3 Janvier 2015
Toute dégradation de la nature en Algérie est le symptôme d'une crise de nature au sein de la société Algérienne (photo: Tedjani K)
Pendant longtemps, on a très peu fait la différence entre le terme paysage et la notion de pays, auquel il est lié par la même étymologie latine, « pagus » qui pourrait signifier « petit pays délimité ». En effet, ce mot évoque à la fois un "petit canton rural" qu'une région qui aurait été balisée par des bornes.
C’est, en quelque sorte, une collection d’espèces vivantes, de reliefs minéraux, de cours d’eau et de tout ce que peut produire l’être humain au sein d’un espace dont on a subjectivement définies les frontières matérielles ou immatérielles. Le paysage est à la fois une notion géographique, artistique, écologique ; c’est un ensemble de choses ou d’idées qui interagissent au sein d’une même sphère. Objet de la vision ou vue de l’esprit, le paysage est une notion très intimement liée aux sociétés humaines et,plus particulièrement, à l’aménagement de leurs territoires. Il existe bien entendu des paysages que l’on pourrait qualifier de sauvages ; mais sauvage est forcément ici un positionnement relatif, par nature, à la civilisation humaine…
Il y aurait tant à dire et à penser à propos de ce mot aussi simple à utiliser que complexe à définir. Le but de cet article n’est bien entendu pas d'être académique et donc exhaustif ; je n’ai malheureusement pas assez d’esprit et d’érudition pour ce faire. J’aimerais de ce fait définir ou me permettre de réduire, ici, le paysage à un espace de rencontre et d’émulation entre une nature humaine collective et le territoire qui l’a forgé au fil du temps.
Il faudra m’excuser cette posture très subjective et tranchée par le fait, qu’ainsi convenue entre nous, elle me permettra de mettre plus facilement l’accent sur l’intime relation qui réside entre l’état des paysages d’un pays et l’état d’une nation, dans la définition la plus large de ce mot. Un état des lieux, un état qui gouverne, l'état d'esprit d'une société ect...
L’Algérie possède une collection de paysages d’une grande variété. On distingue généralement trois grandes zones territoriales pour cet immense pays: le Tell côtier, la région intermédiaire des hauts-plateaux et, pour finir, le Sahara. De ce triptyque très éclectique résulte, à mon humble avis, beaucoup de traits de caractères du peuple Algérie que je refuse, pour ma part, à considérer comme une invention, une créature de laboratoire, le résultat seul de vagues incessantes d’invasions étrangères.
Certes, les frontières de l’actuelle Algérie ont été dessinées par la France. Mais c’est un peuple qui en a développés les grandes lignes intérieures; une population dont la prime origine et présence sur terre de certains ancêtres remonte à la nuit des temps préhistoriques. J’ai assez photographiés de sites archéologiques, notamment dans la région de l’ancienne Cirta, pour en être convaincu. Dans les communes constantinoises de Ben Baddis et d’Ibn Ziad, j’ai même pu découvrir des endroits qui témoignaient de la présence d’êtres humains de la préhistoire à la présence romaine en passant par celles des Numides.Et quand bien même cette conviction ne serait pas confirmée l'ensemble des historiens; cela fait alors cinquante ans au moins que l'Algérie est officiellement terre et peuple et, il en sera dorénavent ainsi jusqu'à la fin des temps, inchallah...
Un brassage ethnique, certes, un bouillon de culture enrichis par les plus dynamiques civilisations méditerranéennes, orientales et africaines de leurs temps, sûrement. Mais aucunement une mixture, un "truc" sans origine propre, ni réalité environnementale. Tant mieux si cela peut rassurer les uns et les autres, de penser l'Algérie ainsi, et de croire à la suprématie supposée de leur "race" sur le reste de l'Humanité. Moi et tant de mes pairs ressentons de l'intérieur une histoire à laquelle ils n'auront jamais accès, aveuglés qu'ils sont par leur racisme ainsi qu'un nationalisme stupide. L'Algérien n'est pas meilleur que les autres, là n'est pas le propos; il a autant le droit d'être respecté pour ce qu'il est et qu'il peut apporter aux autres peuples de la Terre.
Chacuns des paysages algériens nous racontent, mieux que quiquonque, l’histoire de notre peuple, de ses transhumances, de ses heures de gloire ou d’exils passés; mais surtout de sa persistance, de son inventivité face à l'adversité. Le Chaoui et la Chaouia ressemblent à l’Aurès ; le Kabyle et la Kabyle incarnent le Djurdjura ; le Sahraoui et la Sahraouia, c’est le Sahara enfin humanisé ; les Mozabites ou les Soufis sont aussi accueillants et hermétiques que les portes d’un désert…
A chaque environnement naturel investi par l’Humanité, correspond un paysage humain aussi naturel. C’est l’équilibre, le résultat d’une équation parfaite entre une évolution humaine locale et un mouvement global, jusque-là continu : celui de la vie qui évolue sur Terre. Chaque particularité écologique régionale engendre des paysages ainsi qu'une une nature humaine en corrélation. Il est bien question ici de symbiose, de coopération, d’échanges mutuellement bénéfiques entre nous et notre territoire, inter agissant et connecté avec celui d’autres espèces vivantes qui ne partagent pas toujours les mêmes frontières que nous.
Les humains changent, évoluent ou sont en perpétuelle révolution. Ils tournent en rond comme la Terre, et, doivent sans cesse adapter leurs milieux et comportements aux changements climatiques majeurs qui rythment depuis toujours l’Evolution. Donc, pour conserver un paysage, il faudrait être capable de faire perdurer indéfiniment des conditions climatiques ainsi qu’ un contexte social censés être un « Age d’or » pour une communauté d’hommes et de femmes dans un espace collectif bien précis. Certes, mais admettons que même ce dernier n’est pas à l’abri d’évoluer au fil des âges. Impossible, peut-être même infructueux et inutile que de vouloir conserver ce qui ne doit pas être figé pour perdurer au sein d’un environnement toujours dynamique.
Mais évoluer, ce n’est pas implicitement renier certaines constantes qui peuvent être plusieurs fois millénaires, tant elles sont les garantes d’une bonne politique entre nos sociétés et l’environnement où elles évoluent. Tant que le Sahara sera égal à lui-même, que nos côtes seront aussi luxuriantes et fragiles d’un point de vue écologique, que la steppe doit rester un océan d’Alfa, une zone tampon entre le Tell et le désert, certains paysages ne devraient pas être corrompus par la globalisation des espaces humains qu’implique malheureusement la mondialisation forcée de notre Humanité qui s’impose à nous comme les prémices d’un nouvel ordre mondial ; l’ »agir local » d’une volonté de « penser global ».
A chaque paysage algérien qui se dénature, c’est-à-dire change sans préserver ces constantes vitales, et , c’est un peu de la nature profonde des Algériens qui tend à fondre comme neige sous les feux d’une armada de projecteurs dont les lueures artificielles ne font que singer la vraie lumière du jour et de la nuit. Chaque culture locale que l’Algérie ne laissera pas s’épanouir au point de la faire muter vers quelque chose de plus global et de l'aider à évoluer, de se moderniser tout en restant égale à elle-même dans ses fondements, alors fort est à gager que ce sera également le crépuscule d’un ou de plusieurs paysages algériens.
Souvent, de nos jours, malheureusement, ce que l’on remplace n’est pas meilleur que ce qui était; parce que l’approche de l’aménagement du territoire d’un pays « développé » doit correspondre à des normes internationales, pour ne pas dire globales. Tout le monde tend à se ressembler, tandis que la nature qui nous entoure et nous influence elle, est toujours unique, particulière à une géographie locale. Ainsi, en normalisant nos environnements, au mépris de leur nature et de celle de ses habitants, on détruit le lien le plus important qui doit résider entre un citoyen, une citoyenne, elle leur patrie : l’ampathie.
On déconnecte ainsi le local de sa localité ; on lui propose en échange un mode de vie standard qui formatera intrinsèquement la nature des paysages « originels » de ce pays. Je prends délibérément ces pincettes, quand j’utilise ces guillemets, à propos de la notion d’originalité, parce qu’elle ne correspond qu’à un balisage subjectif d’une histoire ; un point T . Comme celle d’ailleurs du climax, supposé état optimum et originel d’un biotope… Vaste sujet à dévelloper, tandis que le temps de conclure se fait de rigueur pour un simple billet…
C’est pour cela que l’on peut lire à livre ouvert l’état de santé physique et moral d’un pays à travers l’évolution de ses paysages.
Quand ils sont dans l’état général qu’ils accusent actuellement en Algérie, on ne peut que s’alarmer sur les effets d’une telle persistance à la dégradation. Est-ce l’avènement d’une triste nouvelle ou seconde nature algérienne à laquelle nous sommes en train d’assister, impuissants ? Pourquoi un si beau pays est-il devenu aussi sale et pollué depuis qu’il a obtenu son indépendance ? Est-ce le contre coup d’une enfance et d’une adolescence mal vécue pour l’Algérie d’après la guerre de libération et la fratricide deuxième bataille d’Algérie qui aura fait des centaines de milliers de morts et qui aura provoqué un exode rural massif si prompt à modifier en profondeur la nature jusque-là très rurale des Algériens, même quand ils étaient citadins.
Déconnection, à l’ère où de plus en plus d’Algériens se connectent virtuellement avec le reste du monde, voilà qu’ils ont oublié de se réconcilier physiquement et moralement avec leur nature propre , au sens matériel et immatériel du terme, c’est-à-dire celle d’un peuple et de son pays.
C’est cette réconciliation que nous devons à nos paysages, avant tout autre chose, car ils sont cadre de vie et ancrage identitaire pour des millions d’Algériens et Algériennes où qu’ils vivent à travers le monde. Nos paysages doivent ressembler à l’Algérie dont nous avons envie et la légitimité de croire et non à une caricature de ce pourquoi nos ancêtres sont morts afin de nous la léguer, libérée de pollutions exotiques...