24 Mai 2012
Rencontre avec Abdelhouab Kaarali dans son arboretum situé dans la Forêt de Mansoura à Constantine.
Cette histoire entre un homme et le peuple des arbres commence juste un peu après l'indépendance de l'Algérie. Nous sommes à Constantine, dans un quartier périphérique à la forêt de Mansoura. A cette époque, Abdelhouab est un jeune garçon au caractère déjà bien trempé dont la détermination est le trait le plus marqué. Souvent, quand il empreinte une route située à l'orée de cette forêt, il se met à rêver devant une maison qui surplombe une butte. "Si seulement je pouvais un jour m'y installer..." espère-t-il en contemplant cette modeste demeure qui est un logement de fonction destiné aux employés de la Conservation des forêts de sa ville natale.
Les années passent et Mr Kaarali devient ingénieur forestier. Il réside désormais dans le petit pavillon qui le faisait tant rêver en compagnie de sa femme et de ses enfants. Dès son arrivée dans cet endroit , il prend conscience des grands risques d'incendies qui menacent ce coin de forêt du fait qu'il est juste à côté d'une route. Il décide donc de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter cela en aménageant le terrain forestier qui entoure sa maison. Il faut ajouter que cet homme est passionné par son métier et qu'il a plus d'une fois risqué sa vie pour empêcher des feux de forêt de se propager. Pour lui, l'existence d'un arbre est aussi précieuse qu'une vie humaine. C'est pour cela qu'il n'a jamais eut à se forcer pour entretenir le bout de forêt que le destin lui a donné pour mission de protéger. Il décide aussi de planter d'autres essences que le pin et l'Eucalyptus et de se constituer ainsi son propre arboretum.
La première fois que j'ai rencontré ce dernier, il était sur le point de prendre sa retraite après une carrière exemplaire dédiée avant tout au "terrain" auquel il accorde une grande importance. "Pour moi, la place d'un forestier est dans une forêt, pas dans un bureau" m'a-t-il souvent confié lors des nombreuses randonnées que nous avons effectuées ensembles. J'ai été très touché par l'enthousiasme sans faille ainsi que la grande vitalité de cet homme hors du commun au point qu'une sincère amitié s'est instaurée entre nous. A Constantine, Abdelhouab Kaarali est mon allié le plus fidèle et, à chacune des visites que je lui rend, il me fait découvrir la nature de sa région de même qu'il me présente ses amis qui se battent , comme lui, pour la préserver.
Depuis, il est à la retraite. Après s'être investi dans l'action associative, notamment en étant un des membres fondateurs de l'association El Mebdouaa activant à Ibn Ziad, il décide de se consacrer totalement à aménager son bout de terrain afin d'en faire un havre de paix pour les arbres ainsi que toutes la biodiversité qu'il abrite. D'autant que cette forêt est menacée par la construction d'un pont géant dont un des chantiers est prévu aux abords de la forêt de Mansourah. L'année dernière, j'avais déjà écrit sur un des mes blogs, " l'Algérie en photos", un article sur ce protecteur de la biodiversité que j'avais intitulé "L'homme qui parlait des arbres". Il venait alors d'entamer les travaux d'aménagements de sa parcelle forestière notamment en récupérant une quantité impressionnante de pierres dans les environs de sa maison, et ce avec seulement l'aide d'un seau en métal. Il s'était ainsi appliqué à entourer doter d'un cerclage en pierre sèche afin de récupérer les eaux de pluie avec plus d'efficacité et de créer un espace de plantation au pied de ces derniers.
Un matin, il constate que des piquets ont été plantés dans son espace vert ainsi que plusieurs arbres ont été marqués d'une croix, ce qui signifie qu'on prévu de faire passer ce projet titanesque par le terrain qui entoure sa maison. Loin de se décourager, mon ami redouble d'efforts pour mettre en valeur ce terrain qu'il a conçu de manière à offrir aux arbres des conditions de développement idéales dans un cadre esthétique prompt à susciter l'admiration des passants. "Les actes valent mieux que les mots. J'ai voulu montrer l'exemple en me disant que si cette parcelle donnait l'impression d'être bien entretenue et utile pour la préservation de la nature en Algérie, elle serait épargnée..."
Cette année, comme à mon habitude, je me suis rendu à Constantine pour rendre visite à mon ami. J'ai constaté, sans étonnement d'ailleurs, qu'il avait très bien avancé et, surtout, que son coin de paradis avait été épargné par les travaux destinés au pont géant. Tout autour de son terrain, les arbres ont été abattus, mais, apparemment, on avait abandonné le projet de toucher à sa parcelle.
Avec une fierté justifiée, Abdelhouab me fit le tour du propriétaire en me commentant les nouveaux aménagements qu'il avait installés sur son terrain. A présent il dispose de deux plateformes de compost pour enrichir le sol de son espace potager. Il recouvre le pied de certains arbres d'un paillage récupéré lors de ses travaux de désherbage afin d'éviter que l'eau d'arrossage ou de pluie ne s'évapore pas trop vite.Il m'explique aussi que certains jeunes arbres sont apparus spontanément dans le site sur lequel il veille avec beaucoup de passion. C'est une preuve que ces arbres s'y sentent bien et en sécurité au point qu'ils semblent s'être "passé le mot. Pour lui, c'est la confirmation que c'est le destin qui l'a amené à vivre ici pour s'occuper de ces derniers.
Mr Kaarali a une vision bien précise de la conception d'un tel espace. Son approche est systémique. Au pied des arbres, il a planté des plantes afin qu'elles puissent profiter de l'ombre que leur procurent ces derniers. Il a veillé à ne pas laisser s'accumuler par terre les feuilles mortes d'eucalyptus qui sont très nocives pour le reste de la végétation et s'applique à désherber régulièrement le sol afin d'éviter toute propagation d'incendie. Chaque nouvel arbre est planté avec le souci de ne pas entrer en compétition avec ses voisins qu'il taille régulièrement dans le même esprit. Parce qu'il n'aime pas le terme "mauvaises herbes", il a laissé poussé certaines plantes adventices dont la bourrache qui fait le bonheur des abeilles qui sont d'ailleurs indispensables à la pollinisation de son amandier. Il m'explique qu'il compte fabriquer cette année des abris pour les oiseaux qui viennent régulièrement lui rendre visite dans cet arboretum dans lequel il s'affaire la majeure partie de son temps. Il n'utilise aucun produit chimique, ni pour aider ses arbres à se développer, encore moins pour les soigner. Toutes les installations qu'il a construites ont été conçues avec des matériaux provenant des alentours. Les résultats qu'il a obtenus parlent pour lui et témoignent de son savoir faire ainsi que son amour des arbres et de la nature en général. Il aimerait d'ailleurs faire profiter de son expérience à tous ceux et celles qui désirent.
"Si j'ai décidé de mettre en valeur ce lieu, c'est aussi pour qu'il devienne un espace de rencontre et d'émulation pour tous ceux et celles qui aiment la nature et désirent la protéger". Il m'installe sur une chaise longue, me sert un café accompagné de délicieux beignets arrosés d'eau de fleur d'oranger que son épouse distille elle même. Puis, quand vient l'heure du repas, nous dégustons, entre autres, des olives produites par les oliviers qui résident dans ce havre de paix pour les arbres ainsi que ses visiteurs. Comme à l'accoutumée, nous nous entretenons longuement sur la situation environnementale du pays. Bien qu'elle soit, dans l'ensemble, déplorable, nous partageons le même optimisme et la volonté de ne pas nous décourager.
" Celui qui plante un arbre agit pour le bien de la communauté. Il suffirait que chacun veille à respecter, mais surtout à mettre en valeur l'environnement qui l'entoure pour que les choses ne continuent pas de se dégrader. Il faut que chaque citoyen assume ses responsabilité vis à vis de la nature et prenne conscience que les générations futures ont le droit de pouvoir un jour en profiter. Celui qui plante un arbre est dans le vrai..." affirme cet homme qui aime tant allier la parole aux actes…
Karim Tedjani pour "Nouara, le portail de la nature et de l'écologie en Algérie".
Pour voir plus de photos, cliquez sur ce lien: "Celui qui plante un arbre" par Karim Tedjani