15 Juillet 2016
Les terrils de Kenadsa sont d' immenses amas de poussières; produit de l'exploitation du charbon... Un horrible autant que persisant héritage écologique de la colonisation française
Qui se soucie, en effet, de la terrible malédiction écologique de Kenadsa ? Qui en parle vraiment? Qui la connait au fond?
Kenadsa, Algérie...Mai 2016.
Une petite ville algérienne, apparemment paisible, sans problèmes; située à 22km, à l’Ouest seulement de Bechar. Ici, circuler en vélo est presque devenu au fil du temps une tradition locale. Un plat pays où il y aurait pu faire presque bon vivre ; à part certes la chaleur étouffante... Mais, à vrai dire, elle n’est rien comparée à la sinistre condition environnementale des lieux. Aussi tragique qu’elle est le plus souvent ignorée par la majeure partie d’entre nous et qu'elle est bien plus en péril qu'il n'y parait au premier coup d’œil...
Qui se soucie, en effet, de la terrible malédiction écologique de Kenadsa ? Qui en parle vraiment? Qui la connait au fond? C'est une blessure écologique pourtant ancrée dans le passé; qui s’incruste au présent sur la parois des poumons; qui risque encore et sûrement de profaner la santé de ses générations futures ! A tout petit feux, à force de glissements et d'éboulements de terrain, d'infiltration des eaux. Si ignorance teintée d'amnésie continue à perdurer, dans la triste éventualité que cette inconscience collective demeure une réalité non assumée, alors ce sera un véritable cas de non assistance à une population en danger...
En Algérie ? Pas grand monde à vrai dire n'a vraiment sonnée d'alerte retentissante dans les médias... Pas plus d’un article assez laconique sur le sujet dans la presse, depuis ces dix dernières années. .Et encore moins de gens sont au courant de ce drame à petit feu, là où, hors de nos frontières, on adore tant la Nature et ses chantres modernes.
Cette ancienne ville minière, fabriquée jadis de toute pièce par les colons français, elle est pourtant très régulièrement évoquée dans les médias quelque fois d'ici et surtout d'ailleurs; notamment en France. Mais cela très rarement pour rappeler en détail son passé de damnée de la Terre.
Il s’avère que, bien au contraire, on cite le plus souvent Kenadsa plutôt pour l’associer à une actualité beaucoup plus reluisante que ces antécédents miniers. Car cette commune aura été la terre natale d’un des plus célèbres écologistes dans le monde. Il est question en l’occurrence de M. Pierre Rabhi ; comme elle enfanta également Yasmina Khadra et tant d’autres illustres personnalités algériennes, d'ailleurs.
Ainsi, apparemment, de nos jours et pour bien des gens, Kenadsa n’est surtout qu’un nom propre presque rendu commun à prononcer ; un point de détail géographique dans la biographie de ce français d’origine algérienne, rendu si célèbre pour ses positions humanistes et agro-écologistes à travers le Monde, et plus particulièrement en Afrique. Mais pas en Algérie...
Que nous informe la presse algérienne, la littérature environnementale, à propos des terrils de Kenadsa et de Bechar? Ces montagnes de déchets charbonniers, pouvant atteindre jusqu’à trente mètres de hauteur et des centaines de mètres de largeur ; qui n’ont pas fini de charrier dans l’air des milliards de micro particules toxiques et des émanations de soufre. Un sol rendu infertile, au sous-sol devenu un véritable gruyère, sur lequel on continue à construire de nouvelles habitations... " Les déchets dus à la combustion sont toxiques et contiennent souvent du plomb, de l’arsenic et du cadmium, composants pouvant respectivement provoquer des empoisonnements, des maladies rénales et des cancers. Le drainage minier acide (DMA) contamine les sols et rend l’eau impropre à la consommation. " Voici par exemple ce que nous apprend Green Peace sur le sujet...
En combustion spontanée, ils se comportent un peu tels des réacteur chimiques; capable de synthétiser des composés complexes et pour certains indésirables, voire toxiques et/ou cancérigènes (benzène cancérigène ou encorehydrocarbures insaturés, sulfures, chloroforme et phtalimides (kladnoite).Les terrils sont également source de glissements de terrains désastreux et potentiellement d'explosions.
Outre tout ces désagrément, il faut également signaler que les "crassiers" de charbons -autre appellation-s'avèrent être de gros émétteurs de gaz à effet de serre.
Ces terrils, dans le climat saharien de Bechar, n'arrivent peut-être pas à se verdire à cause de la température; en tout cas ils n'ont rien de communs avec ceux de Wallonie ou de la région française du Pas de Calais, qui sont même devenus des havres naturels et des patrimoines culturels. Ils sont bien moins majestueux et chargés de vie. Leur paysage évoque ici plus facilment la désolation et les souffrances passées. Bien entendu, ils sont bien plus jeunes...
C’est que Kenadsa fut inventée au début du siècle dernier, disais-je, par l’administration coloniale française, dans le très colonialiste dessein d’y exploiter un filon d’un charbon aux qualités calorifiques assez médiocres et dont l’exploitation s’avéra si peu rentable. Et cela selon les propres dires de certains experts ou politiciens français de l’époque. Le site minier fut d’ailleurs très vite abandonné par l’Algérie alors indépendante ; tant sa couche exploitable était anecdotique et ne permettait pas ainsi son exploitation pour une durée économiquement viable. Ce fut, du moins, le discours officiel contemporain à cette décision de fermeture définitive.
Beaucoup de souffrances, donc, passées, de privations, de maladies liées à cette activité industrielle ; Une misère qui pourrait reléguer celle des antagonistes du roman Germinal de Zola au rang de camp de vacances ; mais c’est une tragédie écologique et humaine que l’on peut surtout lire où écouter dans le regard de ceux qui pourront vous la raconter. Des souvenirs d’enfance, l’histoire d’un parent le plus souvent mort des suites de maladies corollaires à cette entreprise plus écocidaire que vraiment commerciale. Tout cela pour une mine qui n’aurait jamais dû sortir de ses entrailles une pollution qui n’a pas fini d’empoisonner l’horizon, l’air, la santé et donc le quotidien de ses habitants ... Même aujourd’hui.
Si l’Algérie a portée en son sein Pierre Rabhi, pour rendre à la France sa « sobriété heureuse », apparemment, elle n’aura reçu en héritage que Kenadsa, Reggane et tant d’autres tristes et malheureusement résilients vestiges d’une science française dotée en ces temps-là d’une conscience des plus sélective...
En ce qui me concerne, Il aura fallu le hasard d’une rencontre, d’une chaleureuse invitation à venir découvrir la région de Bechar, pour que je réalise enfin autant l’ampleur du désastre que l’urgence de prendre un tel dossier en main pour les autorités algériennes ; qu’elles soient locales ou nationales.
Abdelhak Barkani fut mon principal hôte dans la région, Ce jeune président de la non moins jeune association « Le Printemps de l’environnement » ne mettra pas longtemps à me mettre devant le fait accompli. Dès mon premier reveil à Kenadsa, après mon arrivée nocturne à la gare routière de Bechar, il m’emmènera à bord de sa petite Atos, sur un des plus importants terrils de Kenadsa. C'est la ville où il réside, tandis qu’il enseigne le génie civil à l’université de Bechar.
Je ne saurai et pourrai vous raconter en détail tout ce que j‘ai pu apprendre sur les énormes carences écologiques dont souffre Kenadsa, durant trois jours au programme très chargé, car il fallait également me montrer la beauté des paysages de la région, m‘imprégner de la culture locale fort hospitalière. Mais, de tout ce que j’ai pu voir ou constater, il y a un moment de ce voyage que je n’oublierai jamais et qui me liera pour toujours à cette ville.
En fait, ce n'est pas vraiment ces terrils le problême, c'est le peu d'études, d'entretien et de valorisation de ce phénomène qui en font une malédiction pour cette ville. C'est un sujet qui devrait être suivi de très près, autant par la communauté scientifique, les autorités locales, que les entrepreneurs "verts".
Abdelhak Barkani, président de l'association "Printemps de l'environnement" de Kenadsa
Dans ce décor d'enfer sur Terre, je me trouve cependant face à une scène des plus chargée d’espoir ; un moment de pure émotion qui m’a donné en grande partie envie de prendre aujourd’hui la plume pour le relater.
Ce fut la rencontre avec des enfants d’un des quartiers les plus populaires de Kenadsa, au sens plus « misérable » du terme que de célèbre. Celui de « Puit Renée » ou « Pourini », comme on le prononce dans la langue des locaux. Aux pieds d’un terril de plus de trente mètres de haut ; des habitations dans un quartier des plus vétuste et à l’atmosphère presque pestilentielle. Parce qu’elle fut une création coloniale, Kenadsa est bâtie et habitée depuis ses premières heures selon des critères de classe sociale ; même aujourd’hui cela n’a malheureusement pas changé. Il semblerait même qu’on se soucie peu, administrativement du sort des habitants de ce genre de « ghetto », qui sont bien entendu les plus pauvres et les moins instruits ; et donc les plus faiblement armés pour faire respecter un de leur droit les plus fondamentaux : un environnement sain.
Dans ce décor d'enfer sur Terre, crée par la main du colon, je me trouve cependant face à une scène des plus chargée d’espoir ; un moment de pure émotion qui m’a donné en grande partie envie de prendre aujourd’hui la plume pour le relater. Ici, parmi la crasse et la puanteur d’un « fumet » où se mêlent odeurs de bestiaux mal logés, de boues fétides et de déchets jonchés sur le sol, une troupe de jeunes bambins s’active à semer un petit barrage vert pour atténuer les effets de cette triste écologie du pire; qui les entoure comme une prison à ciel ouvert. Le terril obstrue leurs poumons de ses poussières, accumulées depuis des décennies en d’immenses amas masquant jusqu’à l’horizon.
Une centaine de plants d’arbres, plantés avec l’encadrement de l’association « Printemps de l’environnement ». Et à regarder les enfants s’afférer à les planter, comme les entretenir au quotidien, on ne peut que ce dire que ces derniers nous offrent la une des plus simple et sûre leçon d’écologie : être responsable de son environnement, influer positivement sur le paysage qu’on habite, non plus seulement physiquement, mais aussi en y faisant rayonner des actions lumineuses de bonnes volontés et de pertinence...
Ce n’est pas grand-chose, mais comme le dit si bien un originaire de la ville, ces enfants font fond plus que leur part de Colibris. Ils agissent comme de vrais êtres humains dotés et initiés à la conscience d’un possible retour du printemps...D'ailleurs, selon les témoignages de quelques habitants du quartier, depuis cette opération qui n'en est qu'à ses balbutiements, la qualité de l'air ambiant semble plus agréable; du moins olfactivement déjà!
Des solutions plus globales et mêmes rentables sont d’ailleurs possibles pour une gouvernance adulte qui aurait la volonté de relever un défi qui a déjà été une réussite dans plusieurs sites charbonniers européens. Le « sable » des terrils, dans une mesure contrôlée, peut s’avérer un très bon fertilisant ; comme il est possible, avec beaucoup d’efforts et de patience de les végétaliser entièrement.
En fait, ce n'est pas vraiment ces terrils en eux-même le problême, c'est le peu d'études, d'entretien et de valorisation dont ils font l'objet qui en font une malédiction pour cette ville. C'est un sujet qui devrait être suivi de très près, autant par la communauté scientifique, les autorités locales, que les entrepreneurs "verts". Chaque région du monde qui heberge des terrils est un cas bien particulier, qui néscessitent des moyens ainsi qu'une stratégie adapatés à la géographie des lieux. Tout n'est pas si noir, potentiellement...
« Mais il nous faudrait de nombreux soutiens pour aller au fond de ce problème de taille » m’avoue Abdelhak. « Nous ne pouvons, à notre modeste mesure de bénévoles, que sensibiliser l’opinion publique et limiter la casse en plantant des arbres là où c’est possible. Chaque mètre carré où on nous laissera planter des arbres et de la végétation, ce sera déjà une goutte dans l’océan de plus, en attendant... Mais il faut faire également avec les mentalités locales qui ne sont pas toujours enclines à réaliser l’importance des arbres dans ce combat contre la pollution de leur environnement»
Le petit barrage vert en herbe de Puit Renée...
« Nous pouvons comprendre les raisons qui semblent éloigner M. Rabhi de son passé algérien. Personne ici ne le juge ou ne lui en veut pour cette absence parmi les siens. Nous aurions certes bien besoin de son soutien, autant logistique que médiatique.
D’ailleurs, nous avons remarqué ensemble, avec mon hôte, à quel point le fait que la majeure partie des palmiers, dans la région, soient plantés au beau milieu d’étroits trottoirs, ne peut que rendre les piétons hostiles à leur présence sur la voie publique. Cette réalité ne peut refléter qu’un piètre sens de l’urbanisme et du paysagisme de la part des autorités locales...
Quand je demande à mon jeune ami ce qu’il pense du fait que Pierre Rabhi ne semble pas s’impliquer dans le salut écologique de sa ville natale. Qu’il n’a pas refoulé cette terre depuis des dizaines d’années ; et ce malgré de nombreuses invitations de la part d’Algériens, dont une des dernières en dates fut celle que nous lui adressâmes chez lui, mes amis de Torba et moi.
« Nous pouvons comprendre les raisons qui semblent éloigner M. Rabhi de son passé algérien. Personne ici ne le juge ou ne lui en veut pour cette absence parmi les siens. Nous aurions certes bien besoin de son soutien, autant logistique que médiatique. S’il pouvait au moins nous faire parvenir un message vidéo, ou bien publier un article pour nous soutenir... » Abdelhak ne s’illusionne pas trop à propos de cela, mais ne s’interdit pour autant de laisser son message dans la mer...
Trois jours seulement...pour se rendre compte d’un péril qui dure depuis des dizaines d’années dans la plus honteuse et calamiteuse de l’indifférence médiatique et politique, civile même. C’est peu, certes, mais je devais reprendre d’autres routes pour découvrir d’autres réalités de l’écologie algérienne. Une chose est sûre, je reviendrai...
Il est évident que, depuis quelques années déjà, l’actualité de ce pays a été souvent mouvementée par de nombreux mouvements de contestations citoyens, régulièrement hostiles à des projets d’implantation de sites industriels dans telle ou telle localité algérienne. Il arrive aussi fréquemment que se crée une certaine solidarité entre militants de divers localités régionales, autour de ces luttes estampillés « écologistes ».
De la mobilisation contre l’exploitation du gaz de schiste ,exemplaire et durable de la majeure partie de la population d’Ain Salah, aux récentes manifestations populaires, dans la commune d’Oued Taga, massivement opposés à l’implantation d’une cimenterie... Et tant d’autres faits plus ou moins divers. Toute cette chronologie de controverses autour de questions environnementales ne peut amener bien des observateurs de la société algérienne à considérer cette nouvelle donne écologique dans les débats publics algériens .comme une réalité à intégrer.
Si bien que beaucoup des observateurs et commentateurs de l'actualité de notre pays n'hésitent plus à parler de naissance d'une prise de conscience en Algérie. Même si, à mon humble avis, elle n'est pas a remonter seulement aux événements de Ain Salah.
Mais cette conscience est-elle vraiment profonde et matûre ? A-t-elle un caractère plus scientifique et raisonnée que celui anima une des premières révoltes écologiques algériennes, et qu’on a tendance un peu trop à oublier depuis Ain Salah. Celle alors d'universitaires et journalistes qui s’opposèrent à la défiguration du parc national d’El Kala. Il ne faudrait pas omettre également de considérer l’aventure du « barrage vert » de Boumediene, comme étant aussi une des plus anciennes actions collective et mobilisation citoyenne pour tenter d’endiguer un problème écologique récurent en Algérie.L’écologie est une science autant qu’une philosophie qui demande de développer une vision holistique de ses problématiques. Du global au local et vice versa, il me semble.
Doit-on, de ce fait, en Algérie, seulement militer pour l’environnement le temps de s’opposer à tel ou tel projet industrel ou d'urbanisme futur ? Ne faudrait-il pas aussi veiller à réparer les erreurs du passé, autant qu’à ne pas les aggraver?
Mon séjour à Kenadsa, ville natale de Pierre Rabhi, et qui aurait bien besoin de lui, m’aura encore une fois conforté dans le fait que les vrais combats pour l’environnement algérien ne font que commencer et que l’écologie algérienne, en tant que force d’actions et de réflexions environnementales, doit mûrir et ne pas se contenter de systématiser ses actions autour des seules dimensions festives et les luttes d' opposition épisodiques. Il sinon, elle ne serait qu’un discours, un effet de mode, une attitude de l’instant, un prétexte pour faire de la politique sans en avoir l’air...
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