2 Septembre 2016
Dans nos caddies de supermarché, la morale ne pése souvent pas plus lourd qu'une feuille morte emportée par le vent...
Chapitre six
"Un climat mondial d'injustices légales..."
Nous avons tenté, dans les articles précédents, de dégager quelques « principes » qui semblent universels à propos de ce vaste et fort complexe sujet qu’est la « Justice ». Pour ce faire, je me suis surtout attelé à analyser, certes en substance, les principaux symboles de Justice que l’on retrouve dans la majorité des sociétés dites « démocratiques ». J’ai montré très rapidement que cette symbolique avait une origine dont la tradition semble avoir en grande partie perduré dans l’iconographie justicière de ces nations contemporaines. Mais, à vrai dire, il me reste quelques précisions à apporter à ce modeste petit tableau symbolique de la Justice...
Tout d’abord, il me faut en effet ajouter le caractère très féminin que toutes ces cultures nationales donnent encore à cette notion. Je n’avais pas évoqué cela dans mon précédent exposé. Je me dois donc de réparer cette lourde omission. Est-ce en référence à toutes les déesses de la Justice que nous avons gardé ce genre symbolique pour la Justice ? Dont Maât, égyptienne, est une des plus anciennes incarnations mythologiques. Est-ce parce que l’image de la Femme est souvent associée à la notion de Vie et de Nature ? Et que depuis le Darwinisme social on dit même que ,« scientifiquement », la Nature fait aussi bien les choses que le Marché est une Jungle... où la loi du plus quelque chose sera indice de légitimité. Jadis, il est vrai qu’on se référait beaucoup aux lois de la Nature pour faire Justice ; une nature que le ventre fécond d’une Femme incarnait le plus souvent, dans ses plus primordiales expressions artistiques.
Ou bien, est-ce parce que la différence de genre entre ces deux mots nous éclaire sur leur relation ? Le monde de la guerre est souvent celui de dieux masculins, et le Marché est une guerre totale. La chasse elle, comme pour la déesse grecque Artémis, est un combat entre l’animal est le chasseur ; elle est acte de survie et non quête de domination et respecte un code moral. En ce sens, quand elle suit cette éthique, elle est une forme de justice naturelle. C’est sûrement à cause de cette nuance que dans cette tradition helléniste, Ares est dieu de la Guerre, tandis qu’Artémis symbolise la Chasse....
Il doit y avoir bien d’autres raisons si la Justice s’accorde au Féminin dans une grande partie des traditions du Monde. Je pourrais ajouter que le combat des femmes pour la Justice et l’égalité entre les genres est une des plus grandes et nobles lutte contre l’Injustice en général. Quelle plus grande injustice humaine existe-t-il, en effet, que de considérer les femmes comme des êtres inférieurs au genre masculin ?
On pourrait conclure sur l’image très positive de la mère, qui n’agit et ne juge pas qu’avec son bras, mais aussi avec une certaine sensibilité. La compassion, l’empathie, l’instinct de survie de l’espèce, sont généralement attribuée aux femmes, dans bien des culturelles traditionnelles. Comme à présent, on compare notre planète à une « Terre Mère ». Doit-on rappeller que le Féminisme, dès ses premières heures, a été très impliqué dans la naissance de l'écologisme moderne? Que nombres de ses femmes habitaient des pays dit "du Sud"? On souvent associé les injustices commises envers "Dame Nature" avec la condition de la Femme.
Revenons à présent au fil conducteur de notre réflexion, puisque nous avons enfin fait un tour assez raisonnable de notre précédent sujet. Car, si cet article se devait de commencer par cette digression essentielle, il est maintenant temps d’avancer dans un processus qui devra nous mener à juger du bien-fondé ou non de la notion de « Justice climatique ». Quels principes de justice, qui ne doivent seulement concerner le climat, pourraient ou devraient animer une telle volonté internationale pour un sujet aussi local que global ?
Il me semble que si les traditions de la Justice ont beaucoup de points communs, on ne peut pas en dire de même de leur façon d’aborder l’injustice. De plus, on peut facilement envisager que le critère actuel de « mérite », si cher à la Justice moderne, n’a pas toujours en odeur de sainteté l’idée de Morale traditionnelle. Certains n’hésitent pas à considérer même notre modernité comme « anti-traditionnelle ». Les critères de cette Morale peuvent, de plus, largement varier selon le côté de la balance des richesses où l’on se situe sur l’échiquier international ou social. Comment le riche peut-il vraiment trouver le monde du pauvre si injuste sans une morale commune à toute la société ? Que répondre à ceux qui considèrent que le plus grand mérite de nos sociétés industrielles, c’est d’aspirer à produire la plus grande quantité de "bonheur" pour le plus grand nombre d’individus et le moins d’injustices possibles ?Est-ce vraiment le cas d'ailleurs? Quand un petit pourcent de la population mondiale s'accapare les principales richesses de ce Monde? Suffira-t-il d'entretenir une bourgeoisies mondiale ainsi qu'une classe moyenne internationale pour faire accepter comme Justice le fait que seulement 20 pour cent de la Planète vit dans des conditions de "confort moderne"? Est-ce bien d'ailleurs un critère de félicité sociale?
Est-ce dont là que la Morale se situe vraiment? Dans le calcul de la quantité d’avantages et d’inconvénients à distribuer équitablement entre nous ? Mais uniquement selon son « utilité » pour la société et donc le « bien commun ». La « théorie de la Justice » de Rawls, si cher aux capitalistes de notre époque, n’aura jamais remis en cause cet aspect de l’idéologie « utilitarisme » qui sera très en vogue en Occident, et ce à partir du 19ème siècle. Nous avons peut-être depuis gagné l’illusion de « l’égalité des chances », mais pas forcément d’une répartition légitimement équitable des mérites. L’utilité, l’efficacité, la dictature de la quantité ont pris le pas sur la Morale « naturelle » ; elle est devenue surtout une moralité faite d’injustices « utiles » et de lois qui ne servent qu’une certaines catégories d’hommes et de femmes « méritants ». Le mérite de produire plus, de générer encore plus d’argent ; avec pour meilleure arme de propagande et de défense une injustice légalisée.
C’est ainsi qu’un jour, un état pourra vous demander en toute légalité de quitter votre terre ancestrale, parce qu’une autoroute devra y passer. Pour vous, à moins de trouver une compensation légitime à cela, une telle autorité légale ne pourra vous paraître qu’illégitime. Pourtant, pour des millions de gens cette offense à votre morale sera une véritable justice moderne. Celles et ceux qui l’emprunteront, dont certains seront employés dans les milliers d’emplois crées dans le sillon de cette infrastructure routière, et d’autres habiteront dans des agglomérations urbaines qui se construirons le long de son cours ce sera aussi légal que justice. Et nombre de politiques pourront argumenter de cette légitimité en toute légalité et surtout bonne conscience morale.
Jadis, on ne considérait la terre d’un ancêtre éminemment sacrée, comme certains espaces sauvages l’étaient aussi. Leur valeur avait pas de prix en pesant d’or ni d’autre monnaie d’échange matérielle. Personne n’aurait pu l’acheter en échange de quoi que ce soit d’ailleurs. Parfois, pour certaines raisons de Morale, profane ou religieuse, on s’interdisait par principe de construire tel ou tel chose dans tel ou tel endroit. Tout cela n’avait rien à voir avec l’utilité mais plutôt en fonction de croyances ancrées dans les gens à la mesure d’une Morale « ethnique ». Aucun n’état ou roi n’aurait pu justifier avec honneur leur profanation. Il était communément accepté que leur valeur fût plus que matérielle.
Imaginez tout le processus de Justice qu’il aura fallu pour faire admettre à un Américain que l’on ne pourra pas construire un centre commercial sur un terrain sacré pour les Indiens ? Par contre, dans les pays germaniques et scandinaves, dont les traditions mythologiques sont encore très prégnantes, il sera plus courant d’entendre dire que l’on aura empêchés les travaux de telle ou telle infrastructure publique, juste pour ne pas déranger une famille de castor. Savez-vous que, par exemple et encore de nos jours, le maire d'une ville islandaise a fait établir une carte des « invisibles ». Ce sont des êtres qui censés habiter sa région en bon voisinage avec les humains ? Une cartographie très officielle des habitats de lutins, d’esprits de la Nature et de tant d’autres êtres surnaturels ? Elle est consultée avec un grand sérieux lors des conseils communaux, afin d’aménager le territoire local. En Inde, pour une large partie des habitants, manger de la viande est un pêché. Tandis que chez nous, battre un chien juste parce qu’il passe devant vous n’est en rien une injustice ; mais, allez déranger une cigogne, et vous serez le plus souvent rappelé à l’ordre !
Ces quelques exemples nous montrent bien toute la bêtise qu’il pourrait y avoir à envisager la Justice comme seulement arithmétique et non essentiellement culturelle ? Autant croire encore que les règles de la Musique sont régies seulement par les lois mathématiques et physiques ! Cette vision date d’un autre siècle, il me semble, depuis notamment les travaux de Jacques Chaillet et de ses successeurs sur la notion de consonance et d’harmonie.
Qu’est-ce la Justice, même légale, sans la légitimité morale ? C’est une injustice légale. Ce qui veut dire que la Morale, ici, plus que le bonheur de la majorité, doit inspirer toute loi juste. Cette Morale, cependant, même si elle est censée être universelle dans la déclaration des droits de l’Homme, varie encore selon les traditions morales ancestrales de nos sociétés respectives. Qui fixe la morale plus que la culture ? Un Message, une mythologie, des contes, des légendes, des épopées, l’Art, voilà les médias qui nous éduquent depuis la nuit des temps à cette moralité. Cela ne fait que quelques siècles que nos sociétés ont rompu avec cette tradition pour s’inscrire dans un millénarisme où la science aspire à se faire religion. Mais je parlerais pour ma part avec un peu plus de précision en parlant de religiosité moderniste, plus que d’un véritable culte moderne.
Tandis que pendant des millénaires, d’âges en âges du cycle Humanité, la morale était avant tout une affaire de conduite spirituelle. Si pour moi le principe de l’Unicité est le point commun à la grande majeure partie de ces traditions, même quand elles nous paraissent polythéistes, il existe de nombreuses cultures morales de la Justice. C’est d’ailleurs le principe même de cette Unicité : il ne peut y avoir qu’un seul Absolu dans l’Univers capable de Justice ; et il n’est pas humain. Dans notre monde de matérialité, il me semble, que tout ce qui aspire à être unique vérité n’aura pas compris toute la profondeur, par exemple, du concept de Tahid qui uni l’Islam à toutes les autres traditions du Livre, mais aussi, pour la plupart, aux traditions humaines.
Dans la tradition Abrahamique, Moïse défie les lois de Pharaon, au nom du salut de son peuple, et propose de nouveaux critères de Justice, les Dix Commandements. « Œil pour œil, dans pour dents », sera longtemps une loi universelle, jusqu’à que Jésus apporte au Seigneur essentiellement vengeur des hébreux un caractère plus Miséricordieux. Il sera aussi « L’épée » et chassera les marchands du Temple, pour montrer que le commerce n’est pas une activité humaine digne de respect. Mais, là où ce Prophète réclamera de tendre l’autre joue à celui qui vous giflera, le Messager, lui, annoncera qu’il est justice de lui rendre la monnaie de sa pièce. Le combat contre l’injustice, dans l’Islam est une valeur morale de premier ordre, c’est même un devoir religieux. Mais un des principaux attributs d’Allah reste « ‘le Miséricordieux » .
Chez les Chinois, on doit se plier face à l’injustice, comme le bambou résiste aux assauts du vent et finir toujours par se redresser, grâce à sa grande flexibilité. Pour les Hindous, la justice humaine n’est qu’une illusion, seul compte celle du cycle cosmique des Ages dans lequel l’Humanité est prisonnière. Certains diront fatalisme, d’autres parleront de conscience élevée de la réalité. On ne pourrait faire ici la liste exhaustive des nombreuses traditions spirituelles justicières. Mais le fait est que l’on retrouve toujours l’idée d’un nouveau code moral, plus juste, remplaçant le précédent qui avait dégénéré; ou celle d'une Justice dont les "voies" ne sont pas toujours pénétrables. La Justice évolue selon les époques, en fonction des nouvelles forme d'injustices qu'elles génèrent. Mais une Justice qui n'est pas fondée sur des principes durables, stables, équilibrés, ne pourra jamais concerner l'Humanité; ni dans son ensemble, ni dans ses individualités, ni au delà des aléas de l'actualité.
De nos jours, la tradition hollywoodienne semble s’etre imposée comme une culture mondiale. Ici, l’archétype de « Robin des bois », incarne l'idée que Justice est avant tout affaire de Morale ; bien plus que de lois. Face à l’injustice, il est en effet légitime d’enfreindre des lois injustes. Ce n’est pas la couronne ou l’argent qu’elle procure qui feront de l’injuste un roi légitime. Puisque le justicier, toujours du côté de l’opprimé, rendra l’argent du riche injuste au peuple ainsi que la couronne de l’usurpateur à son plus légitime héritier. Et cela en toute illégalité, puisqu’il est « hors la loi » ! Cela suppose que la Justice légale est autant soumise à des critères moraux que le justicier ne peut être légitime qu’à la condition de servir une cause juste moralement. Mais n'oublions pas que ce fameux Robin des Bois est un Lord, et non un homme du peuple. La Justice reste dans le bras armé d'une certaine catégorie de citoyens, prédestinés à rétablir l'équilbre des forces entre le Bien et le Mal. Même hors la loi, il reste une sorte de chevalier, ordre très lié à la notion de noblesse et de caste sociale...
Aussi, face à toute cette diversité, pour moi, une vraie Justice climatique, c’est-à-dire qui se voudrait vraiment universelle et non seulement universaliste, ne doit pas avoir de parti pris culturel trop prononcé. Mais a le devoir de produire le meilleur équilibre possible entre les différentes visions que portent chaque tradition justicière d’un même grand ensemble ; qui serait si pauvre sans cette variété d’influences et si inutile sans une certaine identité. Des Principes moraux qui échappent aux cycles de vie et de mort des cultures ; comme les règles ne sont que leurs manifestations contemporaines. Une règle peut évoluer, mais un Principe universel, lui, est soit valable éternellement, soit c’est une erreur contemporaine ou bien un outil de démagogie. Je pense ne rien vous apprendre en affirmant cela. Pas besoin de se prétendre philosophe pour avoir cette intuition. Sans morale climatique, il n’y a pas de Justice valable dans ce domaine.
En matière de Justice climatique, plus que dans tout autre domaine de négociation, il est donc essentiel, je pense, de procéder de la sorte. On ne peut établir de Justice d’un concept global sans cette limite de ne pas globaliser ce qui doit être sujet à variétés. Elle ne peut être une Justice sans cette moralité universelle. C’est dire toute l’ardeur de la tâche et parfois même le non-sens d’une telle expression, il me semble. Il n’y a pas des justices de ceci ou cela, mais bien la Justice tout court, matrice de toute les légitimés et légalités possibles pour l’entendement humain.
Nous l’avons déjà vu ensemble, que sans injustices, il n’y aurait pas besoin de Justice. Ce qui revient à dire, transposé dans le cadre du régime climatique international, que l’idée de Justice climatique sous-entend forcement l’existence d’une injustice climatique. Est-ce l’injustice du Climat qu’il faudra réparer ? Ou bien les injustices entre Humanités dont qu’il est questions ? Le Climat est-il moral ? Ses lois sont-elles légales ? Toutes ces questions sont bonnes à évoquer dès maintenant, mais ce n’est pas encore le moment de tenter d’y répondre...