Hier, au Centre International de Conférence Abdelatif Rahal, s’est déroulée une journée de présentation du programme de réhabilitation et d’extension du fameux barrage vert, organisée par la Direction Générale des Forêts, sous le haut patronat du Premier Ministre de même qu’en présence des Ministres de l’Agriculture et de l’Environnement.
Nous étions nombreuses et nombreux à attendre enfin des explications nettes, précises et sans langue de bois, à propos de la reprise de ce chantier titanesque qui, pour les uns fut un échec cuisant, pour les autres une demi-réussite.
Selon d’autres avis, il me semble bien plus critiques et objectifs, le Barrage Vert fut et demeure une entreprise dont la préparation, l’élaboration, ainsi que la mise en action aura été trop profondément entravée, voire polluée par des considérations d’ordre politique, au grand dam de la raison scientifique et du bon sens logistique
La première partie de cette journée fut d’ailleurs en grande partie dédiée à mettre en avant autant les nombreuses et cuisantes erreurs commises que les quelques victoires symboliques glanées ci et là. Quelques anciens DG forestiers, experts et hommes politiques impliqués dans cette aventure, hasardeuse qui aurait pu être une belle épopée, ont d’ailleurs été à la fois unanimes et armés de points de vue plus ou moins sévères pour décrire les coulisses du projet.
Rappelons-le, l’idée sur le papier, imaginée en 1974, était d’ériger un rempart essentiellement ligneux et donc d’arbres entre le Sahara et le Tell.
L’Algérie alors volontaire à se placer au devant de toutes les avant-gardes, avait décidé de faire de la lutte contre la désertification un de ses fers de lance. Au point que pendant près d’une décennie, l’armée « en personne » fut la tête ainsi que les bras de cette mission contre « l’avancée » du désert, puis plus tard celle de la paupérisation courante des régions des hauts plateaux.
Si l’on devait résumer dans quel état d’esprit elle a été accomplie, une image diffusée lors d’un film d’archive de la télévision algérienne parait criante à bien des égards : un engin détruisant un champ d’Alfa, rempart naturel par excellence contre l’installation du désert, afin d’y semer des couloirs de mono culture du Pin d’Alep, et d’y récolter ainsi, un peu plus tard, la plus gigantesque prolifération de la chenille du processionnaire ainsi que d’autres insectes rendus tout aussi voraces que nuisibles devant un tel étalage d’inepties écologiques.
Que dire de l’absence totale de vision sociologique, d’ingénierie comportementale, certes malgré une timide prise de conscience dans la seconde phase du projet, vers le début des années 1980 ? C’est peu dire que d’affirmer que le principal facteur qui aura condamné ce Barrage Vert à se déplacer des champs glorieux de l’histoire vers les sentiers de l’anecdote, est en immense partie dû à cette défaillance politique.
Peut-être un peu trop aveuglé par les mirages d’une promesse de postérité, on a ignoré l’implacable réalité que rien n’est possible sans y inviter les habitants locaux ; que reproduire des comportements colonialistes dans une des régions d’Algérie, les Hauts Plateaux, la plus farouchement attachée à son autonomie ne pourrait que condamner cette entreprise à l’échec le plus cuisant car durable.
Nous n’avons pas ici le temps de parler plus en substance du passé. Une littérature assez prolixe et objective sur le sujet est à la disposition des esprits curieux d’en savoir plus sur les tenants ainsi que les aboutissants de ce qu’il ne serait pas exagéré de qualifier de mythologie inachevée, tant elle permit la plus malheureuse des rencontres : celle de la folie des grandeurs et de la médiocrité pathologique.
Revenons en plutôt à cette journée de présentation, où, après un mea culpa sonnant et trébuchant, quelques présentations de formes d’universitaires main Stream, le fameux nouveau programme de barrage vert allait nous être présenté.
Force fut de constater malheureusement que cette présentation fut beaucoup trop succincte, pas assez précise sur les process de réalisation, beaucoup trop évasive sur ceux de son élaboration, résolument laconique sur les points les plus cruciaux que cette mise à jour devra intégrer pour ne plus reproduire les erreurs passées. Nous sommes, il me semble, restés éminemment sur notre faim.
Mais pas seulement, ce qui est ressorti de cette matinée officielle, c’est que les limites de tout un système politique, bureaucratique, clientéliste, comportemental ont une fois de plus contaminé un écosystème potentiel de bonnes volontés. Ce qui parait mettre avant tout en péril cette nouvelle tentative, n’a rien à voir avec la science ou même la logistique, mais sa vassalité avec une forme de gouvernance qui a fait son temps, qui ne pourra pas faire aboutir un projet aussi colossal, sans des prérogatives hautement participatives, inclusives, demandant des moyens humains aussi immenses que de larges efforts financiers.
Pourquoi ? Eh bien tout simplement et malheureusement parce qu’une fois de plus la matière grise sollicitée dans la lutte contre la désertification a oublié de la définir en profondeur,; qu’il ne s’agirait de pas planter une horloge publique sur un rond-point pour être « moderne », mais avant tout de comprendre le sens du temps mécanique et encore plus de savoir maintenir cette horloge constamment à l’heure...
Quand, on plantera des millions d’arbres ici, ailleurs, plus au Sud, autant d’hectares de terres fragiles sont déjà laissées impunément à la merci d’une agriculture intensive facteur premier d’érosion des sols et donc à la source même du processus de désertification.
Ce n’est pas en premier lieu « la culture de l’arbre », vestige mental d’une propagande Eco-colonialiste d’un temps qui est censé avoir été enterré par notre indépendance, qui fera le meilleur rempart contre l’installation du désert dans nos terres du Nord. C’est au contraire la culture du Sahara ainsi que de la Steppe, c’est-à-dire la connaissance de leur écologie, de leur sociologie qui sera notre meilleure alliée et enseignement dans cette affaire.
C’est aussi la lutte contre une forme obscène et improductive d’agriculture, une manière tout aussi condamnable de construire, de concevoir l’aménagement de notre territoire, de gérer l’eau et encore plus de produire une matière grise nationale qui ne sera plus emprisonnée derrière une immense et large clôture d’idées préconçues, de mensonges historiques et d’amnésie culturelle.
N’oublions pas pour conclure, ce que l’étymologie du mot « désert » et donc « desertum » doit nous enseigner à ce propos. Car il signifie que le désert est d’abord un espace coupé de la civilisation, et donc une dimension où nature et culture ne se confondent plus, mais s’affrontent pour s'annihiler...