ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT EN ALGERIE (Une revue de web de plus de 4500 articles )
19 Décembre 2013
Je suis né deux fois. D’autres diront que j’ai deux nationalités, ou bien s’interrogerons sur la nature de ma double « identité nationale ». Pour moi, c’est simple : quelque soit le nombre de mes cartes nationales ou bien encore de mes passeports, bien que mon identité intellectuelle est incontestablement celle d’un parisien fier d’être un citoyen du monde, je ne me sens par contre qu’une seule et véritable nature profonde : celle d’un Algérien.
Il n’y a dans cette évidence aucun reniement, aucun désaveu de ma part quant à la place de ma nation d’adoption dans ma construction identitaire. Je suis aussi Français, au regard de mon état civil et de mon éducation. C’est que, tout simplement, si je suis venu au monde à Paris, au début des années soixante dix, c'est bel et bien sorti du ventre de ma mère, une authentique fille de l’Algérie. Aucune éducation publique, aucun dépaysement, aussi loin de mon pays d’origine soit-il, ne pourront m’éloigner de cette Algérie, terre mère de mes ancêtres, qui m’habite bien plus que je ne l’ai habitée.
Ma deuxième naissance, à vrai dire, elle s’est justement produite l’été où, en plein milieu des années quatre vingt, j’ai découvert la nature de mes origines. Tout d’abord celle d’une région, puis, à force de partager le quotidien de ses habitants, celle d’une culture que je portais naturellement en moi, sans jusque là vraiment le savoir. Depuis ma première bouffée d’oxygène "volée " à ce bas monde, cette nature des douaris de l’Est algérien a toujours été présente en moi.
C’est , durant les grandes vacances de l’été 1984, que je fis la découverte de la ferme où vivait, le plus simplement du monde, ma grande tante Nouara, accompagnée de son époux, le noble Chaïb EL Haidi Latréche. Ils y avait aussi leurs treize enfants, avec qui j’allais également apprendre maintes astuces et manières utiles pour vivre en parfaite harmonie avec mon environnement.
A cette époque, comme je m’en souviens encore, Guerbes était un paradis naturel qui combinait à la perfection tous les charmes de la méditerranée.
D’abord celui d’une mosaïque en perpétuelle mutation où se forment des mares, des étangs, des lacs et même des rivières plus où moins éphémères. Ici le ciel, la terre et la mer n’ont jamais parus aussi interdépendants. C’est la pluie tombée du ciel qui aura, bien entendu, toujours le dernier mot. Mais, de cette fatalité est née une Magie, presque endémique à ce « pays ». La mer et la terre ont appris, par la force des choses, à s’entendre pour récolter le plus précieux don du ciel à la vie sur Terre, après, bien entendu le Soleil : de l’eau.
Il suffit pour s’en rendre compte de se laisser subjuguer par la majesté de l’Oued El Kebir venu de loin pour s’immiscer dans les vastes paysages de plaines humides de Messoua où les hordes de petits chevaux fougueux et sauvages , qui s’y étaient installé en grand nombre, donnaient alors au paysage des faux semblants de steppe Mongole. Comprenez qu’il vient ici mourir en maints estuaires ; pour renaitre dans la baie de Guerbes et, s’abandonner à l’irrésistible étreinte de la Mer. Puis renaitre de ses gouttes, volées à l’horizon maritime par les rayons du Soleil, foyer dans un ciel qui bientôt déversera une partie de son azur sur la Terre. Puis, elle confiera à nouveau au fleuve toute cette eau empruntée à la Mer. Le temps d’un cycle, d’une énième transmutation, d’une des plus belle ronde la vie…
Que dire de la large baie Guerbes qui étale, le long de la côte, ses plages encore vierges? Et ses dunes qui étaient , à cette époque, encore à la hauteur de leur rôle écologique ? Celui d'un rempart naturel contre les vagues de baisers salés , et donc mortels , que la mer envoie de ses vents puissants sur les terres intérieures.
Les forêts de chênes et de pins maritimes, les aulnaies, les oliviers sauvages trônaient, en ce temps là au pied des monts Edough et Filfila, tels les maitres incontestés de la région. De véritables petites cours avaient vu le jour sous la gouvernance bienveillante et protectrice de ces nobles seigneurs, seuls capables d’empêcher le sable marin d’anéantir les frontières invisibles qui doivent persister entre la mer et la terre. Les maquis de broussailles, aux bouquets odorants mille et un parfums délicats, le sol bariolé par des colonies de fleurs apprêtés des plus belles couleurs de la nature , tout cela laissait ici à la vie un arrière goût de douceur de vivre . Certes , une nature sauvage , mais qui imprégnait tout ce qui la touchait, jusqu'à la viande et le lait des bétails qu'elle dotait d'un fumet muscé si délicieux à ressentir.
La musique de Guerbes a toujours été ma plus grande inspiration en tant qu’artiste. Les oiseaux sont les indiscutables chefs de cet orchestre à plein temps, de cris, de hululements, d’aboiements, de hennissements, de beuglements, de sifflements, de croassements en tous genres et espèces. Le rythme est partout dans cet environnement naturel, mais ce sont les mélodies, les chants qui mènent cette danse en l’hommage à une nature toujours en variation entre deux thèmes. J’ai ainsi appris à discerner les ponts invisibles qui persistent entre tous les mondes, l’ensemble des systèmes; à entendre la beauté des harmonies les plus improbables tant ici, dans mon pays, les écosystèmes les plus extrêmes ont appris à se rencontrer en parfaite intelligence. J’ai compris le grand intérêt d’être toujours prêt à se laisser surprendre par la vie…
Cette capacité à discerner les correspondances entre chaque parcelle de vie, de ce qui n’est, en fait, qu’un seul Tout universel, cette vision m’a été transmise dans ce douar qui, quand j’étais gamin, me paraissait être avant tout le théâtre idéal pour m’amuser et m’évader de ma routine parisienne. Avec le recul, je me suis rendu compte que c’était une véritable initiation dans laquelle je me suis investi depuis le jour où j’ai décidé de revenir ici.
Je ne pourrais vous raconter tout cela dans un simple billet qui, pardonnez moi, a pris une tournure un peu trop personnelle et nostalgique…
J’aimerais simplement conclure en vous relatant une des plus belles leçons que j’ai reçue au contact de ces Algériens dont le naturel est en train, malheureusement, de disparaitre des valeurs de notre société algérienne contemporaine.
C’est l’avertissement d’un homme qui a parcouru de long en large son pays, avant de se poser un jour à Guerbes. Né orphelin et pauvre, il a grandi dans un contexte de lutte révolutionnaire à laquelle il a apporté une contribution d’une rare valeur et sincérité : sa connaissance parfaite de la nature, ainsi que de la sagesse des anciens. Parce qu’il a toujours respecté sa parole, son prochain et la nature dont il avait appris à tirer un juste profit, il était devenu un des hommes les plus riche et respecté de sa région. Lui qui dormait chaque nuit sur une simple peau de mouton, à la pleine lune ou bien dans sa petite chambre. Une cabane en bois et taules de récupération où une immense photo de Boumediene imprégnait de son regard implacable toute cette minuscule pièce meublée de bric-et de -brocs récupérés sur les plages de la baie , ou bien , encore, offerts par les nombreux membres de la famille qui venaient des quatre coins du pays passer l’été chez lui.
Un jour, que j’avais une fois de plus l’immense privilège de partager le frugal diner de ce pourtant riche berger, mon grand oncle feu El Haidi (Allah yarahmou) me dit, comme pour conclure ce repas :
« Mon fils, tu es grand à présent, et moi je suis vieux…
Je me souviens de la première fois où, gamin tu m’avais demandé si tu pouvais passer l’été chez moi. Tu ne parlais pas un mot d’Algérien. Et puis, les étés sont passés, et à chaque fois tu es revenu parmi nous. Tu as appris à vivre et parler comme nous et, un jour, j’ai même fini par te confier mon troupeau. Tu as également bien veillé sur mon cheval Messaoud et tu as su dompter la meute de mes chiens pourtant si féroces avec les étrangers; tu en as fait de vrais compagnons. Et, tu vois, de nos jours, rares sont les jeunes de la région, et sûrement pas mes fils, qui savent apprécier la valeur d’un bon cheval et, encore moins, celle d’un chien fidèle.
Je me suis souvent amusé de te voir m’écouter et d’essayer de comprendre mes Ma3nas, toi le petit parisien qui me bombardait sans cesse de questions sur la nature et les traditions de notre pays.
Maintenant tu as grandi et moi je suis devenu vieux…
Seul Allah peut répondre à la question de savoir si on se reverra un jour. Car, qui sait quand tu reviendras la prochaine fois? Tu t’es déjà absenté dix ans sans donner de nouvelles et, qui peut te comprendre mieux que moi ? A vingt ans, j'arpentais déjà les routes en compagnie de ma femme et de mes enfants…Je me suis sédentarisé, mais je suis resté un nomade dans l'âme tu sais…
Tu ne trouveras peut-être, à ton prochain retour, que ma tombe et mon souvenir pour répondre à tes questions. Mais, quoi qu’il en soit, je suis content de ma vie, et encore plus de partir à ce moment de l'histoire de notre pays. Tu sais, je me fais du soucis pour ce lui, pour tous ces jeunes qui arrivent. Ils ont oubliés la valeur de la parole, ils ne parlent plus que sans retenir leurs mots. Ils causent pour ne rien dire, pas pour tenir leur parole.
Tu vois, de mon temps, on jugeait un homme à celle-ci . La tenue de sa moustache, le flamboyant de sa selle et la carrure de sa monture, la facture et l’entretien de son sabre, tout cela avait une influence sur votre réputation, au fond, ce n’était que des apparences…Seule la parole d’un homme honnête comptait.
Aujourd’hui, quand je remonte à la main chaque matin ma vieille montre de veston, je vois bien que mes enfants se moquent de moi. Ils se demandent pourquoi se tracasser la tête à remonter sa montre à une époque où elles sont électroniques et quelles fonctionnent avec des piles. Des montres que l’on exhibe à son poignet, comme un bijou que l’on peut admirer à tout moment. Alors que nous, de mon temps, on les gardait bien à l’abri dans nos poches tant elles étaient précieuses et on ne souciait du temps que lorsque le soleil ne pouvait nous en donner un décompte assez précis.
Cette génération de montre en plastique, ne semble pas comprendre le plaisir de remonter soi même le temps . Ce geste quotidien me rappelle que je dois respecter une certaine discipline pour survivre et prospérer. Je suis responsable de centaines d’animaux et je possède plus de vingt hectares de terre; j’ai un tracteur, une voiture bâchée, j’ai élevé treize enfants à qui je vais léguer une grande richesse. C’est grâce à cette discipline que j’en suis arrivé là. Voilà ce que me rappelle ma montre chaque matin quand je la remonte avant qu’elle ne s’arrête…
Moi, ces montres jouets que je vois partout au poignet des gens à présents, ils me donnent envie de te donner un bon conseil.
Quand tu manges quelque chose, demandes-toi de qui elle provient. Et tu sauras dans quelle condition elle a été produite. Parce que les gens responsables, cela ne va pas courir les rues bien longtemps dans ton monde de fainéants irresponsables. Quand tu mangeras de la viande, demande toi toujours ce qu’elle a d’abord mangé et quelle est la nature des hommes qui l’ont nourrie. Le secret c’est que plus la bête peut varier son régime alimentaire, plus elle choisit son alimentation, meilleure au goût est sa viande , et encore plus pour la santé. C’est pour cela que j’ai toujours dit que celle des chèvres, de même que leur lait, sont les meilleurs dans la région. c'est bêtes là, elle mangent de tout et sont adaptées pour aller chercher une nourriture impossible à atteindre pour les vaches, et encore plus les moutons. Mais attention, il faut être responsable, les troupeaux de chèvres peuvent causer de redoutables dégâts à la couverture végétale, si on les laisse trop faire. Il y a un juste milieu à trouver pour que cette tendance reste bénéfique à nos forêts.
Dans ton monde, on ne se soucie plus de savoir cela .Ce qui compte, de vos jours, c’est faire de l’argent. Pas de faire de bonnes choses.
Moi je suis devenu riche, c’est vrai, mais je suis resté simple, et je me suis enrichi pour vivre mes deux passions : la terre et le troupeau. J’ai bien soigné mes bêtes, je n’ai pas endommagé la nature sans la réparer.
J’ai compris qu’il faut laisser la nature faire sa part et toujours , dans mes récoltes, celle qui revient natruellement aux sangliers, aux chacals, aux oiseaux et tous les autres animaux sauvages qui partagent avec moi leurs territoires. Donne peu et tu recevras beaucoup Donne ce qu’il faut et tu auras tout pour être heureux mon fils N’oublies jamais cela… Respectes la vie des autres et on te respectera vraiment pour ce que tu es, par pour ce que tu as… »
Effectivement, ce fut la dernière fois que je pu entendre ses paroles si sages et prophétiques. Nous étions vers le milieu des années quatre vingt dix, en pleine décennie noire. Quelques années après, il allait mourir dans des conditions qui méritent un chapitre à elles seules tout . Et moi je ne reviendrais pas avant 2009, date où mon retour à Guerbes à complétement bouleversé ma vie…
Ce qui m’a le plus frappé dans ces dernières prescriptions d’un père spirituel à son fils d’adoption , qu'il savait au fond parti pour ne pas revenir avant un bout de temps, c’est qu’une fois de plus cet homme était allé à l’essentiel. Il m’avait donné un conseil que je pouvais appliquer à tout et n’importe quoi ; c’est cela un des secret de la nature Algérienne ; cette intelligence instinctive d’adaptation. Ainsi, quand je suis revenu, cet été là , à Paris, j’appris dans la presse que j’avais pendant des années mangé des animaux nourris avec leurs propres pairs et que cela avait engendré un maladie « folle » chez les bestiaux…Alors me suis souvenu de ce que avait voulu me faire comprendre ce grand maître de la vie…
J’ai compris, alors, quelle époque inquiétante s’annonçait pour le Monde et l’Algérie…Parce que partout dans le monde, la nature humaine a été polluée autant que la nature de notre si belle planète par les mêmes mauvais esprits.
En 2013, après avoir parcouru une bonne partie de la zone tellienne du pays, à la recherche de cette nature matérielle et immatérielle commune entre tous les Algériens de ce pays, je mesure encore la chance que j’ai eu d’avoir été initié dans mon enfance à cette philosophe empirique de la vie.
Aujourd’hui, Guerbes n’est plus aussi flamboyant de sa nature et, les anciens se meurent à petit feu; tandis que leur message s’étiole à mesure qu'ils nous quittent. Pendant que les jeunes s’agglutinent à présent dans les forêts environnantes pour se bourrer la gueule avec de la bière qui n’en a que le nom.
Les enfants d’El Haidi sont, malgré un héritage matériel conséquent, devenus pauvres en à peine deux ans après la disparition de leur père. Sûrement parce qu’ils n’ont pas saisi la valeur du lègue spirituel en leur possession. Ils les avaient pourtant prévenu: « avec votre état d’esprit, tout ce que j’ai construit en une vie disparaitra en quelques années de votre cupide et stupide existence…Vous verrez..."
Nouara, jadis réputée pour sa science des remèdes à base de plantes médicinales, est devenue, sous l’influence de ce nouveau monde qui l’entoure, accroc aux calmants et ne jure plus à présent que par eux… Pour moi c’est tout un symbole, celui de la dégénérescence de notre nature algérienne.
Beaucoup d’animaux sauvages que j’ai connu dans mon enfance ont disparu ou se font plus rares. Le désert s’installe sous l’influence maléfique des nouveaux barons de la pastèque …Comme il est loin le temps d'El Haidi , pas dans le temps, mais dans le coeur des gens...
Mais Nouara est encore en vie, et elle continue à me raconter sa vie durant nos interminables veillées, et à présent, son prénom est devenu un symbole, pour de nombreux amoureux de la nature algérienne. La région reste d’une grande beauté et, qui sait, avec de la bonne volonté et beaucoup d'efforts, peut encore espérer devenir un jour le haut lieu du développement durable en Algérie que je lui ai toujours souhaité d'être , ne serait-ce que pour avoir les moyens de la protéger.
Oui, je gardes encore espoir. Je le garderais d'ailleurs jusqu’à mon dernier souffle ; et pour Guerbes et pour l’Algérie, et je l'espère, pour le reste du Monde. Car, durant mes voyages à travers l'Algérie, j’ai rencontré tant de gens qui portent toujours en eux le message de ces millions de El Haidi Latrèche qui ont fait la vraie histoire de notre pays.C'est d'ailleurs à eux, ainsi qu'aux anciens que je dédie ce récit...
Photos prises par Karim Tedjani entre 2009 et 2013...