"La nouvelle loi n’y a rien changé..."
Elles sont plus de 90 000 associations entre locales et nationales à activer sur le terrain. Elles restent cependant peu visibles et sans aucune influence sur la population qui continue à leur tourner le dos par scepticisme et manque de conviction. Les jeunes ont besoin de connaître les tenants et aboutissants de l’association à laquelle ils aspirent adhérer. Pour en arriver là, les idéaux véhiculés par une structure associative ont besoin d’une vulgarisation à travers un surcroît d’activité en direction du large public. Un concept largement admis dans les pays qui ont une culture associative bien ancrée dans la société. A l’inverse de cette logique, les associations algériennes, qui ne subsistent que par les subventions de l’Etat, ont tout le mal du monde à exister par leur réflexion et leur liberté d’action.
«Un frein à l’action citoyenne»
Constat - Le mouvement associatif continue de briller par sa léthargie et son absence sur le terrain.
Ce déclin qui, ne date pas d’aujourd’hui, est d’autant plus préoccupant que la nouvelle loi sur les associations n'a pas contribué à changer la donne. Les nouveaux amendements dont a bénéficié cette loi, devaient assouplir les conditions et les modalités de création d’association. Et par conséquent mettre fin à la léthargie de ce mouvement qui a trop longtemps duré.
Mais, plus d’une année après son adoption, l’efficacité des associations aussi bien nationales que locales, reste à prouver.
Un échec qui peut s’expliquer par le fait que le texte adopté par l’Assemblée national ne répond pas aux aspirations des associations existant sur le terrain de l’avis de certains de leurs présidents. Pour ces derniers, les modifications apportées à la loi sur les associations ne garantissent pas le droit à la liberté d’association. Pis encore, «elle est un frein à l’action citoyenne», a déclaré un groupe d’associations de l’Ouest algérien au lendemain de son adoption. «En instituant l’agrément administratif et la possibilité de suspension ou de dissolution par l’administration, ainsi que les diverses dispositions d’autorisation, en introduisant des amendes, l’obligation de la présence d’huissier pendant les assemblées générales, elle remet en cause le système déclaratif en cours dans tous les pays démocratiques et crée de multiples obstacles à de l’action associative bénévole», peut-on aussi lire dans cette déclaration adressée au président de la République et au président du Haut Conseil Constitutionnel. La nouvelle loi est ainsi jugée arbitraire et les associations n’y voient que le renforcement des dispositions restrictives de la loi 90-3.
Le contrôle rigoureux est imposé pour toute coopération avec une structure associative étrangère sous prétexte de mieux cadrer les fonds provenant de l’étranger. Ce tour de vis a été très mal perçu par les organisations de la société civile.
Elles ont été nombreuses à exprimer leur mécontentement face à cette volonté des pouvoirs publics à confiner leur rôle dans l’attentisme. Cette attitude a constitué un frein à l’évolution du monde associatif et a sérieusement affecté la perception de la société civile à l’égard de ce mouvement.
Il est d’ailleurs fréquent de voir ce dernier faire l’objet de critiques aussi bien des citoyens que des pouvoirs publics. Il lui est souvent reproché de manquer de plan d'action préalable, de propositions concrètes, voire de priorité. L’autre point noir qui revient lorsqu’on évoque les associations est le fait qu’elles sont «éternelles». «Logiquement elles devraient disparaître une fois que l'objectif pour lequel elles ont été créées est atteint», souligne Ahmed Adimi, professeur à l'Université d'Alger.
Il suggère à cet effet que «l'agrément des associations soit limité dans le temps et que son renouvellement repose sur le bilan annuel de l'association».
Des arguments réfutés par la plupart des associations qui appellent à l’encouragement du bénévolat à travers la mise en place d’instruments législatifs et matériels, ainsi que la levée des obstacles administratifs.
Le manque de communication
Critique - «Le nouveau texte de loi sur les associations n’a rien changé. Il a bien au contraire creusé l’écart de communication existant entre les autorités et le monde associatif.»
La nouvelle loi a «certes facilité la création des associations au niveau local», mais «la tâche s’avère beaucoup plus compliquée pour une association à dimension nationale», déplore le président du Réseau de défense des droits de l’enfant (Nada). Abderrahmane Arrar appelle le ministère de l’Intérieur et des Affaires étrangères à communiquer davantage avec le monde associatif.
Ces deux départements sont les plus concernés par l’autorisation que toute association devrait obtenir pour une éventuelle coopération avec des ONG internationales. «Nous ne connaissons pas les étapes que nous devons suivre pour obtenir cette autorisation», affirme le président de Nada. Il en est de même pour «la création des ONG internationales sur le sol algérien», a-t-il ajouté.
Les autorités devraient aussi expliquer l’étendue de l’article 40 de la nouvelle loi, selon lui. Car, «si on n’a pas le droit de s’ingérer dans les affaires internes de notre pays tel que le stipule cet article, on devrait peut-être regarder du côté des voisins», ironise-t-il avant de donner sa propre interprétation de ce texte.
Ce passage a, «à mon avis, une dimension politique», dit-il. Il conteste par ailleurs les critiques émanant des pouvoirs publics sur l’incapacité de ces organisations à mobiliser la société civile.
«C’est un jugement très vague. Nous sommes sur le terrain avec des plans d’action bien définis. Et c’est à la société civile de se mobiliser autour des associations», précise le premier responsable de ce réseau.
En somme pour M. Arrar, le nouveau texte de loi sur les associations «n’a rien changé». Il a, bien au contraire, «creusé l’écart de communication existant entre les autorités et le monde associatif», affirme-t-il.
Pourtant, lors de la présentation du projet de loi organique sur les associations devant l'Assemblée populaire nationale, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales avait assuré que son département avait tenu à donner le maximum de précisions et d'explications sur les dispositions relatives aux associations.
Il a d’ailleurs insisté sur son intention de mettre en place «un cadre général permettant au mouvement associatif d'améliorer son rôle et de conférer plus de crédibilité à son activité».
Une sombre image
Echec - Le mouvement associatif algérien peine à s’imposer sur la scène nationale comme une force de proposition.
Sans stratégie ni plan d’action préétabli, l’action des associations activant sur le terrain demeure très timide et loin de satisfaire les besoins d’une société en panne de repères.
Pour se faire un nom et occuper la scène médiatique, beaucoup ont choisi de s’engager dans la vie politique.
«Elles sont présentes dans tous les domaines d’activité. Mais leur influence reste en deçà du niveau requis», ce qui explique «leur incapacité à mobiliser de larges catégories de la société», selon le sociologue Nacer Djabi. Pour lui, cela peut s’expliquer par le fait que les précurseurs du mouvement associatif «ne jouissaient d'aucune expérience dans le domaine de l'action associative».
Il tient à rappeler à cet effet la genèse de ce mouvement qui a été créé dans une «étape difficile de l'histoire du pays qui a affecté tous les aspects de la vie et toutes les composantes de la société».
Une réalité qui vient se greffer à une problématique qui, 50 ans après l’indépendance, perdure. Il s’agit du système politique adopté par nos dirigeants qui, pour un contrôle plus étroit des associations, les maintient dépendantes financièrement.
Cet état de fait a transformé ces entités en comités de soutien à la politique socio-économique des pouvoirs publics les privant de toute liberté d’action. Dans cet environnement peu propice à une activité associative saine et de qualité, tout semble permis pour gravir les échelons du pouvoir et maintenir ses intérêts personnels. A ce propos, notre sociologue estime que ces comportements intolérables ont terni l’image de l’associatif qui ne peut plus se vanter du rôle qui lui est dévolu, à savoir celui de «médiateur entre le citoyen et les différentes instances de l'Etat».
Dans ce même ordre d’idées, Ahmed Adimi, professeur à l'Université d'Alger, affirme que «les associations en Algérie ont dévié de leur véritable vocation à partir du moment où elles se sont impliquées dans des activités politiques bien que la loi interdise ce procédé». Il est temps, dit-il, de passer «à la dissolution de toutes les associations qui exercent une activité politique et celles qui n'activent pas sur le terrain».
Une situation déplorable dit Nacer Djabi qui appelle au «changement des pratiques au sein du mouvement associatif et la consécration de la démocratie notamment à travers l'alternance à la présidence de l'association qui ne doit pas être considérée comme un domaine privé ou familial». Pour se réapproprier leur rôle initial, les associations devront également «se rapprocher du citoyen et se mettre à l'écoute de ses préoccupations tout en essayant de le convaincre de leurs objectifs», ajoute M. Djabi avant de revenir sur l’importance d’accorder à ces organisations plus de liberté. Ce qui ne peut se faire qu’avec l’amendement de certains articles liés à ce mouvement.
Il reste à dire que la législation, la nature du système politique algérien, le manque d’une culture associative ainsi que l’infiltration du monde associatif par certains opportunistes sont autant de facteurs qui ont contribué à la disparition de la plupart des associations.
Une loi sans grande conviction
Avis - La nouvelle loi sur les associations n'a pas aidé à relancer l'activité associative, reconnaît l'ex-président de la Commission des affaires juridiques de l’APN.
Tout porte à croire, en effet, que l’objectif de la nouvelle législation n’a pas été atteint. En dépit des éléments nouveaux que renferme cette loi, le tissu associatif peine à se mobiliser, confirme Hussein Khaldoun. «L'importance du rôle de l'Etat dans l'encadrement des associations à travers la mise en place d'une structure consultative nationale représentant tout le mouvement associatif et à tous les niveaux aurait été plus judicieux», estime M. Khaldoun.
Le rôle de cette structure est «d'étudier toutes les questions liées aux associations», a-t-il ajouté.
Cet expert juridique n’omet pas, toutefois, de rappeler que «l'encadrement des associations et les moyens leur permettant de jouer leur rôle dans la défense de l'identité nationale et des composantes de la société algérienne sur la scène internationale, renforceront leurs capacités à faire face à certaines organisations non gouvernementales (ONG) qui citent l'Algérie dans leurs rapports de manière négative».
Le projet de la nouvelle loi sur les associations est parti «du principe de réformer les dysfonctionnements enregistrés à la lumière de l'application de l'ancienne loi 31-90 qui date de plus de 20 ans», argumente Hussein Khaldoun.
Le texte de loi a «voulu permettre aux associations de jouir de leurs droits, de défendre leurs intérêts, d'élargir le champ de leurs activités, de définir les modalités de recours, de déterminer leur mode de financement et d'alléger le contrôle rigoureux qu'elles subissaient», dit-il tout en regrettant le fait que certaines organisations bénéficient de l’aide matérielle de l’Etat au détriment d’autres. L’argument avancé par les autorités est souvent lié aux activités de celles-ci dans l'intérêt général.
«Cela est de nature à créer des disparités dans l'octroi des aides», souligne notre interlocuteur pour qui «toutes les associations doivent, en principe, inscrire leurs activités dans le cadre de l'intérêt général, sinon pourquoi leur accorder l'agrément ?».
Pour lui, «les aides consenties aux associations doivent figurer dans le bilan annuel que l'association est tenue de soumettre, non pas selon le degré de proximité vis-à-vis de l'autorité, mais devant l'administration qui a octroyé l'agrément».
Evoquant l’utilisation de certaines associations à des fins politiques, notre expert a tenu à préciser que l'article 13 de la nouvelle législation a «interdit aux associations d'entretenir des relations avec les partis politiques aussi bien aux plans structurel qu'organisationnel y compris l'octroi de dons ou d'aides financières». Il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre de certaines dispositions «reste difficile», souligne t-il.
Que stipule-t-elle ?
Les associations avaient depuis plus de 20 ans crié haut et fort leurs difficultés à activer dans l’ombre d’une loi obsolète. Les insuffisances de l’ancienne loi vont de la complexité de la procédure pour l’obtention d'agrément, à la non-reconnaissance du rôle des associations comme médiateur entre le citoyen et les pouvoirs publics en passant par le manque de moyens matériels et financiers. Ces contraintes et bien d’autres encore étaient et sont toujours au cœur des préoccupations du monde associatif plus d’une année après l’adoption de la nouvelle loi.
Celle-ci a tenu compte de tous les obstacles soulevés par les ONG, selon les pouvoirs publics. Pour preuve et à titre indicatif, la nouvelle loi a associé l'Assemblée populaire communale (APC), la wilaya et le ministère de l'Intérieur, dans l'opération d'octroi de l'agrément, en application du principe de décentralisation de la gestion. Dans cette loi, les structures chargées de trancher les demandes d'agrément ont un délai de 30 jours pour les associations communales, de 40 jours pour les associations de wilaya, de 45 jours pour les associations interwilayas et 60 jours pour les associations nationales. Selon la nouvelle loi, les réponses aux demandes d'agrément doivent impérativement être rendues avant l'expiration des délais cités. Les demandes d’agrément rejetées peuvent, quant à elles, faire l’objet d'un recours auprès d’un tribunal administratif compétent.
Dans ce texte de loi, l’Etat est dans l’obligation de réglementer les aides octroyées à ces structures. Il y va de même pour l’activité des associations étrangères et leur coopération avec les associations locales.
Source Infosoir