19 Novembre 2013
L’Algérie dispose d’une immense réserve de gaz de schiste. C’est ce que disent les études américaines ainsi que les premiers résultats officiels des prospections réalisées par l’expertise nationale. Une telle découverte devrait paraitre, à première vue, une bonne nouvelle pour le développement économique de notre pays, si prompt à se reposer exclusivement sur la rente qu’elle tire de ses sous sols.
Mais, une donne devrait malheureusement mettre un terme aux rêves de certains quand ils s'imaginent un aussi prometteur festin : la technologie utilisée pour extraire ces gaz et pétrole non conventionnels consiste à fracturer les poches de schiste qui les emprisonnent en pulvérisant à très haute pression des quantités astronomiques d’une eau, à laquelle on a ajouté du sable ainsi qu’une foule de produits chimiques.
Certes, il existe des arguments pour nous rassurer à ce propos. Il serait cependant salutaire de s’interroger sur la crédibilité de certains et de leur en opposer d'autres plus difficiles à remettre en question par la seule langue de bois.
Il est régulièrement rappelé aux détracteurs de la fracturation hydraulique horizontale que la plupart des produits chimiques contenus dans les fluides de fracturation sont déjà utilisés dans l’industrie alimentaire. Certes, mais le problème ne se situe pas tant dans la présence de telle ou telle substance chimique dans ce type de solution, mais bien de savoir dans quelles proportions elles y sont présentes. Imaginez que les sirops qui sont largement dilués pour obtenir les boissons sucrées que vous consommez tous les jours. Ils sont considérés comme des denrées hautement toxiques à l’état concentré. La toxicité d’une substance dépend avant tout de sa quantité dans une solution chimique. Or, si l’on connait la liste des produits adjuvés à l’eau et le sable composant ces fluides de fracturation, on n’a aucunement été informés dans quelle posologie… Il serait donc précipité d’affirmer que tous ces produits ne sont pas dangereux pour la santé et l'environnement.
Le Sahara est injustement considérée comme une région désolée, pauvre en biodiversité , sans grand intéret écologique. On ignore le plus souvent les rôles très importants que cet écosystème peut jouer dans l’équilibre écologique de notre vaste territoire. Une telle ignorance semble largement exploitée par certains pour nous faire croire que bouleverser l’écologie du Sahara n’aura pas de grandes incidences sur la santé de l’environnement national.
Parce qu’elles évoluent dans un environnement très hostile, la faune et la flore du désert ont développées des stratégies de survie souvent très originales. Elles sont donc rares à l’échelle planétaire et, leur présence est essentielle à l’écologie d’un espace naturel aussi fragile et précieux que le Sahara. Le maintien de toute cette vie est un rempart biologique contre l’avancée du désert vers nos côtes, à l’instar de la biodiversité de la steppe pré-saharienne. La désertification est la pire menace qui pèse sur notre pays.
Il en va de même de la présence des Algériens qui peuplent ce désert. Le maintien de l’activité anthropique participe à limiter l’avancée du désert. El Oued, Biskra, par exemple, n’existent que par la volonté des hommes et des femmes qui s’y sont installé. Ces régions, certes aux portes du Sahara sont d’ailleurs devenues au fil du temps de grandes zones agricoles. Il faudrait cependant revoir les méthodes d’irrigation utilisées dans ces wilayas, car elles sont trop hydrovores et polluantes . Mais comment demander ici de tels efforts quand on fera bien pire ailleurs ?
Ghardaïa et Ouargla sont des wilayas directement concernées par l’exploitation du gaz et pétrole de schiste. Ces régions ont pourtant un bel avenir touristique et agricole devant elles, on y développe même des projets de développement durable très pertinents, car combinant la plupart du temps tradition et innovation. C’est aussi un patrimoine culturel, une créativité, une économie, que l’on va bientôt s’affairer à polluer: celles des peuples du désert algérien.
Quand on sait qu’il faudra forer pas moins de 12000 puits pour extraire ces gaz et pétrole de schiste avec une technologie très écocidaire… Comment ne pas être inquiet pour la santé de la faune, de la flore, ainsi des populations qui résident dans le Sahara ?
On pourrait également évoquer les risques de secousses sismiques que fait apparemment courir une fracturation horizontale des sols exploités…
Il n’a pas été rare d’entendre, surtout de la part d’experts américains, que la nappe de l’Albien qui va être fortement sollicitée pour la fracturation hydraulique en Algérie est une réserve d’eau potable tellement importante qu’elle devrait suffire. Certes, c’est une des plus importantes d’Afrique, voire du monde. Mais elle est d’origine fossile, donc difficilement renouvelable et elle joue également un rôle écologique primordial de maintien de la faune et de la flore locale qui, rappelons-le, constituent un véritable rempart contre la progression du désert.
Plus le niveau d’une nappe phréatique baisse, plus la salinité a tendance à s’accentuer dans les sols environnants et, c’est encore une fois de plus le désert qui s’installe !
Notre pays, accusant une pression démographique croissante, envisage régulièrement de développer de nombreux projets dans le Sahara afin d’inciter la population à s’étaler de façon plus homogène à travers le territoire. Cette ambition dépendra essentiellement des capacités hydriques disponibles. Celles de l’Albien ne seront vraiment pas de trop; à dire vrai, sans elles, rien n'est possible.
De plus, il ne faut pas oublier que la Tunisie et la Lybie partagent avec l’Algérie cette réserve aquifère. Une Lybie qui, faute d’autres perspectives, en détourne de grande quantité pour alimenter sa grande rivière artificielle. La Tunisie, elle, a également opté pour le gaz de schiste alors qu’elle est déjà en manque cruel d’eau. Elle devra de ce fait, elle aussi, puiser dans cette immense nappe phréatique. Je vous laisse envisager la guerre de l’eau qui se profile dès 2025, quand l’eau fera terriblement défaut à tout le Maghreb…
Voici donc quelques unes des réponses aux arguments de ceux qui ne veulent pas patienter qu’une technologie moins gourmande en eau et surtout moins polluante permette d’extraire du gaz et du pétrole de schiste.
Notre pays est censé avoir encore de bonnes réserves de gaz naturel, de surcroit apparemment sous exploitées. Pourquoi se précipiter sur le gaz de schiste? A moins que ces dernières soient moins importantes que l’Algérie voudrait le faire croire et, cela pour des raisons géopolitiques évidentes. Il est impossible de répondre catégoriquement à cette question...
Les conséquences écologiques, économiques et sociales d'une telle exploitation risquent d'être cuisantes et la rentabilité loin d'être infailliblement au rendez-vous.
Dans ce cas, il serait encore plus qu’impératif d’opérer un grand bon en avant vers une autre Algérie. Celle des énergies renouvelables, d’une économie diversifiée et soutenable pour l’environnement, de l’efficacité de consommation, du recyclage des déchets, de l’agro écologie, non pas par effet de mimétisme, ou par opportunisme, mais bien parce que la société algérienne doit réaliser que cette mutation économique est la seule voie salutaire pour éviter le pire des avenirs qui se profile pour notre pays, à chaque fois qu’on oublie de respecter notre environnement…