29 Janvier 2012
Plaidoyer pour un développement salutaire de l’écotourisme en Algérie
J’ai eu récemment l’occasion d’être invité à passer un court séjour dans un complexe touristique « cinq étoiles » à Antalya, en Turquie. J’ai déjà fréquenté d’autres établissements de ce type. A Cassis dans le sud de la France, ou bien, encore à la périphérie de Marrakech, au Maroc pour ne citer qu’eux. Il m’a semblé, de ma petite expérience, que ces grandes structures hôtelières se ressemblaient beaucoup, et cela malgré les disparités culturelles et locales qui différencient les pays où ils se trouvent. La plupart des gens que je fréquente à Paris ont beaucoup voyagé à travers le monde, j’ai récolté de nombreux témoignages sur ce type de séjours qui semblent corréler avec mes impressions.
Le savoir faire des Turques, des Français, des Tunisiens, des Italiens, des Espagnols, des Portugais des Marocains, des Grecs en matière de tourisme, n’est plus à démontrer. Ces voisins de l’Algérie ont acquis, au fil des décennies, un savoir faire ainsi que des infrastructures touristiques renommées dans le monde entier. Il faut dire que dans la plupart de ces pays, le tourisme occupe une place non négligeable dans leur économie. Pour certains, ce secteur est quasiment la principale source de revenus. Cependant, force est de constater que ces complexes touristiques qui ont jadis fait la gloire du secteur, ne sont plus forcement appréciés par une clientèle grandissante qui veut de nouveau voyager de façon plus authentique et saine.
Les mauvaises influences sur l’environnement écologique et social de ce type de tourisme de masse ne sont plus à démontrer non plus.
Or la bonne santé économique d’un pays ne peut être soutenable dans un contexte environnemental périlleux comme cela a été malheureusement le cas pour le Maroc ou la Tunisie à cause d’une activité touristique intense et peu raisonnée. L’exemple de nos plus proches (dans tous les sens du terme) voisins et amis est à méditer avec la plus grande objectivité. D’autant, qu’à présent, ces deux nations semblent d’ailleurs avoir tiré certaines leçons de leurs erreurs passées. De nombreux sites écotouristiques ont vu le jour dans ces territoires maghrébins qui ont décidé ainsi de faire progressivement évoluer leur politique touristique. Il faut dire que la demande en la matière est croissante. Le grand public n’a plus les même aspirations et envies qu’autrefois…
La principale raison de cet engouement du grand public pour les espaces naturels ainsi que les séjours pédagogiques à la campagne est à mon humble avis du essentiellement au fait que la vie dans les grandes villes modernes est de plus en plus stressante et urbaine.
Cela suscite de la part d’un nombre grandissant de citadins une nostalgie pour la Nature et le calme des campagnes. Rare sont ceux qui, dans leur moi le plus profond, n’aspirent pas à vivre entourés d’arbres et de fleurs, d’entendre le bruit de la Nature vivante, d’oublier celui des machines qui nous entourent et polluent l’air ambiant, ne serait-ce que le temps d’un court séjour.
Demandez à n’importe quel enfant de vous dessiner sa ville idéale, il y a beaucoup de chance pour que les espaces naturels y occupent une grande place.
Certains diront que c’est la réminiscence d’un Age d’Or où l’homme et la femme vivaient en harmonie avec le jardin d’Eden, qu’elle est inscrite dans l’âme de chacun et chacune d’entre nous. D’autres préfèreront penser que c’est « l’appel de la forêt », le côté animal qui sommeil en chaque être humain nous attirant instinctivement vers la Nature sauvage dont notre état d’êtres civilisés n’a pas réussi à nous extirper totalement.
Qu'en est-il de l'Algérie?
La Nature algérienne est porteuse de marchés très prometteurs. C’est une source de revenus durables pour qui saura en tirer profit tout en préservant son intégrité.
Le tourisme balnéaire, les séjours de détente, les voyages pédagogiques et culturels , l’artisanat, la gastronomie, l'E-commerce , les médias, la recherche scientifique, la santé publique, la formation, tous ces secteurs et bien d’autres pourraient se voir dynamiser dans un contexte où l’accueil touristique aurait comme principal fondement le maintien de l’équilibre entre rentabilité, qualité de service, développement social et une faible empreinte écologique .
Certes, c’est un travail de longue haleine qui mise sur la durée et non l’empressement. Mais l’Algérie, justement, parce qu’elle a des revenus réguliers pour encore quelques décennies, a le temps de préparer son émergence touristique en douceur.
Le tourisme est censé être, dans sa pratique la plus noble, une rencontre authentique avec un peuple et son pays. Le vrai tourisme doit être un échange équitable entre des peuples invités et un pays hôte. Un contrat social et moral bénéfique à tous les acteurs de ce secteur séculaire doit être tacitement conclu entre les touristes étrangers ainsi que les populations locales. Voyager, c’est aussi s’évader de son quotidien, avoir l’opportunité de vivre des aventures humaines tout en découvrant la beauté d’un pays. Les peuples invités doivent, par le biais de leurs séjours, contribuer à préserver la diversité biologique et culturelle de notre planète en respectant l’intégrité des régions qu’ils visitent. Les pays hôtes doivent offrir un séjour le plus authentique et sincère possible. Un turque doit vous recevoir comme s’il était chez lui, selon la conception de l’hospitalité qui est en rigueur dans son pays tout en aillant soin de respecter votre propre culture. Une femme non musulmane ne doit pas être obligée de se voiler mais ne doit pas non plus circuler en topless sur une plage en Algérie, par exemple…
Dans les complexes toruistiques que j'ai visité à l'etranger , j’ai plutôt eu l’impression que les invités se sont imposés chez leurs hôtes et, qu’ils ont amené leur culture ainsi que leurs mentalités dans leurs valises.
Un ami franco vietnamien, m’a confié à ce propos, qu’il a toujours été choqué de voir le contraste entre la grande infrastructure des villes touristiques de son pays d’origine et celle du reste du pays. Il est très dur de sortir de ces endroits pour découvrir la vraie nature de la région où ils se trouvent et de partager le quotidien de ses habitants. De plus, ceux qui vivent de ce genre de tourisme sont en quelque sorte « dénaturés » par des contingences commerciales et un effort d’adaptions à la culture de leurs clients. Les gens du pays, n’ont plus les moyens d’habiter dans ces villes qui sont devenus hors de prix. Beaucoup, comme à Marrakech, doivent à présent se contenter de vivre à plusieurs dizaines de kilomètres de leur ville d’origine afin d’avoir les moyens de vivre et surtout de se loger décemment.
Golfs, piscines, espaces verts aménagés, saunas, boutiques, boite de nuits, tous les services habituellement disponibles dans une grande ville moderne sont mis à la disposition du touriste qui, ainsi, ne peut pas vraiment s’imprégner du véritable rythme de vie du pays qui l’accueille. Personnellement, je n’ai pas eu l’impression de découvrir le Maroc, le Sud de la France ou bien encore la Turquie dans ce genre de complexes hôteliers. J’aurais pu faire quasiment les mêmes choses à quelques centaines de kilomètres de Paris dans un parc naturel construit de toute pièce.
Le plus important à déplorer est bien entendu le fait que ces pôles touristiques ont été construits sur des sites naturels souvent d’une rare beauté, et, que l’impact sur l’environnement d’un tel tourisme est très affligeant.
Souvent, je me dis qu’il y a des gens qui ont aimé la nature de ces lieux avant l’installation de ses usines à touristes et qu’ils ont du beaucoup souffrir de la voir autant défigurée. Personnellement, je n’aimerais pas que cela arrive dans ma région de cœur en Algérie, Guerbes (wilaya de Skikda) qui est une des plus importante zone humide d’Afrique septentrionale, mais aussi une baie d’une rare beauté. A vrai dire, je ne le souhaite à aucun site naturel algérien.
Bien sûr, ceux qui construisent de tels complexes en Algérie me répondront, à juste titre d’ailleurs, que leur business aura un rayonnement très large et bénéfique sur l’économie locale. De nombreux emplois et commerces verront le jour grâce à ces grands sites hôteliers. La région deviendra forcement un pôle économique grâce au tourisme de masse. Certes, mais cette polarisation de l’accueil touristique sur des zones très concentrés est aussi une polarisation des bénéfices de l’activité touristique vers quelques groupes souvent internationaux.
S’il existait plus de petites et moyennes structures, étalées sur la totalité du territoire, si l’on développait un tourisme moins saisonnier, plus de proximité, je suis sûr que cela serait plus profitable pour la société algérienne autant que pour les touristes. De plus, si les algériens ne sont pas encore de bons hôtes selon les normes du tourisme international, quand il s’agit de vous accueillir chez eux, leur savoir faire, le soin qu’ils accordent ainsi que la fierté qu’ils éprouvent à bien vous recevoir n’est plus à démontrer.
Pour moi, en Algérie, c’est cette dimension très humaine qui doit prédominer quand il s’agit de penser le tourisme.
Les meilleures randonnées que j’ai faites, dans ce pays, ont toujours été en compagnie de locaux qui se sont improvisés guides. Dans de nombreuses wilayas, j’ai été accueilli par des associations locales et j'ai pu , grâce àces dernières, m' imprégner vraiment de la magie de leur région. Mes séjours ont toujours été très bien organisés et cela bénévolement. Tous ces gens, pour la plupart d’entre eux sont soit chômeurs, soit retraités et sont tous bénévoles. Ils agissent par passion pour la nature de leur pays ainsi que par une noble envie de partager cet amour. Pourtant, il serait possible de leur assurer des revenus stables avec l’écotourisme et le marché du bio dont ils sont tous de fervents promoteurs.
Dans plus de 20 wilayas, essentiellement du Tell algérien (zone côtière), mon constat a été le même : si les structures hôtelières classiques ne m’ont pas convaincus par leur professionnalisme, l’accueil chez l’habitant est souvent royal. C’est dans l’intimité d’une chambre d’hôte, d’un camping chez l’habitant, d’une auberge que vous serez susceptible de profiter de cette hospitalité en Algérie. Le problème, c'est qu'il n'y en a pas ou peu.
Quand je me rends chez ma grande Tante Aicha à Oued Znati (wilaya de Guelma), je suis toujours ravi de me délecter de son beurre « du jour », de son leben, de son coucous et de sa chouchouha faits maison. Souvent elle me prépare un poulet ou bien canard de sa basse cour et tous ses légumes viennent de son potager. Elle connait tous les poèmes, proverbes, chansons de sa tradition.
En Kabylie, je me suis régalé d’huile d’olive, de fèves et de figues sèches. L’air des montagnes du Djurdjura, la beauté des sentiers où l’on croise des gens qui, parfois, semblent venir d’un autre temps, tout cela fut magique à vivre.
A Drean, dans la wilaya d’El Tarf, je déguste le meilleur Leben de la région dans la ferme de ma cousine Nadia qui fabrique , pour le plaisir, des magnifiques tapis en patchwork.
A Ibn Ziad (Constantine) j’ai vécu de formidables excursions en compagnie des membres de l’association El Mebdoue qui m’ont sensibilisé à la faune, à la flore, ainsi qu’à l’histoire de leur région.
A Oran, l’association « Main dans la Main » m’a convaincu des grands potentiels de la femme rurale algérienne dans nombre de secteurs lié à l’écotourisme tels que l’artisanat, la gastronomie, la culture, les arts et la culture ainsi que l’élevage bios. A Skikda, l’association Bariq 21 m’a régulièrement permis de connaitre la nature de la région et de rencontrer les gens les plus dynamiques de la ville.
Comment ne pas déplorer qu’une telle richesse soit si peu mis en valeur ?
La plus grande force de l’Algérie, terre de beauté, c’est sa population qui, bien qu’elle ne soit pas toujours bien encadrée et réceptive à la discipline, porte en elle une culture très éclectique et une capacité d’adaptation extraordinaire. C’est un peuple jeune certes, mais qui respecte encore largement les anciens et qui a gardé un lien intime avec ses traditions ainsi que sa religion dont l’hospitalité est un des fondements.
Les algériens sont des gens curieux qui aiment les rencontres ainsi que les voyages et admirent les voyageurs. Ils ont toujours considéré qu’un invité est une « baraka » c'est-à-dire une bénédiction , une occasion de faire preuve de générosité, un concept si cher à leur tradition islamo berbère.
C’est une jeunesse tournée aussi vers l’avenir qui a un besoin profond de voir ce patrimoine être mis en valeur. Les jeunes algériens ont soif de rencontrer des gens venus de pays étrangers et ont besoin de se confronter avec les mentalités du monde entier et cela n’est pas seulement valable pour ceux issus de milieux socio- culturels plus favorisés que les autres.
L’écotourisme peut apporter à ceux qui aiment la Nature de leur pays, l’occasion de satisfaire ces ambitions qu’ils soient paysans ou citadins. Bien entendu, il faudra pour cela recréer une culture locale, favoriser l’écotourisme à l’échelle du tourisme national. Et là aussi il y a un fort potentiel mais aussi beaucoup de travail à abattre pour arriver à cette finalité.
Tous les algériens de ma génération que j’ai pu rencontrer, m’ont fait part des longues randonnées et campings qu’ils affectionnaient de faire avant les sinistres événements qui ont marqué l’histoire très contemporaine de l’Algérie.
Les séjours en famille, au calme dans un cadre propre et naturel, à la fois sécurisé et intime, l’accueil de groupes scolaires dans des fermes d’accueil ou des parcs nationaux, des commerces où l’ont pourrait consommer des produits locaux typiques sans produire des tonnes de déchets, tout cela et tant d’autre chose, une fois de plus, pourraient être des activités rentables et durables pour les jeunes algériens en quête d’emploi de formation dans un secteur porteur. Le parc hôtelier algérien est encore à construire, pourquoi ne pas le faire de façon écologique et durable ?
Pourquoi ne pas former dès à présent nos jeunes à ce genre de métiers et créer une école nationale de l’écotourisme en collaboration avec nos voisins d’Afrique et d’Europe ? Puis, avant d’accueillir de véritables étrangers, pourquoi ne pas cibler d'abord la diaspora algérienne de ma génération qui aspire aussi à découvrir l’Algérie sous un autre angle. Beaucoup d’internautes « immigrés » ou fils d’immigrés me font part de leur envie de voir la nature algérienne rester intacte. Ils aimeraient aussi pouvoir faire les même séjours écotouristiques et sportifs qu’ils se ruinent à faire dans leur pays de résidence. La main d’œuvre algérienne pourrait être à la fois très bien payée et être moins chère. Le prix des séjours, si la qualité est au rendez vous, pourrait être très attractif d’autant que l’Algérie a tous les atouts et atours pour qu’on y réalise quasiment tous les type de séjours écotouristique possible.
Ce genre de tourisme demande peu d’infrastructure et peu d’adaptation de la part des locaux. Il y a surtout un grand travail en amont d'encadrement à réaliser de la part des professionnels du tourisme ainsi que du gouvernement.
De nombreux étudiants algériens parlent plusieurs langues et ont un niveau de culture international très satisfaisant. Ils pourraient être des « cadres médiateurs » idéaux pour favoriser les séjours des touristes et leur rapports avec les habitants des sites naturels qu’ils visitent qui sont souvent des ruraux peu habitués à recevoir des étrangers.
De nombreux étudiants ont choisi de faire des études liés à l’environnement, il y a là autant de futur « agents de contrôle et de conseil environnementaux » qui seraient les garants d’un label de qualité écologique pour tous les projets touristiques en Algérie.
L’Etat serait bien entendu le coordinateur privilégié d’une mosaïque de petites exploitations touristiques qui répondraient cependant à un cahier des charges national mis en place par ce dernier.
De nombreux jeunes issus de la diaspora algérienne ont envie d’investir dans ce secteur et disposent de toute l’expérience et le savoir faire acquis dans leur pays de résidence. Ce sont des acteurs qu’ils faut aussi mieux intégrer au processus de mise en valeur touristique de l’Algérie. Je pense être bien placé pour revendiquer cela…
L’Algérie a les moyens de ne pas dépendre actuellement du tourisme, mais pas celui de négliger ce secteur sur le long terme. Elle dispose de beaucoup de sites naturels à la fois rares et encore peu connus du grand public mondial. Son patrimoine culturel, pour peu qu’y soit revitalisé, est un subtil mélange de nombreuses cultures. Cet article ne suffira certes pas à faire un état des lieux exhaustif des bonnes raisons qu’il y aurait à développer l’écotourisme en Algérie, et cela d’abord à l’ échelle nationale, mais j’espère qu’il servira d’amorce à une réflexion collective afin que l’écotourisme soit fortement répandu en Algérie.
Karim Tedjani