ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT EN ALGERIE (Une revue de web de plus de 4500 articles )
9 Juin 2012
Rencontre avec Mme Baba Ahmed, présidente de l’association pour la promotion de la femme rurale (Boutelis. Oran)
« Main dans la main pour soutenir la femme rurale…»
J’ai déjà eu le plaisir de rendre visite à Mme Baba Ahmed A., une femme au grand cœur qui donne beaucoup de son temps et de son énergie afin que les femmes rurales de Boutelis (Oran) retrouvent leur place dans la société algérienne du 21ème siècle. Lors de notre dernière rencontre, elle m’avait convié à une matinée « portes ouvertes » de la ferme pédagogique « Les Asphodèles ». C’est un projet qu’elle soutient activement par le biais de son association « Main dans la Main ». Nous avions aussi passé une après-midi inoubliable dans le très agréable jardin du centre des cancéreux de Boutelis en compagnie d’un groupe d’étudiants en Biochimie, d’enfants trisomiques et de leurs parents. J’ai été vraiment très impressionné par l’aura positive de Mme Baba Ahmed A., sa générosité ainsi que son caractère bien trempé qui inspire le respect pour peu qu’on a un peu d’esprit.
Durant cette journée, nous avions beaucoup parlé des femmes rurales, de la formidable tradition ancestrale transmise dans notre pays de bouche à bouche, de main à la main. Il n’y pas si longtemps de cela, elles étaient un des maillons forts du peuple algérien autant d’un point de vue social que sur le plan de l’économie locale.
Ces femmes rurales étaient de véritables ouvrières agricoles, de parfaites ménagères, certaines avaient le don pour l’artisanat, d’autres pour les arts, certaines eurent même des talents pour la guerre. Les sacrifices qu’ont endurés les femmes algériennes, et plus particulièrement celles du « douar » afin que ce pays existe en tant que nation indépendante, je les avais déjà entendus de la bouche de ma grande tante Nouara, de ma grand-mère et de toutes les femmes d’un certain âge de mon entourage… J’ai toujours apprécié d’écouter les témoignages de Nouara à chaque fois qu’elle me parle de sa vie passée, du temps où elle et son mari ont choisi de s’installer avec leur famille très nombreuse aux abords de la baie de Guerbes à Skikda en 1962. Avant cela, ils faisaient partis de ces nomades à qui ont a confié la mission d’assister les moudjahidines de l’Est algérien. Souvent, elle me raconte comment ces femmes vivaient, de tous ce quelles savaient faire, combien elles étaient indispensables et à quel point certaines avaient été courageuses durant la guerre d’indépendance. Il y a dans la tradition des femmes rurales d’antan une part essentielle de notre nature nationale.
Sans cette matrice culturelle l’Algérie ne serait pas vraiment l’Algérie. Beaucoup de choses de notre passé, si elles sont revisitées avec l’esprit de la modernité, peuvent permettre aux algériens de trouver des solutions endémiques afin de régler certains problèmes environnementaux, mais aussi socio-économiques. A l’heure où l’on parle de plus en plus de l’Economie Verte comme d’un concept totalement nouveau et nécessitant exclusivement l’apport des technologies étrangères, il serait bon de se rappeler que nos grands parents ont été de grands recycleurs, que nos aïeux préféraient prévenir que guérir, que la gestion de l’eau est un thème important dans la tradition musulmane, que nos semences locales étaient certes moins productives mais n’avaient pas besoin d’autant d’eau et de d’intra chimiques, que nos techniques de construction en pisé et en dis pourraient être modernisées et permettre de réduire l’utilisation des climatiseur, réduisant ainsi notre empreinte carbone, que le régime alimentaire de nos anciens ne donnait pas une place importance à la viande, que nos femmes rurale savaient tirer de nombreux profits de la biodiversité ….
Mme Baba Ahmed A., si elle vit à Oran, n’a pas oublié son passé de femme rurale qu’elle revendique d’ailleurs avec fierté et passion. Cette grande dame gère une auto école. Capitaine de navire aguerrie, c’est aussi une apicultrice et cultivatrice expérimentée, une cuisinière hors paire ainsi qu’une artiste dans l’âme. Cette dame vit avec son temps, c’est d’ailleurs grâce à cela que j’ai fait sa connaissance via Internet. Bref, cette présidente d’association est la femme rurale moderne par excellence !
Fille d’une famille de grands propriétaires fermiers, épouse d’un homme instruit et cultivé, le cas de Mme Baba Ahmed A. est certes bien particulier. Mais malgré tous ces privilèges, cette dame n’a pas oublié de garder un pied bien encré dans sa terre natale. Elle se revendique avant tout comme une femme rurale dont elle se sent très solidaire. Les coutumes rurales, son goût pour l’indépendance, elle tente de les partager, pour ne pas dire de les transmettre, aux jeunes filles et femmes rurales de sa région. Elle multiplie les actions pour leur permettre de réapprendre à être « utiles » et surtout à être autonome financièrement grâce aux savoirs faires d’antan. De nos jours, de nombreuses jeunes femmes rurales ont délaissé cette matrice de petits métiers faute de ne pas être suffisamment qualifiée. Jadis elles participaient financièrement aux efforts du foyer grâce à une foule d’activités qui pouvaient s’avérer, pour certaines, très lucratives. Elles participaient ainsi à assurer le maintien des populations en zone rurale. Aujourd’hui, sans ces gestes quotidiens, elles n’ont pas toujours les moyens de s’assurer un certain confort à la campagne. Souvent elles sont les premières à insister auprès de leur époux pour s’installer en ville. . Elles n’ont, dans leur majorité, guère l’occasion de se réaliser et surtout, rappelons le, de trouver leur place dans la nouvelle Algérie qui se profile chaque jour un peu plus.
L’association « Main dans la main » tente de leur donner toutes les cartes en main pour qu’elles relèvent le défi de rester rurales tout en s’intégrant mieux dans la société algérienne de demain. Mme Baba Ahmed A. a beaucoup d’ambition pour elles ; elle multiplie les initiatives afin de leur donner une solide formation dans bien des domaines tels que l’artisanat, l’apiculture, l’agriculture et même le recyclage et bien d’autres domaines. De nombreuses associations à travers tout le territoire font la promotion de la femme rurale, j’aimerais profiter de cet article pour leur rendre hommage.
C’est aussi à tous les algériens et les algériennes, qu’ils soient de simples citoyens ou bien des responsables politiques , de soutenir ces femmes sur qui l’Algérie a toujours pu compter ; que ce soit dans les bons comme dans les mauvais moments… C’est à nous de leur rendre à présent ce qu’elles nous ont donné en redonnant plus d’importance à notre « culture naturelle ». En consommant et produisant de nouveau plus de produits locaux, en réutilisant le panier de nos grand-mère, en donnant une place plus importante à notre artisanat, en permettant à nos douaris de rester dans leur campagnes, nous feront beaucoup pour notre économie, notre environnement mais aussi notre société. L’Economie Verte, n’est-ce pas cela aussi ? Suffira-t-il de recycler nos déchets et de s’alimenter en énergies renouvelables avec des procédés venus d’ailleurs pour s’assurer un avenir prospère ? La nature physique de l’Algérie ne saurait se passer de la nature subjective des algériens, celle qui a permis à des hommes et de femmes de vivre pendant des siècles en harmonie avec leur environnement. Il n’est pas question de reculer, de tourner le dos aux autres « modernités », mais bien de profiter des acquis d’hier pour s’élancer d’un pied solide vers l’avenir…
« La femme rurale, un acteur idéal pour retisser des liens avec l’artisanat algérien ».
Cette fois-ci, je me suis rendu à Oran pour être le témoin d’une très bonne initiative prise par Mme Baba Ahmed grâce à un partenariat « gagnant-gagnant » avec un maître tisserand de Tlemcen, une des capitales de l’artisanat en Algérie. Fils d’un tisserand, ce vieux Monsieur exerce cette profession à son compte depuis 1957 en s’associant notamment avec feu son frère et quelques hommes avisés. La spécialité de la Maison Brikcifrères, c’est le tapis et les couvertures berbères qu’ils vont s’atteler moderniser afin de les rendre attractif à un plus large public. A la grande époque, sa manufacture comptait jusqu’à mille métiers à tisser. Elle était d’ailleurs la plus réputée à travers le monde. Puis, pour diverses raisons, cette activité qui a pris sa source en Algérie, s’est vue largement concurrencée par le travail des tisserands marocains et tunisiens dont les prix furent plus attractifs. De plus, ils ont pu s’appuyer sur une politique nationale plus prompte à soutenir les artisans. Cette crise diminua fortement les bénéfices de cette entreprise familiale, au point d’obliger ses gérants à développer surtout la fabrication industrielle du fil à tisser. Pour cela, Mr Brikci, afin de faire face à un manque de matières premières, a l’ingénieuse idée d’acheter des machines pour recycler les déchets textiles qu’il va dés lors récolter un peu partout dans la région de l’Oranais.
Mme Baba Ahmed, qui connait bien les artisans de Tlemcen, a réussi à approcher et gagner l’estime ainsi que la confiance de Mr Bisikiri. Elle lui propose de former « ses » femmes rurales de Boutelis au métier du tissage.
Dans un premier temps, ce dernier lui rétorqua que ce métier, très physique qui demande beaucoup d’endurance, est avant tout réservé aux hommes. Il lui propose de les initier surtout aux techniques rudimentaires du tissage permettant la fabrication de couvertures « bon marché ». Notre femme rurale des temps moderne insiste pour qu’il leur fasse confiance et leur apprenne dés le début le noble art du tissage des tapis berbères. Mme Baba Ahmed sait de quoi ces filles sont capables ; de plus, elle n’aime pas la demi-mesure et n’est pas du genre a revoir à la baisse ses ambitions. Ainsi, sûrement aidée par sa forte personnalité, elle arrive à convaincre le vieil artisan de leur faire confiance.
Seulement, l’homme avisé lui impose certaines conditions : il fournira le fil ainsi que les métiers à tisser et formera ces dernières, en échange elles devront lui garantir l’exclusivité de leur travail, moyennant bien entendu une rémunération équitable pour chaque pièce qu’elles produiront.
Mme Baba Ahmed s’est donc chargée d’emmener ses protégées à Tlemcen afin qu’elles soient formées dans les locaux de l’usine Brikci. Il faut dire que les hommes ruraux de Boutelis n’auraient jamais accepté de laisser leurs femmes effectuer régulièrement le long trajet qui sépare leur commune à cette ville historique si cette dernière ne les avait pas accompagnées. L’irréprochable réputation ainsi que le sérieux de Mme Baba Ahmed sont connus de tous et toutes dans sa commune et bien au-delà d’ailleurs…C’est d’ailleurs grâce à cette renommée que la présidente de l’association « Main dans la main » a permis à ces jeunes femmes rurales de pouvoir participer à de nombreuses formations.
Très vite, Mr Brikci se rend compte que ces jeunes filles étaient tout à fait capable de réaliser les fameux « Hambels » berbère firent tant sa réputation. Pour pallier à leur manque de force, les plus douées, comme Hannen, ont développé une gestuelle limitant l’effort tout en optimisant la puissance de leurs mouvements. De ce fait, il leur confie deux métiers à tisser qu’il leur amène dans le local mis à la disposition de l’Association « Main dans la main » par la maison de jeunes de Boutelis. Depuis, cinq jeunes femmes se relaient pour assurer les commandes de leur généreux partenaire. Hannen, la plus investie dans le projet, est même capable d’assurer la maintenance des métiers à tisser !
Si c’est une belle bataille que vient de gagner la présidente de cette association, un problème logistique ralenti fortement le développement de cette aventure pleine d’espoir : la pièce où travaille les jeunes femmes n’est pas assez vaste pour accueillir plus de métiers à tisser. Cette activité nécessite beaucoup d’espace et chacune d’entre elles devraient disposer de son propre outil de travail. Il faudrait donc au moins pouvoir disposer cinq métiers à tisser pour permettre à ces rurales de Boutelis de travailler dans de bonnes conditions et, donc, d’être performantes. Mr Brikci a gardé beaucoup de ses anciens métiers à tisser, il est prêt à leur en fournir encore en grand norme. Pour l’instant, ce problème n’a pas trouvé de solution. Ce projet alliant à la fois la passion de la tradition et le souci d’offrir une vraie formation professionnelle à nos femmes rurales mérite de se développer dans de meilleures conditions. Il suffirait juste d’un local plus adapté pour que, peut-être, des dizaines de femmes puissent gagner noblement leur vie et pourquoi pas, donnent envie à des milliers d’autres femmes rurales algériennes d’en faire autant…
Pour les acheteurs de ces tapis berbères, il y aurait non seulement la garantie d’un travail bien fait mais aussi la satisfaction de participer à une aventure humaine pleine d’espoir pour le rayonnement international de la culture algérienne.
Pourquoi ne pas redévelopper un secteur économie qui a déjà contribué au rayonnement international de la culture artisanale de notre si beau pays ? L’Art berbère, s’il n’est pas le seul joyau de l’artisanat algérien, est un des plus primordiaux. Il nous rappelle ces temps anciens où l’on appelait « hommes libres » les peuples du vaste territoire maghrébin. L’Algérie a été pionnière leader dans ce domaine, grâce notamment au travail de l’entreprise Brikci qui a récemment formé des artisans tunisiens, preuve que le savoir faire algérien est encore très réputé…
Karim Tedjani pour « nouara-algerie.com »
Pour voir plus de photos: "Au fil du coeur..." par Karim Tedjani.