L’Algérie va exploiter le gaz ainsi que le pétrole de schiste. Ce n’est pas un nouveau type d’énergie. Il s’agit plutôt d’extraire des énergies fossiles jusque là inaccessibles grâce à la fracturation hydraulique horizontale, un procédé très controversé, notamment parce qu’il fait peser sur l’environnement de terribles menaces.
Il faut dire qu’il est question, à chaque forage, de fracturer les roches très imperméables qui emprisonnent ces gaz et pétrole non conventionnels en injectant horizontalement dans le sol pas moins de 20 millions de m 3 d’eau adjuvée à près de 400 produits réputés pour les risques qu’ils peuvent impliquer pour la santé des hommes et du reste de la biodiversité.
Il existe certes des arguments principalement économiques pour justifier une telle prise de risque environnementale. Ils sont d’ailleurs largement diffusés dans les médias algériens conventionnels afin de rassurer l’opinion publique et de légitimer une telle technologie à bien des égards écocidaire et dont la rentabilité, pour peu qu'on se penche sur le sujet, parait des plus hasardeuse.
Je pense, pour ma part, une fois correctement informé sur le sujet, qu’il suffit juste d’un peu de bon sens pour se permettre d’être dubitatif quant à leur pertinence.
D’autant que les principaux diffuseurs d’un tel discours rassurant sont les mêmes qui comptent tirer d’énormes profits grâce aux gaz et pétrole de schiste. Notamment les américains qui détiennent l’exclusivité de ce type de forage. Comment leur en vouloir quand on sait qu’ils sont les seuls à être vraiment sûrs de la rentabilité d’une telle entreprise sur le sol algérien...
Apparemment l'état de fait le plus imparable en faveur de l’exploitation de ces énergies non conventionnelles en Algérie serait incontestablement les formidables réserves annoncées à notre pays par l’expertise américaine (EIA), une manne considérable parait-il pour l’économie algérienne. Annonce confirmée semble-t-il récemment par le président de l’agence nationale algérienne de valorisation des hydrocarbures (ALNAFT).
On parle tout de même, hors Etats Unis, de la troisième réserve mondiale de gaz de schiste après celle de la Chine et de l’Argentine! Il est vrai que pour l’instant, d’un point de vue purement économique et géopolitique cette exploitation est une bonne opération pour les U.S.A et le Canada. Le sera-t-elle autant pour l'Algérie?
Tout d’abord, il faut savoir que les prévisions de l’EIA américaine ne font pas l’unanimité parmi les experts du monde entier et qu’elles sont régulièrement revues soit à la baisse, comme récemment pour la France, soit à la hausse en ce qui concerne notre pays. Certains, et non des moindres, reprochent à leurs auteurs de verser un peu trop dans l’extrapolation et l’analogie alors que seule une exploration au cas par cas peut permettre d’envisager une estimation correcte de ces réserves.
Ainsi, même quand elles s’avèrent exactes, toutes ces études s'accordent sur le fait que la rentabilité de cette exploitation n’est pas totalement garantie. Si elle dépend largement de la nature physique et biologique de l’environnement où se situent les sites d’exploitation , le taux d'extraction est un facteur des plus crucial. Pour l'instant, à travers le monde, il n'excède pas les 15% à 20% des ressources en présence.
Déjà qu’en Algérie, aux dires de grands experts algériens comme M. Zouiouèche (ancien PDG de la Sonatrach), la performance de nos forages conventionnels n’est pas à la mesure des gisements présents dans les sous sols algériens…
On peut légitiment s’interroger sur la rentabilité immédiate de ce nouveau type de procédé d’extraction dans un pays qui n’est pas encore à même d’optimiser une exploitation dont il est censé avoir une longue expérience . Il est également possible de se demander pourquoi on ne s’applique pas dors et déjà en Algérie à améliorer les faibles rendements des forages de gaz naturels existants.
Certains vous diront ausssi que des entreprises de fracturations hydrauliques ont été déjà effectuées avec succès en Algérie, et ce dès les années soixante. Certes, mais jamais dans les proportions requises pour exploiter du gaz ou du pétrole de schiste. Elles furent occasionnelles et sûrement pas réalisées avec le même niveau de technologie actuel.
La Chine, nation la plus riche en gaz de schiste après les Etats Unis et première économie mondiale, peine à s’investir dans ce secteur. De même, la Russie, une super puissance gazière a jugé peu rentable et stratégique d’exploiter ses formidables gisements de pétrole de schiste.
La France, sous la pressions des écologistes, elle, a pris le parti de la précaution environnementale en interdisant pour l’instant la fracturation hydraulique horizontale sur son territoire ; d’autant qu’elle aura tout le loisir de l’effectuer en Algérie où aucun débat social n'a été engagé et, selon certaines rumeurs récurrentes, d’expérimenter dans le Sahara de nouvelles technologies peut-être moins polluantes…
En Algérie, il est indéniable que cette façon de forer fera peser d’énormes pressions sur les ressources aquifères du pays qui lui font pourtant sérieusement défaut . Aussi sûr que tout le Maghreb est une des régions du monde parmi les plus menacée par le stress hydrique et une future guerre de l'eau.
Malgré de considérables efforts pour atténuer cette menace, notre pays ne dispose pas, comme les USA et le Canada, d’un patrimoine aquifère important et, de plus, doit partager avec la Tunisie et la Lybie sa principale source d’eau disponible à la périphérie de ces gisements .
Chez nous le climat est le plus souvent aride, l’évaporation de l’eau très propice. Une bouteille d’eau minérale est déjà, dans le meilleur des cas, aussi chère qu’un litre d’essence. Est-il besoin d'en dire plus?
L’eau est vitale pour le bon fonctionnement du corps humain et la présence de la moindre vie sur Terre, de même que, par systèmie, pour le développement économique des nations du 21 ème siécle. Il faut, par exemple, consommer environ 1000 litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf et des centaines de litres du même liquide pour un simple tee-shirt. Le béton, si indispensable dans la construction ne peut être obtenu sans eau.
L’agriculture et l’industrie sont de loin les secteurs les plus importants pour l’Economie d’un pays, mais aussi les plus grands consommateurs de ressources hydrique. Le cas de la Tunisie, qui a dû sacrifier 20% de son agriculture pour pouvoir assurer les énormes besoins en eau de son tourisme de masse, témoigne à quel point l’eau est un facteur primordial dans les stratégies économiques nationales et plus particulièrement en ce qui concerne les pays du Maghreb.
Ainsi, comment espérer à la fois développer l’agriculture, le tourisme, l’industrie, continuer à bâtir le pays tout en s’amputant de la part considérable d’eau mise à la disposition de l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste ? Une eau d’origine fossile, difficilement renouvelable provenant de la nappe de l’Albien, partagée avec la Lybie ainsi que la Tunisie.
De plus il est indéniable que les impacts environnementaux d’une telle exploitation auront forcement des incidences d'ordre économiques et géopolitiques loin d'être négligeables.
Le choix du gaz et du pétrole de schiste serait également dicté par les besoins croissants en énergie du développement algérien. Le niveau de vie progresse, la démographie aussi. Une population jeune qui a soif de consommer et aspire à vivre la vie de couple hors du foyer parental. Tout cela requiert énormément d’eau et d’énergie.
L’Algérie, a choisi le parti de répondre à cette croissance de la demande énergétique en augmentant ses capacités de production d’énergie fossiles. La Tunisie, elle, peut-être moins gâtée par ses sous sols, a résolument opté pour le parti pris de l’efficacité énergétique. Elle s’est engagé sur vingt ans à réduire sensiblement sa consommation énergétique et s’est fixé, comme le Maroc, des objectifs certes moins ambitieux que notre pays en matière d’énergies renouvelables mais qui ont le mérite d’être largement plus réalisables.
Pourtant, grâce à son immense désert gorgé de soleil ainsi que les moyens financiers considérables dont elle dispose, l’Algérie est la nation du Maghreb qui devrait être la plus avancée dans l’exploitation des énergies renouvelables. Aujourd’hui, il existe des technologies comme les tours solaires intégrales ou hybrides, capables de remédier à l’intermittence de l’énergie solaire. Nos voisins Marocains, qui disposent en plus de meilleures ressources éoliennes, n’ont pas mis longtemps à le faire à notre place.
Enfin, comment occulter le fait que cette exploitation outrancière et dangereuse d’une nappe phréatique partagée ne pourra que provoquer de grandes tensions entre l’Algérie, la Tunisie et la Lybie. La Lybie exploite déjà massivement cette nappe pour sa grande rivière artificielle et la Tunisie, même minoritaire, ne pourra laisser passer autant d’eau lui filer sous le nez si l’Algérie se met également à pomper et polluer des quantités astronomiques d’eau fossile.
L’absence d’expertise de notre pays en matière de fracturartion hydraulique horizontale nous oblige également à ouvrir à nouveau grandes les portes de notre Sahara aux étrangers seuls capables de mener à bien une telle entreprise. L’amendement de la loi sur les hydrocarbures remet en cause 50 ans de lutte habile et acharnée pour faire oublier les accords d’Evian.
S’opposer à la fracturation hydraulique horizontale n’est pas seulement une position motivée par un souci environnemental. C'est aussi parce que c'est un procédé également coûteux, à la rentabilité peu évidente, mobilisant d’énormes moyens financiers ainsi que de quantité de ressources naturelles. D’un point de vue géopolitique cette stratégie est difficile à comprendre car elle risque non seulement de peser sur les cours du gaz et du pétrole mais aussi rend notre pays encore plus dépendant de ses partenaires étrangers. Il vaudrait mieux attendre avant de se lancer dans une exploitation effective des ressources non conventionnelles et s'engager plutôt dans une mutation énergétique vraiment sincère et efficiente.
Pas besoin d'être un expert pour comprendre cela, il suffit simplement de s’informer et de faire preuve d’un peu de bon sens.