Selon Omar Aktouf, professeur à l’HEC de Montréal qui était aujourd’hui l’invité du direct de Maghreb M., la radio web de Maghreb Emergent, l’exploitation du gaz de schiste est une catastrophe. « Elle a gravement pollué les régions exploitées en Amérique du Nord », a-t-il rappelé, précisant qu’en Algérie, où elle est envisagée comme une alternative au recul des réserves pétro-gazières, elle nécessiterait « l’utilisation de près de cent cinquante produits chimiques différents ainsi que de beaucoup d’eau ».
M Aktouf a invité les autorités à aller voir ce que sont devenues les régions qui ont été soumises à cette activité pour en mesurer les dégâts. « Les nappes phréatiques sont affectées, il n’y a plus ni vie animale ni végétale ! Même les hommes fuient leurs habitations. La Pennsylvanie, à titre d’exemple, est un Etat sinistré », a-t-il souligné.
« L’exploitation du gaz de schiste : un danger écologique »
M. Aktouf a estimé que l’option du gouvernement algérien pour l’exploitation du gaz de schiste relève d’une démarche qui privilégie la facilité dans la résolution des problèmes. « Il faut penser autrement », a-t-il conseillé. Et de suggérer : « L’Algérie dispose de 200 milliards de dollars de réserves de change, ce qui lui confère une force de négociation énorme. Elle peut aller sur les marchés financiers, où beaucoup de pays en crise sont à la recherche de financements et leur prêter de l’argent à des taux très compétitifs. Ce qu’elle gagnerait de ces prêts à titre des services de la dette, elle pourrait l’utiliser dans la valorisation de son Sud et ses Hauts-Plateaux.»
Sur un autre plan, le Pr Aktouf a attiré l’attention sur un autre aspect de la nouvelle loi sur les hydrocarbures promulguée récemment, à savoir la méthode de calcul de l’impôt sur le revenu pétrolier. « Sur les 29 petits gisements découverts durant les dernières années en Algérie, la majorité ont été le résultat des efforts de prospection de Sonatrach. Or, au lieu d’exiger des compagnies étrangères d’investir plus dans la prospection, on leur attribue des gisements prêts à pomper et on leur demande de ne pas mentir au sujet de leurs résultats nets sur la base desquels serait calculé le taux d’imposition. C’est vraiment hallucinant !», s’est-il étonné.
Le professeur à l’HCE de Montréal, classé en 2011 parmi les 75 personnalités les plus marquantes de l’histoire récente du Canada et qui s’identifie politiquement à la social-démocratie, ne trouve pas d’inconvénient à réunir des conditions attractives pour les capitaux étrangers. Il a recommandé de former des personnels capables de cogérer ou au moins contrôler les firmes internationales qui disposent de compétences extraordinaires.
« La dérégulation favorise la corruption »
« Quels moyens a-t-on mis en œuvre pour attirer des IDE ? Qu’ils soient associés à 49 ou à 51%, cela importe peu aux étrangers qui viennent investir dans le pays. Ils exigent surtout le sérieux de l’Etat et de ses fonctionnaires, la stabilité et une main-d’œuvre qualifiée. Il est important de disposer de compétences aussi parce que ces investisseurs viennent ‘’bouffer’’, surtout s’ils trouvent en face des gens qui ne comprennent rien à leurs méthodes », a-t-il expliqué.
M. Aktouf a été invité à s’exprimer sur les accusations de corruption portées, dans plusieurs pays du Maghreb, contre la firme canadienne SNC Lavalin : « C’est le résultat de la dérégulation opérée au Canada. Les administrations qui étaient peu pourvues en ingénieurs qualifiés faisaient appel aux compétences de leurs fournisseurs. Ce sont les mêmes personnes donc qui élaboraient les cahiers des charges et préparaient les soumissions ! Ce qui a conduit à une situation de conflit d’intérêts, où on se partage les marchés entre amis.»
« Le capitalisme financier est mort »
Bardé de diplômes, Pr Aktouf est l’un des critiques les plus engagés contre le capitalisme financier, dont il pense qu’il est tout simplement mort. Il milite pour une économie mondiale plus juste et plus solidaire et invite à reproduire le modèle allemand, copié avec succès, selon lui, en Scandinavie, au Japon et dans bien d’autres pays. « Il faut cesser de se référer aux consultants français et américains et se tourner un peu du côté de l’Asie, de l’Allemagne et même de l’Amérique latine.», a-t-il préconisé.