30 Août 2016
"Equilibres..." (Photos: Karim Tedjani)
Chapitre quatre
"Le régime climatique mondial est-il une justice climatique?"
Dans un des précédents articles de ce dossier, j’avais rapidement évoqué quelques symboles contemporains les plus universels de la justice .On les retrouve dans la plupart des iconographies de nos institutions juridiques. Comme leurs symboliques sont ancrées dans notre mémoire collective universelle, à force d’évoluer dans un monde ultra-médiatique. Parce que nous n’avons ni le temps ni les moyens de faire toute la philologie de ce concept, nous tâcherons, tout simplement de déduire de ce système symbolique des caractères ainsi que des « principes » que l’on pourrait considérer propres à la Justice.N’oublions pas que le thème principal de ce dossier est la Justice climatique. Je devrais donc recadrer assez vite cette modeste analyse symbolique au sujet plus concret qui nous a réunis autour de ces quelques pages.
C’est que, une fois cette étape franchie, nous aurons pu, je l’espère, dégager ensemble des fonctions ainsi que des caractéristiques, avec lesquelles nous pourrons éprouver la notion de justice climatique. En comparant l’idée « justice climatique », avec la chose climatique, comment elle s’opère dans la réalité. Armé de cette balance nous verrons peut-être avec plus de sérénité de quel côté, entre moralité et efficacité, devrait pencher cette Justice climatique. Ou si, au contraire, elle ne devrait pas aspirer à un équilibre entre ces deux pôles ?
En cela, je resterai fidèle à la méthode de la Maâna algérienne traditionnelle, qui, comme toutes les traditions apporte un intérêt tout particulier à la symbolique, comme de comparer sans cesse l’incomparable pour démontrer que l’Unicité est le principe primordial de toute logique. Je pense également respecter le principe d’une approche autrement universelle, appliquée dans toute les cultures humaines, où la symbolique a depuis tout temps été la mémoire d’une matrice première, mère de toutes les variantes de la Nature humaine.
Car nous avons bien ici, à mon humble avis, toutes les principales fonctions d’une Justice moderne symbolisée dans ce système métaphorique. Je tiens d’emblée à vous avertir que je vais surtout tâcher ici de faire appel plus à ma propre déduction, qu’à une érudition dans un domaine où pour ma part je ne pourrais parler que de modestes connaissances. Aussi, j’aimerais qu’on me pardonne d’avance de n’aborder la notion de Justice que de manière substantielle et métaphorique.
Il faut en tout premier lieu remarquer à quel point la Tradition Egyptienne pharaonique aura influencé la symbolique que nous lui associons encore, de nos jours, et cela à bien des endroits de la Planète. Hasard ou volonté, je ne suis pas là pour donner mon avis sur la chose. Mais le fait est que cette identité de symboles, parmi nos Républiques, est flagrante. Il y a-t-il un Grand Architecte, tapis dans l’ombre, derrière cette réalité ?
En effet, la Balance, comme la Plume, fait référence au jugement d’OSIRIS, divinité majeure dans le panthéon du culte égyptien antique. La plume, plus précisément, est celle qui coiffe la déesse « Maât » dont le culte était celui de la Justice et de l’Equilibre universel Il est important de préciser que, ici, cet adjectif est n’est pas seulement relatif à l’ensemble des êtres humains, mais aux Lois fondamentales qui régissent l’Univers.
Dans cette très ancienne spiritualité, chaque mortel, au moment de son passage pour l’autre monde, comme le fit un jour Osiris, devait peser son cœur sur une balance dont la valeur talon était une plume d’autruche sacrée ou l’incarnation humaine de la déesse « Justice ». On disait que si ce dernier pesait plus lourd qu’un phanère d’oiseau, alors le propriétaire de cet organe humain finira emporté et dévoré par un dieu vengeur ; loin des champs de la Félicité. Dans le cas contraire il pouvait aspirer à ce que nous appellerions aujourd’hui le Paradis éternel, sans pour autant y ressembler. On retrouvera largement cette image et idée de balance et de jugement dans l’iconographie justicière des traditions helléniste, latine, puis chrétienne ; avec des significations, plus ou moins similaires, il me semble.
Prenons tout d’abord le cas de la balance. Elle suppose plusieurs attributs très évidents de la Justice.
C’est tout d’abord un instrument de mesure indispensable à tout échange, qui se veut juste et équitable. S’il y a balance, c’est bien qu’une valeur ou mesure talon a été admise par la communauté qui l’utilise. Ici, c’est bien le poids qui est le critère symbolique, suggérant ainsi une nature essentiellement arithmétique à cette justice. Elle quantifie des unités ou des quantités et la traduit en une somme de poids et la comparera avec d’autres. Mais elle mesure autant un poids physique que métaphysique, spirituel, moral.
Ce qui implique également qu’il y a eu convention, contrat entre tous ses utilisateurs, qui en accepteront la sentence sans contester. Un consensus est nécessaire. Quand la balance a parlé, il n’est plus possible de remettre en question ses jugements ; à moins de douter de la justesse de la balance qu’on aura utilisée.
Puis, il est évident que la balance a pour fonction, à la fois de dénoncer la différence, que d’être une technologie infaillible pour témoigner de l’identité d’au moins deux objets en fonction d’une norme unique. Ainsi, la Justice ne serait pas innée chez nous, puisque nous avons besoin d’un concours « extérieur » pour la ressentir, comme l’appliquer.
Il semblerait donc que, pour les Egyptiens antiques, la machine, parce qu’elle n’a pas d’état d’âme, et qu’elle n’obéit uniquement qu’à des lois de la Physique universelle, est déjà un des meilleurs allié de l’Humanité pour agir en toute objectivité. Puisque, dans cette Tradition, même les dieux en usent pour juger les Hommes, ainsi que leurs semblables. Est-ce une bonne chose ? Je ne saurais le dire, tant la machine tend à présent aspire à se doter d’une âme et de sentiments humains, ou à se fondre dans le corps humain. La machine ne vaut pas mieux qu’un glaive, à mon sens. C’est un outil. Le prolongement d’une volonté, dont la source est soit un sentiment, au pire, soit une idée mûrement pensée, dans le meilleur des cas.
Nous retrouverons au passage cette tendance jusque dans le régime climatique actuel, dont la valeur-justice se mesure en quantité de GES émise dans l’atmosphère. On aspire à un idéal commun, un équilibre en le moins et le plus. Ce sera ce critère talon, le degré de réchauffement global le plus juste, pour qu’un certain équilibre ne soit ni changé, ni déréglé. Le régime climatique se réfère à des instruments de mesure très sophistiqués dont seule une élite détient les « mystères » ainsi que la Science. Afin d’établir ses sentences et prédire même l’avenir. Elles aussi, une fois admises par la communauté internationale, ne pourront plus être soumises au moindre doute...
Le cœur et la plume, que la Balance compare, sont aussi des symboles très forts de ce que la Justice peut signifier encore de nos jours.
Le cœur, c’est la morale, mais c’est aussi tout ce qu’on gardera de sa vie. Ne dit-on pas qu’on en a « gros sur le cœur » quand on est triste, et qu’on l’a « léger » quand la joie nous vient ? Le cœur est la mémoire morale d’une vie, son poids de félicité et de tristesse ; mais aussi de bons ou mauvais sentiments ; car on dit de la même manière qu’ils nous remplissent ou nous vident le cœur. C’est dans nos cœurs que pèsent le plus nos culpabilités, comme résident nous plus belles vertu humaines. Le cœur bat, il est aussi action ...
La plume, elle incarne plusieurs fonctions et natures essentielles. Tout d’abord, elle est légère, parce qu’elle pèse le poids d’un cœur « juste », sur lequel aucune culpabilité ne pèse au pont de faire basculer son cœur du côté obscur. Il y a donc un idéal, une norme optimale, un critère utopique, un équilibre, un climax. Il n’y a pas de Bien absolu, ni de Mal total et d’Equilibre possibles en même temps.
C’est le phanère d’un oiseau, mais qui ne vole pas. C’est donc un élément à la fois d’air de nature, et de terre d’existence. Il peut donc incarner un certain équilibre entre le Ciel et la Terre. De plus, je pense que l’image du bandeau, et donc d’une justice qui doit être « aveugle » fait référence à la symbolique même de l’autruche, réputée pour se voiler parfois la face sous terre.
Cela veut dire qu’elle sait également voir au fond des choses, au-delà des apparences, même. Nous n’aurons pas ainsi à revenir sur les symboles du bandeau nous en aurons déjà énoncée la principale symbolique. C’est enfin peut-être aussi l’idée d’une Justice qui doit savoir parfois oublier, ainsi qu’une certaine confiance en la Providence ; mais surtout l’idée que l’on ne peut échapper à la Justice, comme l’autruche en dissimulant son visage dans la terre n’échappera pas pour autant à son agresseur. Le coupable est toujours démasqué.
Dans notre tradition moderne, le bandeau ajoute l’idée de ne pas juger les gens ni part les apparences, ni en fonction de leur statut. C’est une Justice « aveugle », au sens d’objective à l’excès. N’oublions pas que l’idée de s’aveugler pour atteindre la vraie vision est une métaphore que l’on retrouve également dans de nombreuses mythologies et religions...
La plume rappelle aussi, sur Terre, celle que tient le Scribe dans sa main et qui relatera nos actes visibles, nos pensées prononcées, fixera dans nos mémoires les paroles dites. Tandis que celle de la Balance divine témoignera de notre « justesse », morale. Cette plume, représente bien entendu l’importance de l’Ecriture sur la Parole, comme la nécessité de lois inspirées par une mémoire ; tout comme le cœur semble être lui aussi animé par cette fonction mémorielle.
C’est encore plus de nos jours le symbole de la presse, du discours politique et de la Poésie. On sait bien à quel point l’Art et les Médias ont toujours participé activement à influencer sur la morale publique, comme sur les actes de bien des gens au quotidien, comme dans leurs moments d’héroïsme justicier. La justice ne peut se passer de témoignage, de débats, de louanges, mais aussi de critiques.
Cette symbolique suggère également l’idée de critères de Justice, de mérites et de culpabilité. De récompense, mais aussi de sanction.
C’est là que le glaive apparait et, à mon humble avis, c’est un symbole plus récent que la Tradition égyptienne. C’est la Justice du justicier, celle qui sanctionne et tranche. Cela veut dire qu’elle ne fait pas toujours dans le détail, et qu’elle a besoin de la force physique pour s’appliquer. Trancher dans le vif, et même couper un membre malade pour sauver le corps ; par exemple. N’oublions pas que l’épée est aussi à la fois instrument de Justice que d’Injustice. C’est aussi le glaive du Prophète, et le sabre du Messager. C’est bien la valeur morale de la main qui la brandira, comme celle des lois qui la tempèrent, qui en feront une arme justicière et non d’oppression injuste. Ne dit-on pas souvent que la plume est plus forte que l’épée ? N’est-ce pas aussi en grande partie le principe de la plume, dont une des manifestations est l’Histoire qui fait du justicier un héros ?
La Justice évalue, selon des critères définis et incontestables. Elle pèse le pour et le contre, pour décider d’un juste milieu entre ses deux extrêmes. Elle est équilibre. Mais elle se mérite également, et dans cette réalité le légitime et le légal doivent trouver un centre de gravité qui fera consensus. La Justice est à la fois un idéal, un débat perpétuel, une Lutte. Mais c’est également un instrument institutionnalisé, avec ses lois, ses codes, établis par un système d’esprit bien particulier et si faillible parfois à se préserver de commettre l’injustice. Elle a besoin d’une intervention la plus objective ; elle doit donc être idéalement de nature extérieure à la condition sur laquelle elle légifère ; la nôtre.
On a plus souvent coutume de considérer que ce sont les Grecs de l’Antiquité qui pressentirent en premier l’idée d’une Justice universelle. Peut-être qu’ils furent tout simplement les plus volontaires à la conceptualiser dans le contexte d’une Cité démocratique. Il me semble pourtant que cette notion a dû être, depuis la nuit des temps, une préoccupation de tout premier ordre dans l’histoire des civilités humaines. Je pense, comme beaucoup, que, dès lors qu’il fallut partager un avantage ou un inconvénient, la nécessité de Justice s’est fait ressentir parmi « Nous », les humains. Le jour du premier crime, de la première injustice commise par « l’Homme » sur Terre, alors la Justice est également née. Comme un pilier de la convivialité sociale, du bien-être et vivre ensemble, mais aussi de la paix sociale...
On dit enfin que la Justice ne doit pas se contenter de rendre égal l’inégal, c’est-à-dire de distribuer à deux personnes qui n’auront pas les mêmes mérites la même quantité de récompenses ou de sanctions. Il doit être proportionnelle, selon des critères dont le caractère très vague et si peu universel pose toutes les limites d’une Justice mondiale pour certains autant qu’elle peut paraitre un formidables défi de progrès pour d’autres.
Pour tout un monde, ce mérite se compte en argent. Pour un autre en influence. Pour certains, il s’agit de veiller à l’égalité des chances, ou de justifier certaines injustices légales comme un environnement propice à la productivité ; la fameuse compétition de la loi de la Jungle. Pour moi, toutes ses propositions servent la même démagogie. Tant que l’on confondra « égalité » et « équité ». Pour moi l’égalité dans un monde de variété ne peut être soutenue à l’excès ; de même que la liberté sans limites fini toujours par une dictature, fut-elle celle de la majorité. Rien ne sert de donner l’égalité des chances si on n’a pas l’égalité des environnements ...
Je serai donc plus partisan d’un équilibre des chances et des conditions, comme principe fondamental de la Justice. Je vais donc pouvoir à, présent aborder la « justice climatique » sous cet angle.
Je finirais cet article par une première remarque, à ce titre. Il me semble que le terme "régime climatique" défini déjà une forme d'aspiration à une justice du climat; si on lui soumet une grande partie des critères que nous avons énoncés préalablement. Mais il lui manque une dimension, puisqu'elle aspire surtout à être légaliste. Ce que me parait incarner "justice climatique", dans l’esprit de beaucoup qui emploient cette expression, contre les injustices de ce régime, font référence à une qu'ils estiment beaucoup plus Justice morale; de cœur, même dans sa plume. Tout cette volonte de Justice considère légitime, elle aspire également à le rendre légal. Et c’est ce que nous verrons prochainement quand nous parlerons d’injustices climatiques; pour expliquer peut-être encore mieux de quelle Justice climatique nous entendons le plus souvent parler en Afrique, notamment.