31 Janvier 2014
" La Nature sans l'Homme " Photo: Tedjani K.
L’écologie scientifique, militante ou politique, aura gagné, en ce début de millénaire, sa première grande bataille sur les dérives du monde industriel : une place à la table ronde des priorités de ce siècle naissant et qui se doit de faire le deuil du millénaire passé, se réinventer même , peut-être. On entend régulièrement parler, dans les médias et les discours politiques du monde entier, de la nécessité urgente d’offrir à l’Humanité une économie qui ne serait plus seulement politiquement correcte mais également politiquement « verte».
Il faut dire que le message est clair : les voyants écologiques, sociaux et environnementaux de notre système mondial sont dans le rouge, nous annonce-t-on. Les budgets des nations également. Un peu partout sur la planète, des savants nous prophétisent régulièrement de cuisants peak de pétrole, de gaz et même, pis encore, d’eau potable.
Rouge comme le sang des guerres dont les seuls prétextes véritables sont des conflits d’intérêts géopolitiques où les ressources naturelles jouent un rôle de premier ordre. Rouge comme le thermomètre qui grimpe inexorablement vers un réchauffement global des climats mondiaux ; certains se demandent même si la chute, après ces pics de chaleurs suspects, n’en sera pas plus douloureuse…
Enfant, déjà, je n’ai jamais pu vraiment enlever de mon esprit certaines scènes de cette autre fiction cinématographique, « New York ne répond plus », avec Yul Brynner qui, en 1975, nous faisait l’augure d’un New York abandonnée à la totale désolation. Dans ce No mans land enfanté par une crise généralisée du monde capitaliste, le bien le plus précieux devient alors la graine, et le savoir le plus primordial, l’art de jardiner… J’ai grandi avec ces visions alors indélébiles de ma psyché, même la plus profonde. J'ai été conditionné dans beaucoup de mes choix de vie à cause de cette "angoisse"; un peu comme celle qui gagne beaucoup d'entre nous quand il se baignent en mer, depuis qu'il ont vu le film de Spielberg, "Les dents de la mer".
La fin du Monde !? Et si les pires scénarii, façon MAD Max, se réalisaient comme des prophéties !? Le chaos, l’Apocalypse annoncé par tous les textes sacrés ?! La fin d’un monde, plus assurément…
La notion même de modernité actuelle a été dors et déjà remise en cause par un courant philosophique, le Postmodernisme qui, depuis les années 1960, ne reconnait plus la pensée rationaliste occidentale comme la matrice de la nouvelle pensée découlant de la cybernétisation de nos sociétés dites de l’information. L’héritage antique est ainsi remis en question par ces néo-penseurs de la condition humaine. Beaucoup de constats de déclins écologiques ont servis d'indice pour justifier le caractère caduc de la modernité, incapable d'être soutenable par nos environnements.
« Après l’Histoire …» fera écrire son époque à l’essayiste français presque contemporain Philippe Muray. D'après son analyse historique, il la considère radicalement comme celle de « l’Homo Festivicus », un être hyper social qui ne dispose même plus d’outils cognitifs et sémantiques suffisamment objectifs pour lui donner les moyens de penser sa condition autrement que par la célébration de la société de consommation de masse.
Le coupable ? C’est vous et moi, « eux ». Les complices ? Tous ceux qui nous vendent de la surconsommation inutile. La victime : notre pauvre planète dont la nature est un écho bio organique du Paradis Perdu depuis bien longtemps sur Terre. Voilà qu’il est temps de mettre un philtre vert à toute cette Histoire, celui ou ceux qui régleront le problème seront les nouveaux sauveurs du Monde.
Le coupable idéal, le complice assuré, la victime toute trouvée, et le héros tout désigné pour tout arranger. L’antagonisme entre hédonisme compulsif et culte de la culpabilité, du sacrifice sacré pour réparer les erreurs passées. Le canevas n’est pas seulement hollywoodien, il s’avère être Le mythe fondateur de l’occident d’influence culturelle à prédominance judéo chrétienne.
C’est dans un tel contexte que l’Ecologie occidentale s’est forgé un état d’esprit, une philosophie, des process. Afin de nous aider à répondre, non seulement à nos questionnements, mais aussi, quand cela est possible, à proposer des solutions pratiques à des problématiques écologiques bien concrètes. Pas assez celle des laboratoires, plutôt celle des opinions et des bien pensants, le plus souvent, malheureusement.
La Nature victime de notre toute puissance technologique, parait-il. Nous l’avons tellement terrassée, cette nature sauvage, qui jadis nous en a fait bien bavé, qu’il est temps de s’apitoyer sur son sort, tant elle fait à présent pitié à regarder…
Les scores ? Ils sont légendaires : une sixième extinction des espèces, une déforestation massive, la plus petite parcelle de terre, de ciel et de mer appartient à un être humain ou à une entité collective humaine. Plus aucune mer, plus aucun ruisseau, plus rien n’est à l’abri de la pollution. Pas moins de 100 000 molécules chimiques ont été introduites dans l’environnement par l’industrie pétrochimique. Imaginez vous qu’un saumon sauvage pourra venir polluer les eaux pourtant vierges de périphérie, même lointaine avec l’homme, parce que, en fin de chaine alimentaire, il a accumulé un grand nombre de pollutions chimiques. En venant mourir pour pondre dans ces eaux de l’Alaska très sauvage, ils empoisonnent ainsi leurs propres œufs avec leurs cadavres. Voilà un des nombreux exemples exposés par Hervé Kempf dans son manifeste « Pourquoi les [très] riches détruisent-ils la planète… »
Nous serions, à ce qu'il parait , devenus au fil de nos découvertes, les maîtres de la Terre, puisque nous avons remporté toutes nos victoires sur la nature et assujettis à notre domination industrielle toutes les espèces vivantes. Nous détenons désormais, parait-il, le pouvoir de forger notre environnement à notre image. Non plus obligés, comme les « primitifs », à chercher la communion avec elle. Nous, c’est-à-dire nos pays, ceux qui ont pris le parti opposé de la chambouler au gré des besoins de leur développement. De nos jours, ne pas être développé, ou en voie de développement, c’est courir à sa perte dans l'imaginaire du capitalisme liberal.
Ce n’est pourtant pas la planète qui est vraiment en danger, ni la vie sur Terre, mais c’est l’Homme qu’il faut sauver de lui-même.Voilà, la première confusion qui s’installe ainsi dans l’esprit de beaucoup de gens, et, elle sera aussi le meilleur prétexte à la transition de cette longue introduction vers la finalité de ce modeste article.
La nature reprendra toujours ses droits. Nous ne faisons que louer notre place sur Terre, en aucun cas nous ne devrions nous en considérer propriétaires. Les dégats qu'elle nous fait subir actuellement n'ont rien d'anecdotiques. Les catastrophes en tous genres font de nombreuses victimes humaines sur Terre.
Sommes-nous vraiment libérés du cliché des hommes gardiens et bergers du monde, parce que maîtrisant l’art du Langage au point d’en avoir même saisi les sens cachés du «Verbe » ? L'espoir de reconquérir le Paradis Perdu reste toujours tapis dans l'ombre de nos Lumières. Au point, même qu’un jour, un écologiste français déclarera qu’il ne peut y avoir de nature sans l’existence de l’Homme sur Terre !
Extinction de la biodiversité ? Certes, mais que dire des cancers et autres maladies si difficilement curables qui prolifèrent à travers le monde ? Le réchauffement climatique va réveiller dans certains environnements des virus jusque là insolites, susciter des invasions d’une foule d’insectes « nuisibles » dans des régions du globe jusque là épargnées par de telles « plaies ». « Notre poison quotidien », dira une célébre journaliste française pour qualifier celui que nous ingurgitons par toutes les voies possibles de la contamination, jusque dans nos assiettes et nos logements. La plupart de ces maladies sont liées à notre incapacité contemporaine à produire et consommer sans perturber l'équilibre de nos environnements.
La pensée capitaliste moderne, mère et à la fois fille de l’industrie, a cette fâcheuse tendance de vouloir tout fragmenter . Même quand elle prétend qu’elle s’applique à globaliser le monde. Les différences, bien orchestrées, deviennent des murs infranchissables. Les pires confusions, savamment installées dans les dialogues par un jeu subtil de langage perverti, jettent leurs voiles d’hypocrisies sur les meilleures intentions d'évolution. Ainsi, il n’y a pas qu’une seule écologie moderne. Il y en aurait deux, voire trois de nos jours.
La première est, à mon humble avis , celle qui parait la plus légitime. C’est l’écologie scientifique, celle qui s’intéresse aux milieux et à l’environnement, maintenant. Ces adeptes ne sont plus apellés écologistes, mais dorénavant écologues. Ils représentent à la fois la science qui informe, mais aussi qui celle qui soigne et même, parfois, guérit. A vrai dire, c'est dans la foi en ces capacités que réside, dans nos sociétés, et l'enthousiasme des uns, et le laxisme des autres quand il s'agit d'écologie.
Elles ont une foi aveugle en la Science, c'est ce qui fait aussi que beaucoup d'entre nous se bercent de l'illusion qu'elle trouvera toujours une solution pour réparer les égarements ultra consumméristes de nos modèles économiques. A l'ère de la technologie, célébrée comme un véritable culte moderne , la "geek nation" et la science se sont impliqués de pleins pieds dans la politique de notre époque . Il semblerait que ce soit, depuis bien longtemps , une première: la Science est train de se politiser! Elle aspire au pouvoir...
La seconde face de l'écologie est de ce fait un mouvement politique. En fait, elle devrait plutôt s’appeler Ecologisme, mais elle cultive volontiers cette ambigüité afin d'entretenir sa légitimité qui n'est pas toujours évidente à saisir. De même, on confond souvent écologues et écologistes, les uns chercheurs, les autres militants politiques. Cette écologie prétend faire de la conservation et de la protection de la nature un radical commun capable de transformer nos systèmes politiques et donc nos sociétés. On parle alors surtout des "verts" pour identifier les militants de l'Ecologisme mondial.
Beaucoup d’écologistes ne sont pas écologues de formation . Certains sont arrivé à l’écologie par pragmatisme politique et viennent d’horizons dont les fondations idéologiques ne conçoivent pas l’homme politique autrement que comme un étant un homme industriel, un prolétaire. Cette écologie là est plus prompte à s’intéresser à l’environnement humain, à l’écologie dite sociale. Ce qui est fort amusant dans un tel jeu subluminal de couleurs , c’est que le vert est aussi une couleur complémentaire du rouge, en quelque sorte un alter égo. Quand on sait que dans les rangs de l’écologisme d’aujourd’hui, il y a un nombre non négligeable des marxistes d’hier…
La troisième, on a tendance un peu à l’oublier de nos jours. Car elle a été également « vampirisée » par l’Ecologisme, c’est l’écologie des premiers jours. Quand écologiste signifiait être un sympathisant de la Nature. Militer certes, mais rester apolitique pour mieux fondre cette idée dans la société. Cette écologie populaire est encore très vivace, cependant, et joue encore un rôle très utile à l’écologie scientifique et politique grâce à ses réseaux associatifs locaux ou nationaux, parfois même, comme Greenpeace ou la WWF, internationaux.
Le problème pour ces « écologistes » est que le terme est devenu un mot piège qui les affilie de facto, dans l’esprit de l’opinion publique à des adeptes de l’Ecologie politique. Pourtant, ce sont souvent eux qui parlent le moins d’écologie et en font pourtant le plus au quotidien pour améliorer leur environnement. Pour les grandes ONG d’écologistes, d’ailleurs, la frontière entre le politique et le militantisme devient de plus en plus ardue à déceler tant elles influent sur les politiques des nations dont elles sollicitent l’attention, mais auusi â force de ses laisser Influencer par elles?
En fait, il en existe une quatrième, celle de l'écologie d'Etat, des nations. L'écologisme est son principal allié et contre pouvoir. C'est l'écologie des lois, des sommets pour la Terre et de l'Environnement mondial. Celle qui s'applique à canaliser toutes les mouvances écologiques autour de ses mesures et actions. Elle a également pour rôle de parler au nom de tous ceux pour qui l'écologie n'est pas une priorité, arbitrer les joutes, de manière plus ou moins objective, qui passionnent écologistes de tous bord et le reste de la société. L'écologie qui joue également à isoler les écologistes du reste de la population en favorisant, discrétemment, la politisation de l'écologie pour mieux la contrôler.
Ainsi, l’Ecologisme a-t-il su, grâce à la confusion sémantique qui persiste autour des termes « écologie » et « écologiste », capter à la fois la légitimité scientifique de l’écologie d’un côté, et de l’autre celle de la protection et de la conservation citoyenne de la nature, elle plus active sur le terrain.Mais peut-on être politiquement correct et écologiquement dans le vrai ? Sa nature vicérale de contre pouvoir à l'écologie gouvernementale est à la fois sa force et son principal talon d'Achille. Maintenant engagée sur la voie du Pouvoir, elle doit un minimum parler son langage, adopter ses process, au risque de se faire un redoutable ennemi et, même de perdre de précieux alliés...
Depuis quand annoncer de mauvaises nouvelles, demander des efforts supplémentaires fait-il recette dans les urnes ?
Pour continuer à ne rien changer, si ce n’est la forme, mais rarement le fon.On préférera parler, en business, de développement durable dans un espace fini, plutôt que de croissance continu; on nous suggéra de penser global au lieu de parler de capitalisme libéral, d’agir local pour travestir, une fois de plus par un barbarisme linguistique des aspirations neocolonistes. Une économie verte? Cela est plus facile à proposer qu'une industrialisation même des precepts de l'Ecologie.
Prenons encore l’exemple de la couleur verte qui s’est imposée comme le symbole de tous les fragments de cette écologie sémantiquement unie pour mieux la diviser. Le vert est une couleur très présente dans la nature, mais c’est un coloris qui ne peut être obtenu durable de manière naturelle. Seule la pétrochimie aura rendu un tel miracle. Choisir la couleur du Printemps pour symboliser l’Ecologie, c’est lui donner des airs révolutionnaires qui, de plus, ne dureront que le temps d’une saison. Il y eut les Rouges, voilà les Vert, les nouveaux enfants maudits du capitalisme, les empêcheurs compulsifs de laisser le système actuel de tourner en rond…
Et si l'Ecologisme était le Janus des temps postmodernes? Celui qui nous vend le rémède et qui a donc besoin que la maladie persiste pour demeurer toujours utile...
La Nature n’est pas vraiment en danger, c’est nous, les être humains, qui le seront si nous persistons à nous voiler la face avec de simples philtres verts bonbons. La Nature, L’humanité, l’Environnement ? Pourquoi ne pas parler tout simplement de la Vie, de l’Economie, celle qui englobe le social, le financier et l’environnemental dans sa vision de la « bonne administration du foyer », ce que signifie Economia, la souche étymologique de ce mot.
Séparer l’Homme de la Nature, cela est certes plus pratique pour étudier les symbioses et conflits d’intérêts entre deux forces supposées antagonistes. Mais cela implique aussi une dangereuse fragmentation de la réalité pour nos sociétés modernes ou postmodernes. Ainsi, au lieu de se sentir concerné par la destruction massive de la vie qui l’entoure provoquée en grande partie part ses activités industrielles, l’Homo Festivus de Philippe Muray oublie que, cette extinction annonce avant tout la fin très probable de son ère…
Voilà pourquoi, je pense, il faudrait tout d’abord, en Algérie, si nous voulons apporter quelque chose de différent à l’écologie, travailler à ce que la Nature et l’Homme se confondent à nouveau.
Le terme environnement ne doit pas se limiter à ce qui entoure l’espèce humaine, mais bien toute les formes de vies et d’habitats présents dans une zone précise, incluant nos sociétés dans l'environnement, non comme en étant pôle, mais plutôt comme l’élément le plus potentiellement perturbant ou bienveillant. On devrait toujours d'ailleurs parler d'environnements, de climats au pluriel et par apport à une temporalité. Car il n'existe pas vraiment de climat, ni d'environnement mondiaux ils n'ont jamais été durables indéfinement. Il n'est ici, bien entendu, pas question de fragmenter, mais plutôt d'éviter de globaliser ce qui ne doit pas l'être.
Le problème, c’est que notre pays , l'Algérie est , par excellence, le pays de toutes les fragmentations...Pas besoin de sortir de St Cyr pour le savoir et s'en délecter...