11 Octobre 2016
Chapitre 14
Une sobriété bien heureuse?
Comme je l’ai mentionné à maintes reprises dans ce dossier, Chaïb el Haidi Latrèche, feu époux de Nouara, aura été un de mes tous premiers héros algérien. Bien que de nombreux témoignages attestent de son héroïsme en temps de guerre d’indépendance, malgré toutes les fabuleuses aventures qu’il a dû éprouver dans sa jeunesse de nomade transhumant, il n’est pas de ceux dont les démagogues en tout genre sont si friands à rendre populaires. Histoire d’alimenter la mythologie nationale qui servira le mieux leurs propres intérêts privés.
Il ne s’est d’ailleurs jamais vanté, ni d’avoir risqué sa vie pour obtenir sa liberté de père de famille, ainsi que celle de fils de son peuple. De ce que j’en sais, il considérait qu’il avait ainsi rempli le même devoir qui le liait au Ciel autant qu’à sa plus proche famille. Mais ce n’est pas vraiment son côté guerrier qui m’aura surtout fasciné, ni encore moins sa façon si peu pertinente d’être père au 20ème siècle. Ce que je trouvais plutôt d’héroïque chez lui, c’était sa manière de vivre encore l’Algérie en 1984; année où je le rencontrai pour la première fois.
Tel héros donc, à mon sens et j’espère bien le vôtre, aura toujours cette supériorité indéniable sur la plupart de nos autres idoles, qu’elles soient algériennes ou non. Celle d’avoir été bien réels dans notre vie, tout en chair et en os. Non qu’il soit unique en son genre ; son époque avait forgé des centaines de milliers d’hommes et de femmes de sa trempe. C’était, certes, un Monsieur tout le monde. Mais pas n’importe qui non plus, et pas seulement pour moi. Je pense que nous portons tous dans la mémoire de notre cœur un tel personnage extraordinaire. J’espère sincèrement et de tout le mien que vous avez eu cette chance. Si ce n’est pas le cas, je vous conseille de faire en sorte que vos enfants partagent la compagnie de tels vielles dames et vieillards de nos campagnes ; qui se font, certes, malheureusement de plus en plus rares à survivre ; tant au temps qu’à la nature de plus en plus toxique de notre environnement.
Qui sait, si ce n’est pas cette identité entre nous qui aura poussé certaines et certains d’entre vous à suivre mes nombreuses publications dédiées à l’écologie en Algérie. La mémoire de ces arbres dans nos vies. Si, depuis quelques articles déjà, je me suis permis de ramener ma réflexion à mon propre douar, ce n’est en aucun cas par nombrilisme ou bien régionalisme. J’aimerai vous rassurer à cet effet ; cet exercice s’inscrit dans une logique qui considère que ce pays est notre maison commune. En quelque sorte, nous sommes tous parents les uns des autres, non pas par forcement le sang, mais au regard de cette manière commune d’être humains.
Libre à chacun de croire qu’il est possible de s’affranchir de sa nature en s’inventant ou se reconnaissant d’autres identité qui paraissent mieux leur convenir. Si cela peut les rendre plus heureux, et qu’ils n’ont pas la désobligeance de déranger les convictions d'autrui. Alors je serais également heureux de ne pas chercher à perturber leurs propres croyances. Je ne suis pas non plus un grand adepte de la tribalité et je suis persuadé que l’on peut être sincèrement lié à quelqu’un qui n’est pas de votre sang ou de votre famille. Je sais également que le contraire n’est pas toujours évident, que comme on dit chez nous « là où il y a ton sang, ll y a aussi tes soucis ! ». Etre parents, ici, c’est tout simplement, ainsi qu’à mon humble sens, être conscient que quelque chose nous lient tous et toutes, que nous voulions ou pas. Que nos affinités soient en résonnance ou bien totalement antagonistes. Etre conscient de cela, pour ma part, ne m’interdis en rien de me considérer une autre forme de parenté avec tous les humains sur Terre, et même envers tous les êtres vivants. A la différence près que je ne mange pas d’êtres humains pour exister, me direz-vous? Certes, mais combien de vies sont exploités, broyées, dévorées même, exploitées à la chaine, dans les coulisses tiers mondialistes du Marché mondial ? Pour que vous et moi ayons l’impression de ne jamais en avoir assez pour le moindre prix...
En ce qui me concerne je suis Algérien comme le cheval Barbe sera toujours un cheval Amazigh de nature, où qu’il soit élevé à travers le monde. C’est d’ailleurs tout ce qu’il tient de son environnement originel, de ses ancêtres, qui faitt la particularité de sa valeur. Un cheval Barbe élevé en Angleterre, n’est pas plus Anglais qu’il est Barbe de la même manière que s’il avait été éduqué en Arabie Saoudite. Ils portent pourtant tous les deux en eux, un héritage commun, celui de nos ancêtres, qui ont accompagnés l’évolution de leur espèce ; au grès des prérogatives, bien plus complexes, de celle de notre peuple.
Ce que nous aimons de la même manière chez le pur-sang Arabe n’appartient pas à l’Algérie. Nous ne faisons que cultiver en eux la nature la plus fidèle d’un désert qui ressemble au Sahara, mais n’en a pas connu le même développement ancestral. A leur tour, ces purs sang arabes d’Algérie auront leur manière bien particulière de rester des Arabes avant tout. J’ai le souvenir récents d’Algériens de Laghouat, éleveurs passionnés de sloughis arabes, qui s’étaient presque métamorphosés en de véritables bédouins ; pour mieux coller à la nature de leurs chiens, et donc en faire l’élevage le plus authentique possible !
Mais revenons plutôt à mon héros, c’est bien lui qu’il s’agit avant tout de vous parler. Avant même qu’on me la raconte après sa mort, j’avais pu déjà me rendre compte, enfant, à quel point sa vie méritait mon admiration. De son vivant, beaucoup de ce qu’il incarnait dans sa vie quotidienne rendait légitime le grand respect qu’il aura toujours inspiré autour de lui. La crainte, même, car il était aussi bienveillant avec ses amis que intraitable avec ses éventuels agresseurs. A son arrivée dans les terres de Guerbes, les familles « locales » n’ont pas été des plus tendres avec lui. A l’époque, et encore aujourd’hui d’ailleurs, dans bien des douars, les affaires d’hommes se règlent avec le bâton, et parfois même le sabre. Il n’était pas du tout gauche à manier ni l’un, ni l’autre, mais, il me semble, que son arme la plus efficace pour régler les disputes étaient un sens du langage des plus raffinés, à la fois sobre et redoutabelent inscisif. Nouara ainsi que la Vie lui offrirent, de plus, dix vaillant fils, ce qui lui permit autant de prospérer, tout en assurant la sécurité de son Douar. Rien de plus, d’ailleurs, car il ne cherchait jamais à se saisir du bien comme du dû des moins forts ou plus pauvres que lui.
Encore aujourd’hui, à des dizaines de kilomètres à la ronde de son douar, quand je prononce son nom pour me présenter dans un des rares endroits de la région que je n’ai jamais pas encore visités, je suis alors accueilli avec de sincères « Allah i berek ». Comme si j’avais tout simplement prononcée une formule magique. Toutes les portes fermés à l’étranger malveillant me sont alors ouvertes ; il ne fera plus aucun doute à mes hôtes que je dois être un fils de bonne famille, puisque disciple d’un tel maître.
C’est d’ailleurs souvent l’occasion pour moi de récolter quelques anecdotes sur lui, de constater à quel point sa parole ainsi que sa générosité avait rayonné sur son douar. Sans le savoir, enfant, je fis déjà de lui mon plus sûr mentor ; de ce que j’allais considérer bien plus tard comme les fondements d’une maâna écologique algérienne moderne. Non qu’il ait fait de moi un vrai douari, aguerri à toutes les natures de sa région. Il m’avait seulement appris la substance de choses, en me la montrant sous le prisme de son laboratoire, la nature. C’est en cela que je me considère l’âme d’un Douari des Temps modernes, plus que celle d’un écologiste algérien. Et je n’ai vraiment rien d’un écologue pour vous parler de nature algérienne autrement que je m’applique à le faire depuis tant d’années déjà.
Il ne m’aura pas fallu, en effet, attendre de lire le très perspicace et talentueux visionnaire Ivan Illich, un des pères fondateurs de l’écologisme européen. Ni de me plonger dans bien d’autres manifestes écologistes, ou bien de consulter de nombreux essai s ainsi que des études traitant d’écologie, comme d’histoire de l’environnement. J’ai pu, enfant, il me semble, comprendre et surtout éprouver de manière empirique une « austérité conviviale » qui est considérée par notre société algérienne moderne comme une véritable injure à leurs aspirations contemporaines.
Le contraste qui existait déjà entre mon cadre de vie parisien, et cette odyssée de la nature algérienne, dans laquelle je m’immergeais pendant de longs moins d’étés, elle aura suscité très tôt chez moi de profondes interrogations existentielles. Qui avait raison ? Mon grand-père d’adoption ? Ou bien ce monde de démesure qu’il semblait refuser à sa progéniture ? Sa famille qu’il faisait vivre dans des conditions inutilement austères, du moins en apparence, au regard des moyens financiers dont ils auraient pu disposer pour moderniser leur cadre de vie.
De même, j’ai eu la chance de rencontrer un jour, chez lui, Pierre Rabhi, autre chantre, plus médiatique et vivant, de la « sobriété heureuse ». Cela ne m’a rien apporté de plus que ce que je pouvais apprendre en Algérie sur l’écologie ainsi l’environnement, avec tout le grand respect que je dois à son hospitalité. Avec Ivan Illich, outre bien des idées communes, il me semble, ils ont ce point commun d’avoir pour idole, Saint François d’Assise, considéré par beaucoup comme le saint chrétien des écologistes européens. Mon héros à moi n’était pas un saint, pas même musulman pratiquant, loin de là, il n’a jamais prié, mais il croyait néanmoins sincèrement en Allah et en vénérait la grandeure en prenant soin au possible de sa part de Création dont il se sentait responsable.
Il avait pour lui la légitimité de ces gens qui veulent vivre et laisser vivre autour d’eux, sans jamais se laisser aller néanmoins à la médiocrité. C’était comme beaucoup de patriarches locaux un dictateur éclairé, certes, dans la pure tradition des fantasmes populistes algériens. En fait, il savait mieux élever les animaux que les êtres humains. Pour sa décharge, il n’avait pas eu de père pour lui montrer comment aider ses enfants à relever tous les défis, mais aussi les ’embûche de la modernité industrielle; qui annonçait la fin de la sienne. Lui-même aura participé à cette invasion, il ne s’en est d’ailleurs jamais caché quand, plus jeune, pour nourrir sa famille, il se fit petite main des trafics locaux de sables ou de charbons.
Quand son troupeau se fit inutilement trop gros, comparé à ses besoins ainsi que les privations qu’il s’imposait. Encore plus, quand l’écosystème qui l’avait abrité ne put soutenir le développement économique qu’il envisageait pour son douar. Et encore ! Je connais trop bien la région, la nature de ses gens... il était de loin un des plus raisonnables et le moins gourmands. Lui au moins ne brûlait pas les forêts, veillait à changer constamment les trajets de ses pâtures pour laisser la végétation se régénérer. Il respectait tous les arbres de ses terres. Il faut dire qu’il circulait une légende à ce propos, le liant à un pacte avec des esprits saint qui habiteraient, selon la rumeur locale, les forêts et maquis environnants. Il était le gardien écologique des lieux et, dès lors qu’il faillirait ou laisserait déroger à cette mission, il perdra tout en une seule nuit...
Il sembla respecter longtemps cet avertissement, mais, il voulut un jour grandir trop vite, parce qu’il connut la richesse trop vieux et qu’il n’eut pas le temps de prospérer tout en prenant celui d’éduquer correctement ses enfants. Non qu’il les ait mal élevés, loin de là, ce sont des gens tout à fait respectables et admirables dans leur lutte quotidienne pour la survie. C’est juste qu’il n’ait pas su leur transmettre son amour de la nature algérienne, du moins à si peu de ses enfants. Et qu’à cause de cette tare, ils ont quasiment tous finis bien plus misérables que leur père ne l‘a jamais été dans ses pires moments d’errance.
Certes, à présent, ils disposent de tous les minimas d’une commodité dite moderne. Chauffage électrique, télévision ; frigidaire, machine à laver, téléphone portables, tous les apparences d’une vie comme sur les écrans de télé semblent affichés dans leurs nouvelle manière de vivre. Mais dans leur gourbis en béton humide, racordés à des égouts qui n'ont que le nom de cette structure, là ou à l'Antiquité ,certaines grandes villes algérienns en était déjà munies. Ils vivent au jour le jour, seulement de gains rapides, sans autre formation que leur métier de berger ou d'agriculteur qu'ils n'ont même pas appris à aimer. Ils sont à présent la merci du moindre coup dur.Ou on du apprednre une autre rofession, sans avoir jamais été vraiment sérieusement à l'école. Ils n’ontpas su, eux non plus, comprendre tout ce qu’ils auraient pu gagner à suivre certains exemples de leur père, au lieu de croire qu’une vie plus confortable et ostentatoire pourrait forcement les rendre plus heureux.
Non que cela ne soit pas forcementle cas, mais le confort moderne, sans une éducation et donc des repères modernes ne donnent souvent que les pires arriérismes écocidaires. Oui, quand mon cousin Lakhdar croit qu’il suffit de gorger sa terre de pesticides pour avoir une bonne récolte et faire fortune ; qu’un arbre qui pousse sur son champ est un adversaire dont il faut à tout prix se débarrasser, non seulement il jure avec tout ce qu’aurait pu lui apprendre son père, mais il fait preuve d’un arriérisme qui fait l’agriculture pétrochimique la pire tare héritée du siècle mondial dernier.
Mais, bien des ruraux de sa générations auront au moins intégré la nécessité d’éduquer leurs enfants ; là aussi, cependant ils sont victimes de fantasmes, croient qu’il sera plus utiles pour leurs enfants ou bien pour notre pays d’en faire des médecins, des commerçants, des avocats, plutôt que les agriculteurs et éleveurs du 21ème siècle algérien. Capables de produire à la fois de la quantité, mais toujours avec les soucis de qualité. A la fois connectés à nouveau à la nature par des liens sains, mais aussi à nos villes, comme au reste du monde. Parce que outillés de repères moraux, d’idées modernes, pour surfer sur toutes les vagues du modernisme industriel qui n’est plus seulement occidental, et cela depuis des lustres ceryes si peu anciennes.
Mon grand oncle, lui, comme tant d’autres hommes et femmes de sa génération, pratiquait un art de vivre, une maâna d’exister, dont le sens le plus essentiel pouvait se résumer en un seul mot : « El Hamdoulillah ». Certain pourrait apprécier cette philosophie de la vie comme une résignation face à l’infortune ; je leur répondrais que j’ai eu la chance de connaitre bien des gens comme lui qui, malgré leur richesse matérielle, ne portaient à ce pouvoir que la qualité d’un moyen d’accomplir leur tâche sur Terre. Pour lui, il me semble, les choses étaient simples, il voulait garder le plus longtemps possible en vie son douar tel qu’il l’avait bâti bien plus jeune en débarquant ici. Ses millions de dinars amassés tout au long de sa vie ne servirent qu’à cela. Peut-être un peu trop d’ailleurs.
Non que cette austérité fût forcement heureuse pour tous les gens qui vécurent sous sa responsabilité. Je me souviens à quel point il imposait des conditions terriblement drastiques à son entourage. A chacun de mes séjours chez lui, moi qui n’étais déjà pas bien costaud, je perdais au moins 10 kilos. Mais je prenais également du souffle, du muscle même ; à vivre dans un monde où la moindre tâche quotidienne s’accomplissait quasiment toujours à la force des bras, ou bien des animaux, en tout cas si peu des machines.
Mais je me mets aussi à la place de mes cousins, qui étaient alors tous de beaux gaillards au corps secs et authentiquement musclé, à mes cousines, de pures bombes de la nature algérienne fascinées par un nouveau monde ou elle semblait avoir plus de liberté rien que par les moyens de cette beauté, pensaient-elles naïvement. Il a dû être un peu excessif avec sa famille pour qu’à présent, une fois capable de subvenir à leurs propres envies, ils ont fini pour la plupart par ressembler à de grosses baudruches gorgés de graisse et de sucs lents. C’est à vrai dire comme cela que je reconnais les gens de Guerbes qui vivent encore dans leur douar à ceux qui s’étaient installé au village agricole : à leur taille pantalon !
El Haidi n’avait peut-être pas su assimiler qu’il n‘avait plus besoin de considérer sa vie comme une survie, mais un bien-être qu’il devait apprendre à rendre plus confortable pour sa famille. Ou bien était-ce parce qu’il ne pouvait pas s’imaginer d’autre bonheur que de vivre sa solitude parmi son troupeau, entouré de paysages majestueux, sauvages et raffinés. Un peu comme il avait dû le devenir à force fouler son sol, de nager dans ses lacs, ses étangs, ses plages. Avec son mode de vie, moitié ancestral, moitié tiers mondialiste, il avait survécu à bien des périls de l’existence, et, souvent, les armes de la modernité n’étaient pas en sa possession. Il est assez aisé lui pardonner son entêtement, sinon de le comprendre, au moins avec le recul de ce qu’il adviendra après sa mort de son douar.
Il est clair que l’austérité de nos anciens n’avait pas toujours pour effet d’être heureuse, mais de ce que des gens comme Nouara m’ont raconté, ils faisaient au moins tout leur possible pour la rendre au moins conviviale. Comment oublier que l’histoire de ma terre mère est jalonnée de cuisantes famines, dont certaines furent horriblement ravageuses parmi notre peuple ? Elles furent d’ailleurs pour la plupart le résultat de l’entreprise funeste de grands bouleversements écologiques et environnementaux. Largement provoqués par la colonisation française et selon toute les malséances morbides de l’Art de la guerre. C’est à dire à des fins de dénaturation progressive et totale des indigènes Algériens, que le pays où je suis né voulait garder pour l’éternité sous la coupe d’un vampire se donnant des airs de bon Samaritain.
Il me semble, à ce propos, que la propagande coloniale n’aura eu de cesse de faire circuler le cliché pervers d’un nomade « arabe » algérien, colon écocidaire du territoire dont il ne serait pas le vrai habitant originel. Celle d’un peuple analphabète, brutal, incapable de véritable civilisation, qui aura toujours dû attendre d’être envahi pour évoluer. Mercenaire, corsaire, maquisard, les images ne manquaient pas alors pour réduire la noblesse intrépide des Hommes Libres à qui on avait même depuis inventé certaines origines exotiques, afin de mieux les diviser.
Bien entendu, on fit tout pour minimiser également l’ampleur de l’immense foyer de modernité que recelait l’Algérie d’un Abdelkader qui n’aurait pas eu à préférer l’épée au livre, la guerre à la science et qui aurait pu visiter l’Exposition Universelle de Paris comme un chef d’état invité par une nation civilisée, c’est-à-dire capable de comprendre toutes les supériorités de la coopération sur l’oppression. Si peu d’entre nous, supposés être les « arabes » d’Algérie, connaissons la gloire passée des Numides, comme si leur héritage avait été monopolisé par quelques Algériens, convaincu d’être les derniers mohicans d’un peuple qui est arrivé pourtant au nombre de millions d’âmes. Encore moins celle et ceux qui vivent à l’étranger. Qui nous rappellera tous ce que nos ancêtres ont réalisés ? Tout ce que les Algériens, avant même de se nommer ainsi, firent en terre d’El Djazaïr, mais aussi bien au-delà de ses frontières. Heureusement, de tels héros, comme ces Algériens d’avant-hier m’ont fait pressentir qu’une tout autre nature algérienne existe, et qu’on s’applique presque à la perdre, tant elle est notre meilleur rempart contre une certaine forme perverse de modernité totalitaire et écocidaire.
Il y a pour moi trop de choses qui ne collent pas dans notre histoire collective, je veux dire, trop de versions différentes, politiques, ethniques, géostratégiques, tribales, pour je ne préfère pas me fier avant out à ma propre expérience du passé. Dans ce domaine, je préfère discuter avec des personnes âges, apprendre de leur propre bouche comment vivaient la plupart de nos « Ness Bekri ».
Là aussi je reste prudent, je connais trop bien notre talent naturel pour le conte ainsi que les ornementations cosmétiques. J’observe d’abord leur manière de vivre notre modernité, ce qu’ils ont gardé de la leur pour s’y adapter. Je suis régulièrement étonné par leur manière si particulière d’abord les outils dont leur jeunesse était parfaitement orpheline. Comment, également, ils résistent à nos nouvelles coutumes consuméristes, en se pliant à d’autres codes, une tradition plus ancestrale que celle que nous cultivons à présent. Je ne parle pas de coutumes importées par l’argent du pétrole que l’on veut me faire croire traditionnelles, là où elles ne servent que des desseins traditionnalistes et donc orientalistes.
J’ai eu la chance de voyager à travers nombre d’endroits où cette mémoire de la nature algérienne, ainsi que cette résistance au modernisme anti traditionnel persistait. J’ai été l’invité de tant de papys et mamies des quatre coins de l’Algérie, mis à part le Grand Sud. Je, peux affirmer sans l’ombre d’un doute qu’ils portaient tous et toutes en eux tout ce que j’ai tant aimé chez mon Grand Oncle ; que j’apprécie encore chez sa femme Nouara qui est encore parmi nous.
Cette identité, c’est-à-dire, ces ressemblances, me paraissaient suffisantes pour me sentir chez moi, dans mon pays, parmi mon peuple, là où je me suis rendu. N’en déplaise à celles et ceux qui veulent croire que leur manière d’être Algériens est à part, qu’ils ne sont pas identique au fond qui a fait varier toutes nos formes si subtiles d’être Algériens. J’assume ce postulat sans prétendre détenir la vérité. Il me procure juste beaucoup de sérénités et même de plaisirs quand je m’immerge dans chacune de ces Algérie dans l’Algérie entière. Je n’ai pas eu la chance de rencontrer ni de vivre le quotidien de ces Algériens dont je sentais l’écho raisonner en harmoniques dans bien des paroles, tant de gestes que je les ai vu accomplir devant moi ; en toute simplicité, juste par la force d’être soi-même. C’est donc ce qui m’aura toujours poussé à chercher des principes fondamentaux dans toute cette variété qui ne doit pas nous paraitre source de divergences, parce qu’agent de différences.
Pour ne pas se leurrer sur la nature ainsi que la condition de nos anciens, et en faire de faméliques ruraux abandonnée par toutes les providences du Ciel, il suffit de constater autour de soi à quel point nombre d’entre eux ont atteint un âge avancé. Mieux, tout le monde peut constater l’état de santé de la majeur partie de ces personnes âgées, plus particulièrement c elles et ceux qui auront toujours vécu en pleine nature, à l’abri des agressions écologiques de nos villes si peu modernes au fond. Puis, comparez le nôtre, celui de nos enfants, le cancer et nombre maladies qui commence à faire malheureusement des coupes de plus en plus incisives parmi nos rangs. Avec des scores bien plus funestes qu’aucune autre invasion qu’aura à subir à cette grande famille de l’humanité, notre vaste oasis commune, que devrait être l’Algérie pour tous les Algériens.
Alors peut-être nous comprendrons le fond de cette sobriété, qui n’est pas exempte de gourmandise, encore moins de générosité. Personnellement je me souviens de la silhouette fort sèche mais très athlétique de mon grand oncle, alors âgé de soixante-treize ans, que j’avais même vu assommer un solide gaillard de la trentaine ; en une fraction de seconde. A la manière de ces maîtres ninjas qui me fascinaient tant dans les films d’actions dont bien des enfants sont malheureusement aussi friands qu’on peut finir, adulte, accro aux sucreries ou bien au tabac.
Chaïb El Haidi, de ce que je me souvienne, n’avait pas du tout cette même fascination pour la nourriture à laquelle j’ai été éduqué en France. Il mangeait pour vivre, et cela en fonction des saisons qui s’opéraient autour de lui comme le décor d’un spectacle permanent peut cependant changer d’une saison à l’autre. En fonction des chapitres d’une œuvre de Sisyphe qui n’est en rien ici une malédiction, mais bien un des cycles les plus sain par lequel la Vie s’exprime, évolue, donne et reprend toujours à l’un ce qu’elle offrira à l’autre. Mais, Nouara, qui étaient bien plus gourmande, me racontait souvent les saveurs des plats d’antan ; toute la bonne santé que recélait le régime alimentaire qu’elle aura longtemps pu suivre ; quand sa ferme était prospère et que son douar croyait encore aux vertus de la vie en pleine nature....