ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT EN ALGERIE (Une revue de web de plus de 4500 articles )
9 Septembre 2016
Chapitre neuf
"Un climat de dénaturation humaine..."
Le thème de la Justice climatique soulève beaucoup de questions, dont les réponses nécessitent le secours autant de la science physique que d’une étude large et approfondie des sociétés humaines. Si le sujet est de plus en plus vulgarisé par les médias du monde entier, il n’en reste pas moins un des dossiers les plus complexes de l’histoire de notre Siècle. Je ne parle pas de l'unité temporelle qui a débutée en l’an 2000 ; mais plutôt du climat de sociétés global qui ne s’achèvera seulement, nous dit-on, que lorsque l’Humanité aura justement changé de paradigme de civilisation. Il n’est donc pas aisé pour moi d’aborder la Justice climatique en toute sérénité intellectuelle, puisque je ne dispose pas de toutes les connaissances suffisantes pour la traiter avec l’assurance d’un expert confirmé...
Bien que le mot ne fasse pas forcément toujours référence à la possession d’un diplôme universitaire ou bien au statut résultant d'une longue carrière professionnelle dans un domaine bien précis de l'activité humaine. Être expert de quelque chose signifie avant tout d’en avoir éprouvée l’expérience personnelle. A ce propos, on peut se rappeler qu’un des premiers slogans des écologistes européens fut « nous sommes tous des experts « ; remettant ainsi l’expérience cognitive locale au même rang que l’expérience de laboratoire. Pendant très longtemps, d’ailleurs, l’expertise officielle fut l’objet de tous les scepticismes écologistes. Il aura fallu justement attendre les derniers rapports du GIEC, concernant le Climat, pour assister à un certain consensus de principe entre le discours scientifique institutionnel et la logique de l’écologisme...
Il est vrai que, pour en revenir à la notion d’expert, si vous avez vécu suffisamment longtemps la réalité d’un sujet, muni de plus d’un certain recul intellectuel et chronologique, alors on peut considérer que votre expertise dans ce domaine sera au moins valable à consulter. J’ai d’ailleurs souvent constaté tel débat d’expertises s’engager en Algérie entre les fellahs locaux et des agronomes nationaux ou même internationaux ; dès lors qu’il s’agissait de politique agricole locale.
Souvent l’avis des paysans passait au tout second plan. De même qu’il faut se souvenir que Pierre Rabhi, lors de sa seule visite officielle en Algérie, aura été « boudé » par la communauté scientifique algérienne ; sous prétexte qu’il n’avait aucun diplôme à leur présenter. L’homme fut pourtant plus tard nommé expert auprès de l’ONU en matière de sécurité alimentaire. Il ne s’agit pas ici de prendre la défense de cet écologiste qui se considère français d’origine saharienne, plus qu’Algérien. Mais de plaider pour considérer l’expérience des actes comme aussi importante que la connaissance théorique.
Pour ma part, ma première expérience cognitive, de l’influence de l’activité humaine sur le climat d’une région, remonte à ma plus tendre adolescence. Quand je réalisai, à force d'y venir passer tous mes étés scolaires, que les fellahs de mon douar de cœur allaient faire de leur « pays » de zones humides un véritable désert en bordure de mer. Comment une localité aussi riche en eau pouvait bien en arriver à se transformer paradoxalement en une région de plus en plus aride et dénudée de sa végétation ?
A chaque fois, pour éluder cette énigme, j’ai dû demasquer la main coupable d’hommes et de femmes, le plus souvent irresponsables ou indirectement responsables de cette réalité mortifère. Certains de par leurs actes professionnels, certes, parce que prisonniers d’un système bureaucratique qui les oblige à fonctionner de la sorte. Mais aussi à l’échelle de leur propre vie quotidienne, pour celles et ceux qui vivent à Guerbes et continuent à être les complices locaux d’un tel dévorement durable de leurs paysages. Les origines de ce qui me paraissait jusque-là un mystère de la Nature étaient donc aussi variées que complexes à déterminer.
Puis, en grandissant, et à mesure que ce péril grandissait lui aussi autour de moi, j’ai voulu comprendre de manière plus radicale ce qui pouvait bien pousser tous ces ruraux à se suicider écologiquement ; sans s’en rendre compte ou bien par manque de responsabilité environnementale. En pratiquant bien des activités aussi écocidaires que la culture de la pastèque ou bien l’extraction illégale du sable de leurs plages .Mais aussi, et c’est une réalité assez peu ancienne, en laissant à présent un tourisme de masse des plus polluants s’installer sur leurs plages. Tout cela avait un lien avec l’aridification progressive d’un des « hots spots « de la biodiversité mondiale les plus précieux d’Afrique du Nord ; supposé donc encore suffisamment « équilibré » pour être considéré mondialement comme un havre de paix naturel.Une gouvernance nationale, engagée par la ratification de conventions internationales à respecter l'intégrité naturelles des lieux...impuissante ou complice?
Très vite, j’ai eu l’intuition qu’il fallait sortir de cette bulle de mauvais comportements locaux pour élargir mon champ de perception ; et tenter ainsi de participer, à mon humble échelle, à la transformer autant que possible, un jour, en un cercle environnemental vertueux. Ce qui me différencie sûrement de bien des locaux de Guerbes, c’est mon habitude pour la mobilité autant physique que d’esprit. Je dois cela à ma naissance parisienne autant qu’à mon profond ancrage dans la tradition algérienne moderne. Ambivalence qui m’a toujours invité à observer les choses avec l’œil de l’invité mais aussi l’esprit de l’hôte ; où que je puisse résider d’un côté ou l’autre de la rive méditerranéenne.
J’ai pu ainsi m’engager dans une entreprise que je concède comme inconcevable pour bien des gens de mon Douar. Comme ils m’ont tant appris sur la vie et la nature, je me devais de leurs rendre la monnaie de cet héritage auquel ils m’ont initié avec beaucoup de bienveillance et de patience. En me faisant donc le devoir de le défendre avec les moyens et capacités qui sont propres à mon identité personnelle. Certes, par certains endroits, elle est si différente de la leur; mais elle demeure complémentaire. Car notre identité, c’est-à-dire nos points communs, sont assez évidents pour que je ne m’attarde pas à les énoncer.
Rencontrer de nombreux acteurs de l’écologie en Algérie ; constater de ce fait à quel point ce qui se passait dans ma commune était malheureusement la norme nationale. Ce fut la première et longue étape de cette modeste quête. Huit années consécutives de parcours bénévole ; où j’aurais interrogé et partagé le quotidien de milliers d’Algériens, à travers plus d’une trentaine de wilayas. Certes, je n’ai pas encore vraiment franchis les portes du Sahara ; mais d’Est en Ouest, je les ai quasiment toutes visitées. Je peux dire que j’aurais déjà exploré ’ «l’Algérie des 80 pour cent » ; qui ne la rende certes et pas pour autant essentielle ; mais seulement majoritaire au sein du vaste territoire algérien.
Partout où je suis allé, en Algérie, j’ai vu le désert avancer, les pluies se faire tantôt trop rares ou bien trop souvent malvenues en fonction des saisons normales. Généralement, à mesure qu’une certaine nature humaine semblait reculer dans l’âme et conscience collective de mon pays ; pour céder le pas à une forme d’immoralité légale de nature souvent exogène ; comme une maladie exotique s’installe dans un corps indigène et fait seconde peau avec lui. Cette tendance me parait tout aussi négative que celle qui a fait de nos traditions un outil d’arriérisme, et non plus un agent potentiel d’une modernité contemporaine digne de ce nom.
Mon constat autant local que national est donc sans appel. Pas grand monde dans notre pays ne se soucie ou ne se souvient de ce que la réalité « écosystème » Algérie peut et doit signifier pour chaque Algérien. Un Habitat, à la fois objet matériel, tant qu’une manière morale d’habiter son pays. Une telle nature ne devrait pas non plus nous empêcher de nous considérer comme des habitants responsables d’une planète commune à l’ensemble de notre espèce. Un « maison-système » commun à toute l’Humanité, depuis que l’idée de pays s’est imposée sur la « Terre mère », comme une norme pour nos sociétés ethniques et politiques. Les raisons d’un tel changement de climat spirituel, là aussi, ne pouvaient pas seulement venir que d’Algérie.
J’ai eu à ce titre l’occasion de m’exprimer sur la question climatique dans plusieurs évènements internationaux ; en tant qu’ « expert » de la société civile algérienne. Et cela fut bien entendu concernant les questions d’environnement et d’écologie dans mon pays. De ce fait, j’ai pu confronter mon expérience nationale avec celle d’acteurs locaux ou internationaux d’autres régions du Monde. Pour ce faire, il m’aura fallu également me documenter assez longuement sur le régime climatique mondial. N’ayant pas encore participé de manière directe et officielle à une COP, mais plutôt gravitant au sein de ses périphéries. Ce qui, je l’espère, me donne une vision suffisamment détachée, voire objective du discours politiquement correct qui fait norme au sein de cette sphère politique très encadrée.
Là, aussi, il m’a paru évident qu’une grande partie du problème que j’avais initialement dénoncé à Guerbes dépendait de facteurs internationaux, pour ne pas dire globaux. Les changements climatiques ont bien commencé à peser sur nous, et certes, l’humanité moderniste industrielle n’a en rien arrangé ce fait. Pas seulement l’Industrie, mais à vrai dire surtout l’industrialisation de la pensée humaine ; dont l’ordinateur est la plus emblématique et influente réalisation.
Certaines des interrogations concernant l’idée de Justice climatique dépassent donc de loin le cadre viscéralement politique du régime international dans lequel il s’articule. Depuis fort longtemps déjà, l’ONU et ses corollaires plus ou moins intimes, tentent d’imposer par la diplomatie l’idée d’une Justice mondiale nécessaire. Autant pour la Paix dans le Monde que pour favoriser la « stabilité » du Marché mondial.
La problématique climatique semble jouer, à ce titre, le même rôle de radical commun global, qui aura permis un jour la rédaction d’une Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ainsi que son adhésion plus ou moins sincère par l’ensemble de la communauté internationale. Un accord sur le climat universel ne peut en effet que concerner l’ensemble de la population mondiale, et ce, en faisant abstraction de toute particularité ethnique, donc morale et politique.
Le sujet impose naturellement l’idée d’une gouvernance mondiale « aveugle », puisque dans le champ lexical républicain, l’idée de Justice ne peut devenir réalité que s’il existe un Etat et donc une Nation pour en garantir légitimité ainsi que l’indépendance. Seul un état démocratique, le plus souvent républicain, pourrait exercer la Justice telle qu’elle a été normée par la tradition moderne. Cela est valable dans quelque domaine que ce soit, fut-il associé au climat ; un sujet qui oscille constamment aussi subtilement que dangereusement entre des notions de physique et de métaphysique.
Cependant, toute Justice, nous l’avons évoqué précédemment, implique également l’idée d’une Morale commune. Pour qu’une loi soit totalement juste, il est clair qu’elle doit paraitre légitime à tous les sociétaires d’un contrat républicain. Or, il est toujours très périlleux de laisser la morale dans les seules mains du politique ; encore plus quand cela serait aux mains d’une Justice globale qui serait potentiellement au service d’une hégémonie nationale. Autant que la Justice doit être forcement indépendante de l’exécutif d’un état fondé en République, celle qui aura trait au climat devra être une instance mondiale autonome de toute gouvernance mondialiste ; au risque de ne pas paraitre mondialement équitable.
On pourrait, au passage, s’interroger si l’ONU pourrait envisager l’élaboration de cette Justice comme un exercice politique visant à faire d’un Accord sur le Climat les bases d’un Contrat social mondial ultérieur. Car, il ne faudrait pas se leurrer sur le fait que quand on parle de Justice, on évoque intrinsèquement l’idée de gouvernance et donc de société fondée par une constitution ; contrat à la fois moral et politique entre tous les sociétaires de cet accord.
C’est, à mon humble avis ce qui différencie une communauté traditionnelle d’une société moderne. La communauté, traditionnellement, a pour contrat une justice morale, un code législatif qui puise ses jugements dans une sagesse traditionnelle ancestrale. Il est rare que ceux qui la subissent ou l’acceptent puissent en rédiger les statuts par une délibération collective. Car c’est le propre même de la tradition que de se considérer comme immuable, là où la société moderne aspire à faire évoluer ses lois en fonction des aspirations du plus grand nombre du moment. Ce qui n'empêchera pas une tradition d'être parfois plus démocratique qu'une république bananière. Qui des deux formes de justice a le plus raison d'être contemporaine? Ce n’est pas à moi de décider d’une telle question. Disons que j’aspire personnellement à une modernité traditionnelle et non la modernisation de notre tradition nationale; encore moi je ne voudrais vanter les mérites d'une société traditionaliste, où la morale prime le plus souvent sur la raison...
Qui ou quel système doit donc établir naturellement cette morale climatique ? Qui devra être universelle pour paraitre mondialement légitime ? Pour que la Justice climatique, en tant qu’objet de gouvernance internationale, nous semble juste et légale, où que nous résidions sur Terre, et donc quel que soit la nature des impacts du réchauffement climatique qui nous affecte ou pourrait nous affecter localement. Pour cela, on évoque souvent le concept de « voile d’ignorance » pour qualifier la nécessité pour cette justice globale de faire alors abstraction de toutes les particularités nationales et de n’en retenir que ce qui des principes qui font identité au sein de l’Humanité.
Certains, comme les Communautaristes, un courant politique très influents dans la pensée économique anglo-saxonne, considèrent à ce titre toute volonté de Justice mondiale contraire à a nature même de la notion de société humaine internationale et non globalisée. C’est parce qu’il n’y a pas de morale universelle possible. Selon eux, c’est une constante dans la nature humaine. La Justice à travers le monde ne pourra être que commune à certains égards, mais différenciés au regard de nos particularités ethniques morales respectives.
Certes il existe bien des identités entre toutes les ethnies concernant la notion de climat justicier, et, nous l’avons vu rapidement, le « mythe » ou la réalité du Déluge est un des plus évident indice et symbole de cette universalité. Mais il me semble que ma prochaine question sera aussi pertinente à proposer qu’elle pourrait paraitre tout à fait triviale à bien d’entre nous.
Pourtant, je pense que se demander si les manifestations les plus hostiles du Climat à l’égard de nos sociétés humaines peuvent être considérées comme « justes » n'est pas une futilité de l'esprit. Ou, si vous préférez, existe-il une justice climatique naturelle ? Les changements climatiques, sur Terre, s’opèrent-ils de manière équitable entre toutes les sociétés humaines ? Ou bien doit-on considérer d’emblée cette notion comme le produit d’une conception ainsi que d’une volonté purement humaniste ?