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Nouara Algérie

ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT EN ALGERIE (Une revue de web de plus de 4500 articles )

Dar, Douar, Dénia...Ou les potentiels fondementaux d'une maâna écologique algérienne

Les "Symbol" passent, mais la Tradition reste...(Photo: Tedjani Karim)

Les "Symbol" passent, mais la Tradition reste...(Photo: Tedjani Karim)

Chapitre 15

Les "Symbol" passent, mais la Tradition reste...

 

Enfant, chaque été, je retournais  à Guerbes.  Avec un immense plaisir qui ne fut moindre que dès lors que mon grand oncle n’était plus là pour m‘y apprendre à grandir. C’était mon école algérienne  de la nature sauvage; elle  faisait tant défaut à mon environnement parisien. Elle se donnait  pour moi dans  un  tout petit douar isolé de la wilaya de Skikda,  qui était  en ces temps bénis, le cœur sinon, mon centre de la  Terre !

Ici, contrairement aux établissements scolaires  où j’apprenais  tout le restant de mon temps  à devenir  un parfait citoyen de la république Française, je n’avais  aucun professeur pour me faire doctement  la leçon. Je n’étais entouré que de maitres,  dont j’avais choisi d’être le disciple,  et qui m’avaient tacitement admis parmi eux.  Ils se contentaient  de m’apprendre les choses  de la Vie en m’invitant tout simplement à en  observer  toutes  les manifestations dans son mouvement le plus naturel. Tout cela muni de mes seuls moyens cognitifs, de ma propre déduction, riche  aussi d’une matrice de préceptes qui semblait remonter à la nuit des temps de ma terre d’origine.

Le tableau noir de ces enseignants  était  tout simplement le sol, l’horizon, et parfois même  le ciel. Sur le sable, par exemple,  ou  bien la terre rouge dans laquelle ils faisaient glisser la pointe de leurs doigts, de leur bâton de berger, de leur cuillère en bois. Ces sillons me dessinaient  souvent quelques rudimentaires schémas que je devais assimiler pour progresser dans mon initiation à la vie de rural algérien. Je devais aussi savoir lire l’heure dans l’ombre des tiges, dans la silhouette de chaque chose qui s’offrait à la lumière du soleil. Chacune de ses positions dans le ciel, nous indiquait la marche à suivre, et pas seulement une  horaire approximative. 

Chaque geste accompli au quotidien avait un sens qui devrait rester immuable dans la nature  de tous les genres humains. Il s’agissait de prendre seulement sa part  et de toujours donner en retour quelque chose qui l'était aussi. D’apprendre en observant l’existence de la faune, de la flore,  tendre l’oreille, en écoutant  chaque  bruit de son  environnement,  comme on pourrait  entendre le sens d’un livre écrit en braille ; en le pénétrant de la cime de ses  doigts et non en le caressant  tout simplement des  yeux.

Une fois la nuit tombée, la voie lactée qui illuminait le ciel  se faisait écho de lumière,  myriades d’étincelles, pétillants dans  mon regard gamin. Je n’avais jamais vu autant d’étoiles  sous le manteau de lumières artificielles qui cachait  à mes yeux le vrai ciel de Paris. Alors, j’apprenais en suivant leurs gestes  dans le  ciel, à lire les saisons ; à travers  la course faussement paresseuse  des étoiles dans l’Univers.   Elle semblait s’offrir à nos yeux, sous les rayons d’abats jour d’une Lune qui ne révélera  toute la vérité de ses lumières qu’à celles et ceux  capables de  rester d’humbles borgnes dans un monde d’aveugles. A ceux –là, elle ouvrira peut-être un jour les deux yeux. Car ils se  laisseront engloutir par la magie des obscurités  photoniques  d’une nuit sans néons ;  comme on lâche prise sous des caresses aimantes tandis que l’on se tendait de tous les nerfs de son corps, à la vue du bâton froissant l’air en notre direction.

Je tiens à vous rassurer tout de suite, je n’étais en rien  tombé dans une confrérie religieuse, ni, pire, dans le foyer d’un marabout, pour être si  maladroitement poète à parler de mon passé ! C’est juste que, en m’initiant ainsi à leur manière de vivre, la famille Latrèche, ainsi que tous les autres habitants de Guerbes, me paraissaient alors  les gardiens d’un mystère qui semblait échapper totalement à  une  logique  purement consumériste ; que mon environnement parisien tâchait d’ancrer en moi depuis mon plus jeune souffle ;   avec une égale assiduité qu’une variété presque infinie  de moyens  scientifiques; mais aussi la complicité d’agents  humains qui lui étaient totalement utiles.  Pour accomplir cette œuvre de mécanisation de la chaire, comme de l’esprit humain, que beaucoup considèrent comme la modernité de notre siècle; là où je ne ressens en mon plus profond intérieure, qu’un modernisme totalitaire à tendance ultra-hégémonique.

Il me suffisait de partager leur vie de tous les jours, d’oublier le temps d’un été tous mes reflexes de petit consommateur de masse, de suivre leur exemple, d’écouter leurs conseils, de refaire les mêmes gestes quotidiens qui leur permettaient de vivre dans cette nature sauvage, certes, mais qui n’était hostile qu’aux intrus ainsi qu’aux irresponsables. J’appris également une langue ;  pas vraiment ma langue d’origine,  je comprenais  cela en constatant toute la subtilité du dérija de mon grand-oncle, comparée à la forme dialectalement pervertie que j’avais appris à parler en conversant avec  les enfants de mon âge. Je comprenais si peu ses proverbes où aucun mot de français n’avait été mélangé pour exprimer non des choses de la vie seulement, mais aussi des idées, des métaphores, une poésie et donc également une science. Jamais un peuple qui a produit des  grands poètes, n’a  pas eut aussi  le potentiel d’enfanter de géniaux savants. Le Nombre et la Lettre , à mon humble avis, suivent le même ordre cosmique, le même processus de fonctionnement.

A Guerbes, j’apprenais à découvrir qu’il existait une toute autre voie possible de vivre, de penser, mais aussi de ressentir la Vie, et donc de l’exprimer, de la comprendre. Pas d’électricité, ni d’eau courante, aucun luxe ostentatoire, juste ce qui paraissait l’essentiel au maître des lieux, c’est-à-dire mon feu grand oncle, paix à son âme. De la terre, une famille pour la travailler et en récolter les mannes, un troupeau, et vivre aussi libre qu’il était possible de l’être en Algérie.

Mais je pouvais également comprendre toute la rudesse d’une vie rurale qui n’avait de légitimité de se perpétuer que dans ces principes immuables  et non ses formes les plus  contemporaines qu’il avait enduré ; dans un cadre social ainsi qu’un contexte historique  qui aurait dû évoluer vers une nouvelle façon d’être Algérien, et non une manière algérienne de ressembler aux bourreaux d’hier , sous la coupe des tyrans  populistes d’aujourd’hui.

Il y avait dans cette vie quelque chose de si avant-gardiste, pour le parisien que j’étais,  né dans une société  qui commençait à peine à parler d’écologie. Mais, il y avait beaucoup d’archaïsmes dans cette  manière de rester totalement  comme on est dans un monde qui change sans arrêt. En tous cas, je me mets à la place de tous ces ruraux algériens, comme mes cousines, mes cousins, qui devaient se sentir tellement à l’écart de leur siècle, sous la coupe d’une discipline de vie beaucoup trop traditionnaliste, et au fond, qui aurait dû être traditionnelle avec toute la modernité possible à un Algérien à qui on laisse sa vraie nature s’exprimer. Pas celle du bébé dindon attendant la becquée, ni celle du copieur incapable d’imagination, de l’importateur compulsif.

Bien au contraire, celles et ceux qui connaissent bien de quoi est capable le Peuple Algérien quand il se ressemble vraiment me comprendront. Je laisse les fatalistes à leur ignorance, car je n’ai pas ici le temps de m’étendre sur une telle évidence. Tout Peuple n’est pas meilleur qu’un autre, à la base, mais il y a des sociétés qui ont conscience de leur qualités au-delà  de se satisfaire des potentiels indéniables  dont la nature aura pu les doter. Pire, il est des Peuples qui  feignent la fierté nationale, mais n’agissent que  par mépris ou incroyance pour toute forme de solidarité, ne serait-ce que locale.

Les gamelles de ces gens  qui mon appris l’Algérie profonde, étaient-elles  rarement aussi bien remplies que leur visage rayonnait constamment d’un sourire  sincère,  qui  ne me semblait alors presque  insensible qu’aux laideurs de ce Monde. Les repas qu’ils offraient à leurs invités étaient de grands plateaux d’orfèvres  hérités d’ancêtres passés, où s’amassait toutes les douceurs de leur nature, telles des pyramides d’or, de rubis et de perles  précieuses devant le trône d’un grand seigneur. La semoule était poussière de diamant, perle de blé,  la viande était  rubis, voire le Rubicon de leur régime alimentaire, et le miel, ainsi que le beurre, comme  l’huile d’olive, ils  avaient valeur d’or liquide ;  étaient considérés comme source de bien-être, mais aussi de santé.

El Haidi n’était  en rien  Cheikh d’une zawiya, il n’était à vrai dire que  maître que de son corps,  de son esprit,  de sa famille, de ses terres et  encore plus de son troupeau. Et, cela me paraissait  être déjà un énorme pouvoir sur la réalité.  Cela devait être une encore plus immense responsabilité entre ses mains petites mais larges et puissantes ;  dont le soyeux de la peau  s’était depuis sa plus tendre enfance métamorphosé  au fil du temps en  un grain rugueux, celui d’une véritable  écorce en cuir. Ainsi la main de fer et le gant de velours s’étaient confondus en une seule matière,  dans la poigne de ce vieillard qui aurait  presque pu vous briser la main d’une seule poignée bien ferme.

Il avait pourtant, sans en avoir le statut, ni la science religieuse, toute les allures d’un authentique maitre soufi. Je ne parle pas de ceux qui, actuellement, ont oublié l’essence même   de la sobriété que le nom même de leur courant religieux devrait leur imposer. Il ne faisait pas non plus de politique ; en fait il avait une sainte horreur des fonctionnaires ainsi que des politiciens. Plus d’une fois, il m’avait expliqué que, s’il se battait autant pour être le plus autonome possible, c’était pour échapper à l’emprise de tels hommes. Pour lui, les vrais hommes de pouvoir algériens avaient en grade partie été écartés ou bien éliminés du paysage politique algérien ; et ce depuis les premières heures de notre indépendance. Je ne suis pas historien pour confirmer  telle conviction, mais disons qu’elle  me vient d’un homme dont je connais autant la valeur  que le courage dont il savait et avait dû faire preuve, notamment  lors de la guerre de libération.

La tenue vestimentaire de mon héros, qui était loin d’être aussi pauvre qu’il ne le paraissait aux premiers abords, je pourrais tout d’abord vous la résumer par une anecdote. Un jour que lui, un des fellahs les plus riches et respectés de sa région, après une dure mais fructueuse journée de Souk, voulu se restaurer dans un de ces restaurants dans lequel il n’était jamais rentré. Juste pour voir de quoi il en retournait, pourquoi cela était-il devenu un must pour bien des gens de son époque que de fréquenter de tels endroits. Quand il arriva à l’entrée du premier établissement qui lui parut convenable, il fut aussitôt stoppé dans son élan vers de ses tables encore vides. Ce dernier lui indiqua une autre entrée, celle des cuisine, et lui tint à peu près ce langage : « 3ami, tu as le droit comme tout le monde de manger à ta faim, tu as l’air d’un honnête homme, ça se voit au premier coup d’œil !  Mais, pour l’aumône, c’est par là que tu dois passer ; comprends que ton allure pourrait choquer certains de nos clients ! »

Pourtant sa tenue, ainsi que ses manières étaient celles d’un héros du quotidien, et non la dégaine d’un mendiant sans  fierté. Quel monde s’annonçait-il dans une telle méprise ? El Haidi fut tellement touché et vexé par cette aimable injonction néanmoins fort  insultante, qu’il en fit même une petite déprime ; il jura de ne plus jamais entrer  dans un restaurant de sa vie. Jamais il ne songea à changer de vétements...

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