ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT EN ALGERIE (Une revue de web de plus de 4500 articles )
4 Juin 2014
Kaleche Zine El Abidine, alias Zino
#2- L'Homme de la Montagne…
Je suis un habitué des randonnées de campagne, plus particulièrement dans la luxuriante région de Guerbes Sanhadja dont le charme bucolique allie à la perfection toutes les magnificences de la biodiversité afro-méditerranéenne.
Dans le contexte de la Montagne, je me suis toujours senti un novice. Sans véritables repères, la plus part du temps, le souffle coupé, tant par les panoramas que par l’effort que j’ai dû fournir pour profiter quelques minutes du privilège des vues panoramiques qu’elle offre à ceux qui auront sû l'approvoiser. Car on ne conquiert pas une montagne. On s'y invite avec prudence et humilité. On garde toujours à l'esprit l'âme sauvage qui l'habite...
Il faut dire que cette Nature impose au marcheur des lois pour lesquelles elle est rarement permissive. La rigueur est de mise en montagne, comme une condition incontournable à la survie. Ne randonne pas qui veut sur les flancs d’une chaîne montagnarde digne de ce nom, telle Tikjda. Il faut être encadré, initié par de chevronnés moniteurs, au risque de voir son périple prendre la tournure d’un drame parfois sans retour. Ell ne tolère en son sein ni les naïfs, ni les impétueux. Quand on lui ment, c’est d’abord à soi que l’on invente une réalité. La vérité, elle, celle de ses sentiers et de ses flancs escarpés à des altitudes parfois vertigineuses, aura vite fait de vous rattraper sans le parrainage d’un montagnard expérimenté.
La Montagne impose le respect et la solidarité. Même le plus averti des guides de montagne hésite à l’affronter dans la solitude. Les amoureux des hauteurs est une communauté, un petit monde où tout le monde se connait et doit pouvoir compter sur la vigilance et la maîtrise de l’autre. C’est une question de survie quand on vit telle aventure ensemble.
Pour que la Montagne vous adopte, il ne suffit pas de l’apprivoiser avec du matériel, de la technique ou bien une assistance logistique. Non, c’est une panacée qui ne se transmet qu’aux hommes et femmes d’altitude. Il faut avoir autant le goût pour la hauteur spirituelle que le dépassement physique, afin de la la mériter. Alors, l’amour de la montagne devient initiation, philosophie, art de vivre, élévation vers l’excellence, bien plus qu’un simple sport d'aventure.
Zino, est de cette trempe. C’est un conteur hors paire, de ceux qui sont également les acteurs ou les témoins des histoires racontent, surtout quand il s’agit de parler de celle de sa Montagne ainsi que des Algériens qui l’ont façonnée.
Dès la mise en route du minibus dans lequel nous allions rallier la place du Premier mai d’Alger au Chalet du Kef de Tikjda, mon nouvel ami me raconta son Djurjura. Celui d'un enfant d'Alger, originaire de Souk Ahras. Un homme libre dans l'âme et l'esprit qui s'est fond dans le décor de cette région Kabyle...
Un nom reviendra souvent dans sa narration : Si Mustapha Muller, un Algérien d’origine autrichienne qui aura consacré une grande partie de sa vie à la protection et la préservation de ce havre de la nature sauvage et participa très activement à la création des parcs nationaux algériens. Un mentor, un père spirituel pour tous les guides de montagne de la génération de Zino à qui il a laissé un immense héritage.
« Mon nom est Kaleche Zine El Abidine. J'ai découvert la montagne quand j’avais 19 ans. Alors secouriste pour le croissant rouge, on me proposa une mission dans la région montagnarde de Chréa. Fasciné par cette nature, je décidais plus tard d’entrainer un ami vers les sommets Tikjda. Je voulais découvrir des montagnes plus hautes, plus sauvages… »
Puis il fit la rencontre d’un homme qui laissa une empreinte indélébile à Tikjda, autant dans la mémoire de ceux la vivent de près ou de loin. Si Mustapha Muller était un Algérien d’origine autrichienne, plus qu’un « Gawri » installé en Algérie, tant il a donné à son pays d’accueil et de lutte militante. Sans jamais vraiment lui parler, Kaleche a vécu près d’une année baigné dans son rayonnement. Cela lui a suffit pour lui transmettre la contagion de sa passion pour la montagne.
« Si Mustapha était un puriste. Au point même de refuser de se chauffer au bois mort parce qu’il disait que c’est la source d’un substrat vital pour la forêt. C’était un homme bon avec les gens de bonne volonté, mais n’en restait pas moins un leader sévère qui ne tolérait aucune mauvaise attitude vis-à-vis de la Montagne… On lui doit beaucoup… C’est le mentor de toute une génération…»
Zino, me raconte beaucoup et à la fois peu de sa vie, des montagnes matérielles et immatérielles qu’il a gravit ou doit encore atteindre le sommet. Se sont des bribes, des réminiscences au gré d’un détail de la nature croisé, d’un ancien collègue rencontré. Avec lui, tout prend une dimension légendaire, non au sens mythologique, mais plutôt symbolique. Ce n’est pas tant les détails de ses narrations que j’ai retenu, mais surtout une impression de toucher des doigts l’âme de la Montagne et l’esprit des Montagnards. Une âme pure, intransigeant, juste, sans démagogie. Un esprit de conquête, une rigueur dans la réflexion et l’action, une sévérité bienveillante, un amour inconditionnel pour la liberté et le combat pour la garder.
"J'ai voulu aussi connaître une nature encore plus farouche et sauvage. A Talaguilef, j'ai connu mes plus belles sensations d'altitude. De Bivouacs en bivouacs, qui duraient parfois de longues semaines, j'ai repris contact avec mon état sauvage. En totale immersion dans une nature aussi belle qu'hostile.."
Sauvage, ici, ne veut dire farouche, seulement dangeureux. C'est tout simplement l'état d'être humain qui a précédé la vie en sociétés civilisées. Un homme alerte de tous ses sens, qui ne peut se permettre la moindre erreur dans le contexte d'un environnement qui ne lui fera aucun cadeau si il ne se soumet pas à sa vérité.
"Et puis, il y eut la maladie..."
Tout d'abord celle du terrorisme, une folie collective qui a complétement boulversé l'approche que les gens avaient de la montagne et des forêts alors hantées par les pires animaux sauvages d'origine humaine. Mais c'était un mal pour petit bien égoïste, celui de la nature qui, alors desertée par l'homme, reprit totalement son caractère sauvage.
"Mais cela devenait risqué de randonnée sous la rumeur de la horde d'assassins qui s'y été installé. J'avais pourtant noué des liens très profonds et sincères avec les montagnards de la région. Plus particulièrement Akli qui, plus tard, pour me faire du bien, me portera sur son dos à travers la montagne, pendant de longues et pénibles heures...
Etrangement, je suis tombé malade deux après avoir quitté la vie de montagne. Mais j'ai toujours senti que mes nouvelles douleurs ne trouveraient d'apaisement dans l'atmosphère de la montagne et de la nature sauvage. En 2002, j'ai même campé pendant deux mois dans les ruines d'un hotel de montagne..."
Il me parla souvent, avec gratitude, de ses amis de Tikjda à qui il a l'impression aujourd'hui de révéler un peu plus la chance qu'ils ont de vivre dans un tel paradis naturel. Tout le monde le connait et l'apprécie. Je l'ai constaté durant ces deux jours d'initiation à l'âme de la montagne.
Son histoire, son destin, à l’entendre me la raconter, je la perçois plutôt comme un signe, une mission, un message. Il me parlera aussi beaucoup de ses épreuves, je ressentirais souvent, durant notre rencontre, toute la mesure des douleurs qui le hantent et font obstacle à ses ambitions d'aventurier.
Mais Zino, est un joueur d’échecs dans l’âme et l’esprit. Il a toujours sur rebondir et replacer ses pions vers une nouvelle partie, à chaque mat que lui fait la vie. C’est sa plus belle victoire, à mon humble avis. Vivre sa vie comme un escaladeur imperturbablement attiré vers le sommet. Là où on survole le monde, où tout parait plus clair, plus dégagé. Il a choisi la Voie du Sabre, celle du combat nippon qui ne baisse jamais la garde que pour périr...
De ce que j’ai pu comprendre de lui, tandis nous nous rendions à pied du Chalet du Kef au complexe touristique, durant la nuit de bivouac en partageant la même tente, Zino est un de ces personnage de roman ou de film, au destin la fois tragique et exceptionnel. Il a connu beaucoup d’aventures depuis ses quarante ans passés. Il a évolué dans un monde d’intellectuels et de gens d’exceptions au côté de feu son père, une des hautes montagne de sa vie, je l’ai senti en l’écoutant.
Zino aime la montagne. Il vit cet amour intensément, comme tout ce qu’il ressent. Même le corps cloué dans fauteuil roulant, son esprit vole dans les cieux comme l’aigle royal plane sur la cime des montagnes qui le fascine.
« J’ai eu longtemps une ânesse afin de continuer à arpenter les chemins de montagne qui me font tant vibrer. Mais je n’ai pu la garder car elle avait un sale caractère et que je n’ai trouvé personne pour la garder… »
Il n’a jamais cessé de se projeter vers les hauteurs de ces montagnes. A voir le rescpect et la bienveillance qu'il suscite chez les jeunes moniteurs et membres du CLUB SAM, on ne peut qu'être convaincu qu'avec de la volonté et la maîtrise , on peut relever tous les défis.
A présent, c’est son fils Oussama, un jeune ado à l’orée de ses quinze ans, qui l’assiste dans la plupart de ses faits et gestes de montagne. Une graine d’homme qui fait honneur au nom de son père. Toujours au rendez-vous, fidèle, attentionné, passionné autant que son géniteur pour les sports d’aventures. Déjà un fin connaisseur des lieux qu'il arpente depuis qu'il sait marcher!
Nous avons passé la première journée à marcher ensemble, moi à pieds, Zino dans son fauteuil roulant. Tandis que je poussais son siège, quand cela était nécessaire, que je l’écoutais et je prenais également le temps de m’arrêter pour faire des photos, j’ai eu souvent l’agréable sensation de toucher l’essentiel, d’être porté par le rayonnement d’un homme qui vit la quête du sommet comme rare le font dans notre pays.
Parce qu’il est lui-même une Montagne qui, quand on se laisse guider par Zino, nous offrent de bien beaux panoramas sur la Vie…
Consultez l'album photo:
Tikjda- La ballade de l'amitié...
A suivre..