7 Juin 2011
2- « La femme rurale des temps modernes » Entretien avec Mme Baba Ahmed présidente de l’association « Main dans la main ».
10 heures, nous voici tous réunis et fin prés pour le départ vers notre première étape : la ferme d’accueil pédagogique des Asphodèles. C’est bien entendu Mme Baba Ahmed qui prend la tête du cortège au volant de son véhicule tout terrain. Elle me proposa de monter en sa compagnie ce qui fut pour moi un bon prétexte pour m’entretenir avec elle de son association ainsi que de ses projets.
Mme Baba Ahmed a la soixantaine passée, pourtant elle déborde de jeunesse au regard de sa fabuleuse énergie, de son aura positive ainsi que de ses nombreuses compétences. Fille d’une famille de grands propriétaires terriens et de martyrs de la révolution, cette femme est à la fois ancrée dans la tradition rurale de son pays comme c’est une citadine accomplie qui, « dans le civil » tient même une auto-école. Navigatrice, cultivatrice, éleveuse, cuisinière hors paire, femme d’affaire avisée, cette Dame (avec un grand D) est une femme d’action au sens littéral du terme. Durant les deux jours que j’ai passé à Oran, j’ai toujours eu l’impression de la voir en activité et le succès de cette journée est en très grande partie du à son infatigable soif d’agir pour le bien de sa cause. Car Mme Baba Ahmed est convaincue, à juste-titre d’ailleurs, que le monde rural et plus particulièrement les femmes des campagnes ont un rôle très important à jouer dans la pérennisation de notre patrimoine environnemental et culturel. N’est-ce pas le paysan qui façonne la campagne et qui met aussi « la biodiversité dans vos assiette ? » comme elle aime à le répéter souvent… Son épouse qui participe à nombre de tâches utiles à la ferme, est également garante de la bonne éducation des enfants. La femme rurale algérienne est un vecteur de transmission. Son savoir est certes empirique mais il est d’autant rare, précieux qu’éclectique. Il va de l’élevage de la basse cour, de l’art culinaire, de l’artisanat, de la médecine des plantes, des contes et légendes, de l’élevage des abeilles, de la culture du potager etc.
Ignorer cet état de fait est à mon sens une grave erreur et reflète un manque profond d’intelligence de la part de quiconque se déclarant vouloir préserver la Nature algérienne (au sens propre comme au figuré).
Pour en revenir à nos moutons, si j’osais m’exprimer ainsi, tout en conduisant, elle me parle avec passion de sa région et des ambitions qui l’animent.
Tout d’abord, elle me rappelle que les îles Abibas situées tout prés des côtes d’Oran, ont été reconnues par le professeur Cousteau lors de sa visite en 1979 comme étant quasiment vierges et exempt de pollution. Ce joyau de la nature abrite en son sein le phoque moine (espèce très rare) ainsi qu’une biodiversité souvent endémique. Par exemple, tout au long de ses 4kms et demi on peut voir pousser la « Pepétra » une plante aux vertus médicinales qui est capable de soigner les calculs rénaux.
Pour cette présidente d’association, les douars d’Oran regorgent de plantes ainsi que de fleurs aromatiques qui sont souvent aussi médicinales, telles que le romarin et la lavande (pour ne citer qu’elles). Elle a d’ailleurs tenté de développer un projet de mise en valeur de cette richesse avec des femmes rurales dont elle est la plus prestigieuse ambassadrice. Il fut question dans ce programme de transformer en huiles essentielles ses précieux végétaux, mais faute de moyens financiers plus que techniques, ce projet fort pertinent, s’inscrivant tout à fait dans l’optique de développement durable que le ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement semble vouloir développer, n’a pas encore vu le jour. Ces femmes rurales, si elles eurent le soutien des universitaires ne furent pas autorisées à effectuer la cueillette de ces essences* Toujours selon elle, si ce secteur est totalement vierge dans l’Algérie moderne, du temps de l’occupation française, à Hassighala à l’ouest du pays, une grande distillerie de lavande était en activité.
Mme Haroun, assise à l’arrière du véhicule, me parle de l’élevage du vers à soie, notre conductrice nous explique qu'il à été tenté avec succès à Nedroma, toujours dans l’ouest algérien. Mme Baba Ahmed se souvient d’ailleurs d’une époque où enfant, il y avait dans sa région des mûriers sur lesquels elle et ses camarades de classe trouvaient des cocons de papillons à soie. Elle me dit que cela serait une bonne chose de replanter ces arbres afin de relancer cette activité dans notre pays où, au fond, tout est possible pour peu qu’on fasse preuve d’ambition. Puis, elle me parle de la journée de l’arbre qui, se déroulant le 21 mars, devrait être avancée au vue des changements climatiques qui s’opèrent dans sa région. Pour elle, ainsi que pour bon nombre de paysans, cette fête devrait être reportée avant la mi- février car, passée cette période, les pluies ne sont plus suffisantes pour garantir à 100% la pousse des jeunes arbres plantés. Oran, jadis si réputée pour ses orangers et ses vignes (délias) souffre aujourd’hui à l’instar de beaucoup de wilayas d’un manque d’eau. Mon hôte me signale qu’il faut au moins vingt litres quotidiens de ce précieux liquide pour permettre à un oranger de se développer convenablement. C’est d’ailleurs pour cela qu’on lui préfère de nos jours l’olivier qui est moins gourmand en ressources hydriques.
Les abeilles, thermomètre de la bonne santé de notre environnement semblent, ne plus assurer leur production de miel en périphérie urbaine, mon guide, qui en connait un rayon sur le sujet, me fait remarquer que c’est un indicateur des changements climatiques qui s’opèrent dans sa wilaya. De même, Mme Haroune me fait part de la progressive salinisation des sols qui érode la richesse pédologique de la région. C’est, précisons le, un phénomène qui touche toute l’Algérie.
Nous passons devant Misserghin où se trouve un grand centre d’enseignement et de formation agricole. C’est ici qu’au début du XIXème siècle le père Clément « inventa » la Clémentine m’informe Mme Baba Ahmed. C’est aussi dans ce centre, qui fut jadis un centre d’accueil pour les orphelins, qu’il créa en 1841 une des premières fermes pédagogiques au monde alors qu’il faudra attendre près de cent ans pour que cette initiative soit instaurée aux états unis d’Amérique. Après l’indépendance, beaucoup de nos cadres agricoles ont été formé à cette école réputée à travers tout le pays.
L’association « Main dans la main » sous l’impulsion de sa présidente, milite activement pour la vitalité du monde rural en Algérie parce qu’il joue un rôle très important dans l’équilibre environnemental de notre si beau pays. La femme rurale est un élément clefs qu’on a tendance à sous estimer et je suis ravi de savoir qu’elle a trouvé en Mme Baba Ahmed, soutenue par Mme Haroun, une ambassadrice digne du courage, de la sagesse et du savoir faire de ces femmes qui, certes dans l’ombre, participent activement à préserver notre culture ainsi que notre patrimoine naturel. J’aimerais d’ailleurs rappeler que ce portail (Nouara) porte le nom de ma grande tante, elle aussi femme rurale, qui m’a inculqué dès mon plus jeune âge l’amour de la nature et des traditions ancestrales de mon pays d’origine. C’est grâce à cette femme que j’ai pu, moi le fils d’immigré, « exilé » à Paris, découvrir chaque été la magie des campagnes algériennes. C’est par un hommage profond et sincère à toutes ces paysannes que j’aimerais conclure le deuxième chapitre de ce reportage…
*(voir article )
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