Dans un contexte industriel, la notion de propreté est relative. Tout procédé qui permet de réduire la consommation de matières premières et d’énergie ou la quantité de déchets produits, y compris par recyclage, est dit «plus propre» ou plus respectueux de l’environnement. Il est possible d’évaluer la propreté relative des technologies utilisées et des technologies concurrentes, à l’aide de méthodes qui prennent en compte le cycle de production et la durée de vie des produits. D’une façon générale, avec l’arrivée de la biotechnologie dans l’industrie, l’accent est mis non plus sur la réparation des dommages causés à l’environnement, mais sur la prévention.
Une solution «plus propre»
Aussi, les techniques de fabrication faisant appel à la biotechnologie peuvent se révéler être beaucoup plus «propres» que les autres techniques. La chimie des êtres vivants est bien plus efficace que les procédés chimiques classiques, et les déchets sont généralement recyclables et biodégradables. Dans le secteur de la galvanisation, par exemple, le remplacement d’un procédé alcalin par un procédé biotechnologique permet de réduire de moitié la quantité de boue d’hydroxyde rejetée et d’utiliser dix fois moins d’eau. En chimie fine, la production de céphalosporine (un antibiotique) par voie biotechnologique et non plus chimique entraîne une baisse considérable des dépenses destinées à la protection de l’environnement.
Divers procédés biotechnologiques permettent de réduire la production de déchets et la consommation de ressources naturelles tout en provoquant une baisse des coûts. Dans le secteur des pâtes et papiers, le remplacement des procédés thermomécaniques par le biopulpage – procédé qui consiste à traiter les matières lignocellulosiques à l’aide d’un champignon – permet, par exemple, de réduire jusqu’à 30 % la consommation d’énergie. L’utilisation d’enzymes (biocatalyseurs) pour décomposer la cellulose du bois peut accélérer le traitement et entraîner des économies d’eau et d’énergie appréciables. Dans l’industrie de la pétrochimie, par exemple, les scientifiques cherchent actuellement à développer des biocatalyseurs plus fiables susceptibles d’être utilisés à plus haute température tout en continuant de fonctionner à des températures inférieures à celles requises dans les procédés classiques.
Intégrer la biotechnologie dans l’industrie
Les procédés biotechnologiques ont été améliorés et aujourd’hui, ils sont en mesure de concurrencer les autres technologies. Ils sont largement utilisés dans l’industrie chimique – plus particulièrement en chimie fine et dans l’industrie pharmaceutique –, dans la production des pâtes et papiers, le textile et le cuir, l’agro-alimentaire (y compris l’alimentation animale), les métaux et les minéraux, et le secteur de l’énergie. Dans les pays industrialisés, ces secteurs représentent entre 30 et 50 % de l’industrie manufacturière. Généralement perçus comme de gros pollueurs, les procédés biotechno-logiques leur ont permis d’améliorer leur image et, bien souvent, d’augmenter leurs rendements.
L’une des perspectives les plus intéressantes offertes par la biotechnologie concerne le bioéthanol, un carburant automobile liquide produit à partir de résidus agricoles qui pourrait être amené un jour à remplacer une grande part de l’essence. Contrairement aux carburants classiques, le bioéthanol ne contribue pas à la formation de gaz à effet de serre. Son prix n’est pas concurrentiel, mais il pourrait le devenir. Au Laboratoire national des énergies renouvelables aux États-Unis, on espère qu’en l’an 2000, le prix de l’éthanol produit à partir de biomasse pourra concurrencer sans incitations fiscales celui de l’essence.
La biotechnologie trouve des applications très diverses. Elle permet d’améliorer la fermentation à grande échelle en faisant appel à des organismes vivants, notamment pour la production d’éthanol. Elle permet aussi l’utilisation de fragments de biomolécules comme détecteurs dans des dispositifs d’analyse, notamment pour l’identification de virus. Ses applications industrielles ne cessent de se multiplier : les nouveaux -enzymes (ou biocatalyseurs), les organismes recombinés et les extrêmo-philes – des organismes qui vivent dans des geysers ou des cheminées hydro-thermales dans des conditions extrêmes de pression et de température –, peuvent contribuer à améliorer l’efficience et la propreté des industries.
Diverses applications
Mais les bienfaits de la biotechnologie ne se limitent pas à l’amélioration des procédés industriels ; elle a aussi permis de créer toute une gamme de matériaux, notamment des plastiques biodégradables, des biopolymères et des biopes-ticides, des fibres nouvelles et même du bois de construction. Certains matériaux servent à la fabrication d’assouplissants textiles, inhibiteurs de corrosion, véhicules d’encre, solvants, produits capillaires et parfums. Pour tous ces exemples, ce sont les déchets produits qui peuvent être biodégradables.
Des obstacles scientifiques et technologiques
Au vu de tous ces avantages, on a du mal à comprendre pourquoi la biotechnologie industrielle n’est pas plus largement utilisée. Longtemps, les industriels ont craint que les procédés biotechno-logiques ne soient moins efficients, les coûts et les risques plus élevés et leur exploitation à grande échelle problématique. Ces craintes n’ont plus de raison d’être, mais des goulets d’étranglement et des difficultés persistent.
Certains obstacles scientifiques et technologiques demeurent en effet. Les procédés nouveaux exigent des dépenses d’équipement et des coûts de développement souvent élevés. Les procédés biotechno-logiques peuvent être incorporés dans les installations et les équipements existants sans qu’il soit nécessaire de les réorganiser ou de les modifier de façon radicale. Aussi, beaucoup de problèmes techniques sont résolus par la mise au point de bioréacteurs de conception nouvelle.
Les travaux de recherche se poursuivent sur la technologie de l’ADN recombiné, l’ingénierie des procédés biologiques, la mise au point de nouveaux bioréacteurs et la recherche d’autres organismes vivant dans des conditions extrêmes. Il existe une multitude de micro-organismes inconnus et non exploités qui pourraient être utilisés comme biocatalyseurs. On peut aussi obtenir des protéines et des enzymes dotées de caractéristiques et de propriétés nouvelles en améliorant les formes existant à l’état naturel, au moyen par exemple de la technique dite de l’«évolution dirigée», qui permet d’adapter les enzymes à des applications spécifiques.
Des conditions d’exploitation différentes
Un autre obstacle qui freine l’entrée de la biotechnologie dans l’industrie tient simplement au fait que la formation des ingénieurs et des concepteurs industriels ne comprend généralement pas l’étude des processus biologiques en conditions industrielles. En biotechnologie, la nature des matériaux, les équipements et les conditions d’exploitation sont si différents que les ingénieurs et les agents d’exploitation doivent recevoir une formation spécialisée et sont, de ce fait, moins à l’aise qu’avec des procédés plus familiers.
Dans le domaine de l’environnement, l’opinion publique est un puissant levier qu’il importe de maîtriser. C’est principalement sous la pression du public que l’essence sans plomb et le recyclage se sont répandus. Les modes de vie ont évolué et la demande de produits plus propres a progressé. L’attitude des décideurs en a été modifiée, de même que le comportement des entreprises. Bon nombre d’entre elles réservent aujourd’hui une place importante dans leurs stratégies commerciales à la communication sur les questions d’environnement, soit par le biais de la publicité télévisée, soit en invitant des groupes de consommateurs à participer à l’élaboration des décisions.
Toutefois, les campagnes d’information ne peuvent à elles seules mettre le public en confiance. Pour éviter les confusions et dissiper les craintes infondées, des explications doivent être données, notamment sur les aspects réglementaires de la biotechnologie. L’éducation joue donc ici un rôle primordial. Cependant, comme dans le cas des transports aériens, ce ne sont pas vraiment des explications techniques que réclame le public. Il s’agirait plutôt de lui démontrer, pour gagner sa confiance, que la biotechnologie industrielle est un domaine rigoureusement maîtrisé, soutenu par des organismes publics responsables. Cela implique un débat ouvert et transparent.
Les gouvernements ont aussi leur rôle à jouer pour encourager l’utilisation de la biotechnologie dans l’industrie. Qu’il s’agisse de la législation, de la qualité de la réglementation, de la clarté des directives gouvernementales, des normes, de la politique d’achats publics ou des aides publiques à la R-D, tous ces facteurs peuvent encourager ou dissuader, accélérer ou ralentir le progrès dans ce domaine.
Bien entendu, les gouvernements ne peuvent faire cavalier seul. Ils doivent, eux aussi, évoluer au rythme de l’innovation. C’est pourquoi la collaboration avec l’industrie est importante, notamment pour améliorer la R-D. Les scientifiques doivent eux aussi communiquer avec les gouvernements, l’industrie et le public, pour expliquer la portée de leurs découvertes, de leurs idées et de leurs projets.
Une industrie «plus durable»
Les conventions et les accords internationaux confèrent une dimension internationale aux politiques de promotion des technologies propres. La Conférence de Rio sur l’environnement et le programme Action 21 ont constitué des étapes importantes. Les gouvernements ont reconnu qu’il existait un lien entre la mondialisation et le développement durable et qu’un équilibre devait être recherché dans ce sens.
La propreté de l’industrie reste une notion relative. Une chose est sûre : s’il est urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, cela ne doit pas se faire au détriment de l’économie. Grâce à la biotechnologie, l’environnement et l’économie peuvent désormais se renforcer mutuellement. Il est primordial de faire passer ce message : cela permettra de se doter d’une industrie plus durable, mais aussi de briser une fois pour toutes le lien soi-disant «indestructible» entre industrie et pollution.
© L’Observateur de l’OCDE, Nº216, Mars 1999