis imaginaire. Il ne s’agit pas non plus d’être un grand explorateur où d’avoir parcouru les quatre coins du Monde pour éprouver cette affection géographique. Même ceux qui ne voyagent que dans leur tête ou avec leurs yeux, ont ce genre d'oasis idéale dans leur coeur...
C’est le plus souvent un petit coin de vie, anonyme, que l’on reconnait progressivement en le regardant chaque jour un peu plus avec les yeux du cœur ; où le cours du temps défile à la vitesse de l’herbe qui pousse, des feuilles qui tombent sur le sol, des légumes et des fruits que l’on laisse grandir et mûrir à leur rythme naturel. Dans un monde qui glorifie la vitesse et l’instantanéité, ce sont des havres de paix où l’on peut se retrouver, même avec soi-même, et apprécier les plus belles vertus ainsi que la dynamique de la lenteur maitrisée.
Ce sont des haltes, des escales que l’on voudra toujours effectuer à un moment ou un autre de sa vie ; pour méditer, faire le point. On ne lutte pas contre le désert, on tente de l’apprivoiser et de l’inviter à rester à sa place, parfois on s'en préserve un moment pour s'y plonger à nouveau avec une nouvelle vitalité. Quelle valeurs auraient les vertes prairies si le désert n’existait pas non plus? Pour les rendre encore plus belles et précieuses à nos yeux;;;Et si c'était cela être "moderne" en 2016? réapprendre à prendre son temps...non pas pour ralentir, mais pour avancer encore plus sûrement...
Ce sont rarement des destinations où l’on ne s’est pas arrêté pour s'attabler au moins plus d’une fois ; autour d’un savoureux repas, d’un rafraîchissement, d’un bon thé ou d’un café agrémentés de délicieux biscuits ; le tout accompagnés de rires et de paroles bienveillantes. Leur côté si particulier prend le plus souvent sa source dans une rencontre humaine. Des gens simples, humbles, dont l’allure et les manières, jusque dans la sonorité de leur langage, ne jurent pas avec la nature des paysages qu’ils habitent car ils s’en sont imprégnés.
Souvent, pour que le charme s’opère vraiment , on y passera la nuit, voire quelques jours d’escales imprévues. Car les amours les plus durables sont souvent des coups de foudre qui ont pris leur temps pour éclore. De plus, il me semble que l’on ne peut connaitre vraiment la vraie nature d’un lieu sans s’y être attardé pour y passer la nuit ; ne serait-ce que pour mettre à jour le mystère de ses clairs de lunes. De la même manière que c’est particulièrement à celui de l’aube, à l’instant de son éveil quotidien, que se révèlent la pure beauté d’une femme , à l'instar de celle du Soleil.
Il est, de ce fait, tout à fait possible de dire, sans trop exagérer, qu’un lien affectif se développe alors naturellement entre ces lieux et ce visiteur, qui ont passé la nuit ensemble. Ils lui étaient jadis totalement étrangers ; autant qu’à présent paraissent depuis toujours si familiers. Un attachement profond, durable et surtout sincère prend ainsi racine dans cette terre devenue dès lors espace intime partagé. Pour celui ou celle qui est venu d’ailleurs, à la base, juste pour passer, ce sont des endroits où l’on sent d’instinct qu’il y fait plus bon y revenir, de temps en temps, plutôt que d’y vivre au quotidien.
C’est justement ce contraste entre leur monde et le nôtre qui rend ces endroits et cette relation dès plus charmante et pédagogique à vivre; pour quiconque désire ancrer plus profond ou bien étendre plus loin , ses racines , dans la terre. On se sent attiré par de tels lieux si peu communs, comme s’ils s’étaient gravés dans une partie oubliée de notre cerveau. Nous sommes peut-être guidés vers leur rencontre, tel un champ magnétique fait vibrer vers telle ou telle direction la boussole interne d’un oiseau migrateur.
D’autant plus que pour nous, les Algériens, peuple de voyageurs dans l’âme, il me semble que voyager n’a jamais été seulement une affaire de simple tourisme. Se délecter du spectacle de paysages exotiques ou bien de monuments incontournables à visiter, cela ne suffira pas pour qu’ils considèrent votre voyage avec toute l’admiration et le respect qu’ils se doivent aux « gens de grands chemins ». La panacée algérienne d’un séjour loin de chez soi, commence forcement dès lors qu’on s’y sera fait de vrais amis. Il faut avoir vécu le quotidien des locaux, rencontré les gens et les endroits les plus dignes d’intérêt de la région. S’y sentir un peu comme chez soi...
De même, quand un foyer algérien vous accueille pour séjourner sous leur toit, peu importe la durée de votre séjour parmi eux ; soyez assurés que leur chef de famille a voulu ainsi vous témoigner respect et confiance ; et donc vous signifier pudiquement que vous êtes digne d’une hospitalité plus intime, qui ne s’offre qu’aux « gens de bonne famille », aux amis, ou aux cousins. On y devient selon les propres invitations des propriétaires de ces lieux un « moul el dar », un membre à part entière de la famille, et donc un habitant des lieux, même si cela ne durera que le temps de votre séjour parmi eux et qu’il y a quelques règles de bienséance à ne pas ignorer pour rester digne de ce statut si particulier parmi les invités de la Maison.
Ma première oasis, en Algérie, enfant, ce fut la région de Guerbes Sanhadja, à Skikda. Tandis que mon douar familial était encore pour moi l’endroit le plus beau et le plus authentique au monde...Depuis, j’ai visité pas moins de trente et une wilayas de mon pays, et j’ai pu découvrir ainsi bien d’autres splendeurs de la nature algérienne. Guerbes, toujours, m’a paru non la plus belle région d’Algérie, mais une des plus magnifiquement particulière, différente, unique en son genre.
Il n’y a, à vrai dire, que la ferme de 3ami Rachid, à Bouinane dans laquelle j’ai vraiment retrouvé ce que j’aimais vivre à Guerbes et qui est en train de s’éteindre malheureusement parce que des hommes de la trempe de Rachid Boutebal n’y résident plus. Depuis que la génération de mon grand oncle a commencé à s’éteindre, dans l’espace, puisqu’ils sont morts ; mais également, et cela me parait encore plus triste, dans le temps; puisque nous avons tendance à ne plus nous rappeler de leurs enseignements.
Cette exploitation agricole et arboricole familiale, qui a renoué depuis plus d’un an avec une culture presque sans chimie, porte en elle quelque chose qui n’aurait pu naitre en Algérie qu’ici même et à si peu d’autres endroits. Ce dont je parle, le grand petit plus qui fait la valeur ajouté du douar de 3ami Rachid, il aura fallu plusieurs bonnes volontés et compétences pour qu’il prenne forme dans ces lieux. Ce n’est pas le fruit seul du hasard ; il aura fallu qu’il soit heureux et que certaines personnes soient inspirées pour en arriver là...à ce moment précis où je reprends la route vers chez moi avec l’impression d’avoir retrouvé ici beaucoup de cette Algérie que je traque un peu partout, comme un trésor humain, aux quatre coins de mon pays.
J’ai déjà écrits plusieurs articles sur cet endroit sûrement unique dans son genre en Algérie ; aussi n’ai-je pas voulu me répéter en vantant pour la énième fois tout le mérite de l’expérience agronomique, écologique et humaine qui se déroule dans cette oasis en plein cœur de la nature Blidiénne. Où se développe une belle façon d’être Algériens, tandis que dans la plus grande partie de nos villes, et même villages, plus grand monde ne semble croire vraiment aux bénéfices incommensurables pour l’environnement de pratiquer les bonnes manières et le civisme comme une seconde nature.
Aussi, j’ai préféré partager avec vous plutôt des impressions, ce que m’ont inspirés cette première nuit passée chez Rachid ; le premier matin ; les premières ballades solitaires sur ses terres ; la sensation d’avoir revécu mon enfance avec une touche nouvelle, un ingrédient qui manquait : une vraie intelligence humaine, la sagesse de l’expérience du terrain, les paroles sobres qui en disent pourtant plus qu’il n’en faut pour toucher des lèvres la vérité...
Je voudrais, après avoir laissé libre court à un certain lyrisme, encore plus, me contenter à présent de finir en quelques mots ce que j’ai appris de cette plus longue pause à la ferme pédagogique de Bouinane, qui est aussi le fief de l’AMAP de Torba, ainsi qu’un laboratoire de développement durable pour le parc national de Chréa.
J’aimerais tout simplement vous rapporter ce que 3ami Rachid m’a répondu quand je lui parlais, comme beaucoup de gens, de créer un site éco touristique dans sa ferme. Il me répondit avec beaucoup de simplicité et de sincérité. Malgré le succès croissant de sa ferme, les visites officielles et les groupes qui arrivent ici même par car, pour découvrir les lieux ainsi que la formidable aventure qu’ils hébergent sur leur sol...
« Je veux que les gens qui viennent séjourner ici ne le fassent pas juste pour venir se conter fleurette ou bien importer leur façon de vivre chez moi. Moi j’aime les gens qui veulent apprendre et m’apprendre également ; encore plus, celles et ceux qui ont envie de travailler la terre avec intelligence, cœur et responsabilité. Je n’imagine pas tenir ici un jour un hôtel à la campagne pour des gens venus seulement se prélasser et vivre la nature comme on va au zoo... »
Ce n’était certes pas ses mots, exactement, j’en ai profité pour y glisser quelques formulations personnelles. J’ai tâché cependant de rester fidèle au fond de sa pensée.
Si je n’avais pas tout de suite accepté son point de vue, malgré toute la gentillesse qu’il mit à me l’exposer, avec un large sourire, je me suis rendu compte, avec le recul, qu’il avait tout à fait raison :
On devrait parler non d’éco-tourisme, à Bouinane, et je pense dans la plupart des sites de la même nature en Algérie ; mais « d’école-tourisme », de lieux où l’on viendrait apprendre la nature avant de chercher à nouveau à l’habiter ou de l'occuper comme un citadin ignorant.... Alors ce genre de ferme serait vraiment « pédagogique », au sens noble et précis du terme ; c’est-à-dire portant dans leur murs et leurs champs, un enseignement de la nature qui allierait la réalité du faire aux possibles du penser; la théorie et la pratique qui se nourrissent l’une de l’autre. Contempler et agir...voilà peut-être la meilleure école de la vie !
Textes et photos : Karim Tedjani
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