30 Septembre 2016
Chapitre 9
La vérité se nourrit autant de mythes que le contraire
J’aimerais à présent, vous dresser quelques courts portraits d’Algériens, qui furent parmi les plus intimes à mon éducation écologique. Tous et toutes enfants d’une époque qui remonte à si loin et fort peu de temps à la fois ; selon que l’on placera leur génération sur l’échelle du cycle d’une vie humaine, des siècles, ou bien au-delà, à la mesure du temps des Peuples Mais, avant cela, il faudrait mieux vous expliquer pourquoi je vais prendre le temps de le faire ; pour vous parler de l’écologie que j’espère se développer dans notre pays, comme pour le reste du Maghreb, d'ailleurs. Comme elle pourrait se penser partout ailleurs, au fond.
En ce qui me concerne, ces héros de mon enfance m’auront appris beaucoup de choses sur la nature passée et actuelle de mon pays d’origine, mais aussi sur la nature en général.Et cela bien plus que n’importe qui d’autre en Algérie n’a pu le faire depuis. Pourtant, je pense avoir eu la chance de rencontrer ou d’écouter quasiment toutes celles et ceux qui activent chez nous, dans le vaste domaine de l’environnement. D’ailleurs, en rien je ne voudrais réduire ici toute l’importance de ce que ces gens m’ont appris. D’autant que ce fut souvent avec une grande générosité ainsi qu’une patience que je ne peux que saluer par la plus profonde des gratitudes, ainsi qu’un immense respect.
C’est juste, que, il me semble, tous ces centaines de contemporains algériens, souvent considérés comme des experts dans leur domaine, auront surtout veillé à me confirmer ou parfaire un enseignement que j’ai commencé à acquérir dès ma plus tendre enfance ; juste en côtoyant quelques personnages très haut en couleurs de mon entourage familier. Avec eux, je me suis armé de l’essentiel, je pense, pour espérer comprendre un jour l’Algérie d’aujourd’hui.
J’espère, surtout, envisager avec vous, muni de cette expérience, une autre nation algérienne, plus juste et sereine que celle qui s’offre à nos yeux comme un paysage trop souvent morne et infertile. Là, où la vie devrait grouiller de tous ses rayonnements les plus bénéfiques, nous constatons que toutes les formes de pollutions possibles, matérielles ou non, s’activent à nous faire admettre tout le contraire.
Loin de penser cela comme une fatalité insurmontable, je préfère nous inviter à imaginer une autre Algérie, ensemble, pour un avenir que j’espère le plus proche possible. Histoire de voir grandir au moins quelques graines d’espoir, que j’ai vu semer ici et là dans ce pays; éclore en de vigoureux arbrisseaux, tous parés pour devenir un jour de beaux arbres épanouis; sous un soleil non plus de plomb, mais d’un or aux couleurs alchimiques des couchers d'un soleil promis à renaitre de toutes ses nuits...
Je ne peux prétendre cerner en tout la nature ni le destin mon pays d’origine, notamment dans bien des obscurs desseins politiques et géostratégiques où il s’est embourbé depuis son indépendance confisquée. Ce serait fort inconscient et naïf de ma part de penser cela ou de croire que je pourrais un jour connaitre les vraies coulisses du scénario d’une farce populiste qui n’a que trop duré pour être encore soutenable. Tant pour la santé d'un peuple que pour celle du territoire qui l'habite autant qu'il y est censé y habiter en toute paix de l'esprit et la santé du corps.
D’autant que je ne suis pas né ici, et que je ne vis encore qu’épisodiquement le quotidien des Algériens locaux ; même si de tels épisodes ont pu durer parfois de nombreux mois; que j’ai pu observer la société algérienne sous le prisme d’un objectif aux angles très vaste. J’ai autant partagé la galette de l’humble, que dormi dans des hôtels de luxe, pour rencontrer mon peuple dans ses identités, mais aussi reconnaitre les différences existant au sein d’une telle variété d’être Algérien, comme Algérienne. Paysans, ingénieurs, fonctionnaires, travailleurs informels, journalistes, scientifiques, politiques, acteurs de la société civile, gardiens de l’ordre publique, ouvriers, artistes, je ne pourrais faire ici la liste de tous les profils algériens que j’ai pu fréquenter et interroger lors de ma longue enquête qui dura plus de huit ans et m’aura amener à me rendre régulièrement dans une trentaine de wilayas algérienne.
Cependant, en ce qui concerne l’environnement, comme l’écologie, je pense avoir acquis au fil du temps et de mes voyages une idée assez précise de la chose, du moins telle qu’elle se réalise actuellement en Algérie.
Après des dizaines de wilayas visitées, de milliers de gens rencontrés, ma conclusion est que je pourrais presque résumer bien de mes idées et constats en me limitant à raconter la vie de mes héros algériens intimes. Les modes ont évoluées certes, beaucoup de choses ont changé depuis ces étés de début de fin de siècle où je vivais parmi eux l’Algérie comme l’oasis où se cultivait encore une certaine manière d’être. Mais, au fond, aujourd’hui, les problématiques restent-les mêmes. Elles n’ont fait qu’empirer à vrai dire, depuis que la plupart de ces héros ont rejoint le Ciel originel dans leur linceul de terre natale...Paix à leur âmes...Aussi loin que remonte ma mémoire, je n’ai plus jamais rencontré en Algérie de gens aussi proches de ressembler à des personnages de films, ou bien de livres. J'entends par là ceux qui font tant rêver les enfants...et non qui nous inspirent à conquérir le monde par tous les moyens possibles.
En tous cas, ils étaient et demeurent mes seuls vrais héros locaux ; et, si je n’ai eu de cesse de me sentir chez moi en Algérie, si je parle la langue de ma région d’origine maternelle, si je me sens parfois si fier et content d’être Algérien, c’est essentiellement à eux que revient ce noble mérite. Je ne pourrais jamais oublier que c’est à de telles personnes que je dois beaucoup de ce que je suis aujourd’hui. Et je sens bien à quel point ma vie est futile, et si peu remplie de sagesse, comparée à celle que je les ai vu endurer pour assumer le destin de leurs foyers. Mais je ne vais pas non plus me rendre coupable d’un certain idéalisme d’Epinal. Je pense qu’il manquait à cette génération un ingrédient que la nôtre doit à tout prix inculquer à ses enfants, comme à tous ceux qui pourront croiser leur destin...
Il parait qu’être moderne, au Moyen-âge, c'était réaliser à quel point les antiques nous étaient supérieurs moralement. Pour d’autres, justement, la modernité, c’est de se croire forcement plus intelligents que leurs prédécesseurs; de considérer le passé comme une matrice seulement d’archaïsmes à combattre de toutes les forces de la science, ainsi que de la logique matérialiste.
Moi, et tant d’autres, je le sais, considérons pourtant que la modernité est de réaliser que, dans chaque nouveauté, se cache une tradition revisitée. Il faut reconnaitre au passé toutes ses vertus, autant que d’aspirer à en filtrer tous les égarements. Ne dit-on pas que l’erreur est naturellement humaine ? Existe-t-il vraiment de héros infaillibles ? Je serais tenté de dire que ce genre de personnages n’existe que dans les propagandes totalitaires, les mensonges d’états, mais jamais dans la vie réelle, celle que vous et moi endurons au nom le plus souvent de mythes fondateurs. N’est-ce pas cette faillibilité de nos héros qui sera mère de nos aspirations à les rendre volonté de progrès ?
C’est d’ailleurs un très bon indice pour savoir où se situe une histoire nationale. Quand elle ne reconnait pas à ses héros certaines failles, quand elle ne remet plus jamais en question les choix politiques passés, alors une telle histoire devient seulement moraliste, démagogique. Elle combat le plus souvent la liberté en l’assommant, dans l’ombre de ses lumières artificielles, avec la même main qui la brandit pourtant sous nos yeux, telle une bannière rassembleuse.
Ce ne sont pas de grands héros populaires, ni des personnages de fictions célèbres dont j’aimerais vous narrer l’existence. Pourtant, ils auront été bien des fois héroïques dans leurs choix et gestes. Non pas pour l’amour de la gloire, mais pour survivre justement aux méfaits de cette maladie humaine ! Ils n’ont soutenu aucune chaire universitaire, et ne savaient même pas lire ! Je dirais que ce sont pourtant des experts d’une culture ou l’oralité joue un rôle de premier ordre. La survie au quotidien, mais aussi le bien-être pour les générations à venir. Voilà leur école, ma foi, et en existe-t-il de plus noble pour un simple quidam ? Des pères et mères de famille qui ont dû et sû composer avec quasiment tous les périls possibles d’un temps moderne à peine passé ; où la loi du plus puissant était ouvertement force de justice planétaire.
Qu’ils vivaient en ville ou bien à la campagne, je me souviens très bien qu’ils avaient une maîtrise ainsi qu’une connaissance parfaite de leur environnement ; ce qui les rendait plus créatifs et débrouillards que bien de leurs contemporains. Bien plus encore, leur langue était riche, poétique, complexe et variée en nuance. Les gens avaient une certaine éducation qu’aucun manuel scolaire ne pourra jamais nous enseigner comme la simple caresse bienveillante d’une grand-mère, ou la main ferme mais non moins chaleureuse d’un patriarche. Cette école n’a pas de professeurs, ni de maîtres imposés par des lois. C’est une affaire de maîtres, ainsi que de disciples qui se choisissent mutuellement, dès lors que les forces du destin les auront réunis.
A cette période, bien plus qu’aujourd’hui, l’Algérie me faisait l‘effet d’un Wild West nord-africain ; où tout était possible. Le meilleur et le pire, comme le pire du meilleur et le meilleur du pire. Mais, à la différence de notre époque, certaines valeurs morales régulaient bien des injustices, inspiraient des comportements sociaux plus responsables et respectueux vis-à-vis de la communauté. Un tel pays ne pouvait qu’enfanter que tels personnages dignes du plus lyrique des westerns spaghetti. Oui, pour moi, c’était en quelque sorte un « Oued-Stern Couscous », dont la brute, le truand ainsi que le bon se confondaient dans la nature de chacun des personnages que je vais enfin vous raconter dans mon prochain article...
Ce ne sont pas des héros dont vous pourrez apprendre l’existence à l’école, ou bien à travers le reflet coloré de vos petits écrans. C’est pourtant ce qui fait toute la force de tels démiurges, d’un ordinaire qui avait régulièrement les atours d’une odyssée quotidienne contre le déclin programmé d’un peuple indigène. Face à un de ses plus redoutables adversaires, non pas seulement, un pays, ni même un empire, mais bien contre le nationalisme impérialiste qui aura habité quasiment toutes les grandes puissances industrielles du siècle dernier. Un mal du Siècle qui aura fait bien des ravages, autant que moi, le petit parisien de Guerbes, je suis un pur produit d’une telle histoire; entre le monde de ma naissance ainsi que celui de mes origines. Une seule planète les héberge, certes, mais la distance qui pouvait les séparer, alors, pouvait nous mener jusqu’à une prochaine galaxie voisine. Il fallait franchir bien plus que la Méditerranée pour relier leurs réalités respectives...
Ces héros algériens, je les ai fréquentés, je les ai connus intimement, pour me faire une idée assez objective sur la vraie nature de leurs exploits, mais aussi de leurs plus grands échecs. Il ne s’agit pas ici d’avoir sauvé des foules en péril, ni d’avoir combattu des hordes assassines. Bien que je sache qu’ils ont dû en être capables dans leur jeunesse, ce n’est pas de cet héroïsme dont il s’agit pour moi de vanter les plus grand mérites. C’était celui de veiller tout simplement sur ses proches, de respecter ses voisins, et de ne pas exploiter la nature environnante comme une chose seulement utile à remplir nos ventres et combler le vide de nos âmes; orphelines d’un véritable esprit humain, authentique. Ce n’est peut-être pas le genre de vie digne de figurer dans les livres d’histoire. Certes, mais en tous cas le souvenir de leur mémoire relève d’un sens bien plus profond et radical, au sens qui fait référence à la racine de toute chose.
Je suis bien entendu tout à fait conscient et heureux que la plupart des adultes de ma génération vécurent la même chance que moi, de connaitre ce genre de héros dans leur environnement le plus intime. Un parent, un ou une amie de la famille, un voisin, une voisine, bref quelqu’un de proche qui nous aura inspiré pour grandir. Une personne qui aura donné un sens à sa vie tellement digne qu'il ne peut que nous inspirer humilité, respect, mais aussi énormement de tendresse.
J’ai rencontré d’ailleurs, en France, mais aussi dans quelques autres pays d’Europe, de tels arbres vivants. Ils m’ont toujours rappelé à une nature humaine que je suis, moi-même, si loin d’incarner au quotidien. Tant j’ai été éduqué par l’école, ainsi que les médias, à les ignorer ou bien à les penser comme secondaires. C’est justement, le plus souvent, en me rappelant de mon enfance algérienne, même si elle ne fut qu’estivale, que me vient l’envie ainsi que les moyens de résister, certes, tant bien que mal, à tous les comportements que j’aurais appris dès la naissance. Dans mon environnement le plus quotidien de consommateur de masse, né et éduqué dans une des villes les plus emblématiques du paradigme utilitariste industriel. Seuls mes séjours dans mon douar familial pouvaient me faire envisager qu’une toute autre vie était possible sans profiter de tous les conforts modernes. D’autres plaisirs, une autre science, des décors inédits...
Mais c’est également de cette double vie que j’ai compris que ni le train-train consumériste parisien, ni la sobriété « poétique » de l’Algérie profonde de cette époque ne pouvaient me paraitre totalement justes ; du moins à me satisfaire dans ma quête d’une vie heureuse, selon des critères qui ne peuvent qu’être personnels, certes.
Le fait est que je ne trouve ni l’Algérie, ni la France d’aujourd’hui capables de produire un modèle de société industrielle à la fois viable et soutenable pour le corps ainsi que l’esprit de cette planète, comme de ceux de l’être humain en général. A mon humble avis, il reste une modernité à inventer et, dans cette aventure, à vrai dire, aucun peuple "pauvre" du monde ne part si désavantagé qu’on voudrait bien nous le faire croire. Pour peu que l’on réalise que la technologie ne peut pas tout résoudre ; et que, pour l’acquérir, il faut développer surtout la nature humaine de son pays vers l’épanouissement, autant individuel que collectif. Ce n’est pas un mince challenge, et je pense au fond qu’aucune société moderne n’a encore vraiment réussi à accomplir cet acte d’héroïsme tant une certaine hégémonie mondialiste aspire à nous inculquer que seul tout le contraire n’est possible...
Tout le monde s'accorde à dire que le 21ème siècle sera plus spirituel que le précédent; et cela selon l'ordre des cycles des civilisations humaines. Qui sait...Il y a peut-être quelque vérité à prendre dans une telle croyance qui, forcement, ne peut être absolue si elle aspire à la justesse d'un milieu sain. C'est donc surtout l'esprit d'une génération d'Algériens que j'aimerais faire resurgir dans ma mémoire, ainsi que la vôtre, non pour l'idéaliser, mais pour tenter de le dépasser tout en respectant une certaine tradition morale et spirituelle.
Des vieillards, d’une vigueur que les flammes de mon enfance ne rendaient en rien pâlissante. Chacun, à leur manière, ils furent à la fois arbres et soleil de ma vie ; et moi tantôt le vers de terre, parfois l’oiseau, qui se nourrissait de leur substance, de leurs fruits mûrs; bien à l’abri du danger, sous leurs ombres protectrices, comme des éclairs de lumière lunaires face aux ardeurs d'un flambeau céleste. Parfois leur silhouette se faisaient oppressante ; colérique, mais toujours animées d’une certaine justesse, irréprochable, d'un certain point de vue. Car ces colères étaient inspirées par une logique qui leur aura permis de survivre à une des plus périlleuses périodes de l’Algérie moderne.
Si une telle époque revenait, comme ce fut déjà le cas depuis, serions-nous équipés de toutes les armes qui ont permis à nos ancêtres de survivre ? La génération qui aura subi de plein fouet la décennie de sang, n’a-t-elle pas été justement détroussée de telles armes mentales et comportementales contre la barbarie des empires industriels ?
Avec le recul, je me dis qu’ils étaient eux-mêmes le produit d’un temps algérien révolu ; autant qu’il porte encore dans ses logiques et morales bien des clefs de notre avenir. Certaines d’entre elles peuvent nous mener vers une écologie algérienne à la fois moderne, universelle, certes, mais bien particulière aussi. D’autres, doivent nous inviter à réaliser les limites de tels modèles ancestraux, comme, en grandissant, j’ai tenté de comprendre en quoi ces Algériens n’avaient pas toutes les armes en main pour affronter un Monde qui allait avoir raison de la nature profonde de leurs enfants.
Je ne saurais donc idéaliser autant ces héros et héroïnes de mon enfance algérienne, comme je suis revenu sur le cas de bien de mes idoles de petit parisien algérien. Pour moi, ils étaient déjà les victimes d’une vaste opération mondiale de dénaturation de la nature humaine. A bien des égards, ce qu’on leur aura fait subir peut être considéré comme le laboratoire de la nature humaine post-moderne que nous allons bientôt subir de plein fouet. Au détail près que ces anciens étaient encore munis d’un logiciel de valeurs, ainsi que de savoirs faire qui leur a permis de lutter assez efficacement contre une certaine forme de colonialisme des esprits qui aura dépassé de bien loin les seules frontières du territoire algérien.
C’est donc dans cette matrice empirique qu’il faudrait aussi chercher des principes, et non seulement des règles pour la modernité d’une Algérie qui n’avance pas, à force d’oublier pourquoi il est seulement nécessaire de savoir reculer d’un pas avant d’avancer vers l’inconnu.