Beaucoup ne soupçonnent même pas son existence. Et pourtant, la loutre, cette gracieuse bête des lacs et cours d’eau, continue à survivre chez nous dans les rares milieux sains. Dynamique et très joueuse, on l’appelle localement « chien d’eau ». Mondialement menacée, elle est portée sur l’annexe une de la convention internationale de Washington dite Cites.
Les jeux de la loutre prennent une attitude tellement inhabituelle chez les mammifères sauvages que Walt Disney est resté à l’observer émerveillé durant des heures.
Elle effectuait de joyeuses glissades et toboggans dans une rivière. Aux Pyrénées par exemple, le récent retour de cette espèce à forte valeur patrimoniale était une réjouissance et a fait La une des journaux français à l’instar de l’ours, des aigles et du loup. Alors qu’elle n’était signalée au Sahara mais sans être vue, par des spécialistes français dans les années 1920, voilà qu’il y a quelques années, une équipe d’écologistes d’Alger vient de prouver formellement sa présence dans la région humide de Béchar.
La loutre au Sahara : une première mondiale ! Il est évident qu’on ne peut discourir sur cet animal sans dresser au préalable son portrait.
Cette dame de la nature, d’une taille fine et allongée peut atteindre le 1,20 m. Elle est trapue. Ses pattes sont courtes, palmées et munies de griffes. Le mâle est d’une corpulence plus robuste. Sa fourrure serrée et rase est d’un brun foncé. Elle pèse dans les 10 kg, quoi qu’un spécimen de la même espèce trouvé en Belgique aille chercher dans les 27 kg ! Sa forte queue épaisse à la base et effilée à l’extrémité fait presque la moitié de la longueur du corps. Elle lui sert d’organe propulseur et de gouvernail. Son ouïe et son odorat sont très fins. Cet animal carnivore mange beaucoup de poissons, mais avale également des crabes, des escargots et parfois même des plantes aquatiques.
Son mode de vie la rend étroitement tributaire du milieu aquatique. Elle vit dans les oueds, marais, lacs et certaines côtes rocheuses. Elle est répartie un peu partout dans le monde : Asie, Europe, Amérique, Afrique du Nord. D’autres espèces de loutres existent telle la loutre marine qui vie au Pacifique et atteint les 40 kg, la loutre à joues blanches du Congo et la loutre à queue tachetée d’Afrique noire.
En Algérie, comme en Europe, évolue la loutre commune, appelée scientifiquement Lutra lutra. Elle nageait dans les oueds de Mazafran, El Harrach et Rhumel quand ils étaient propres. Elle fut signalée dans l’Atlas saharien à Djbel Amour, la vallée de la Saoura et à Béni Abbès. Dans les années 1960 elle vivait encore à Bordj El-kiffan. Actuellement on peut la trouver entre autre, à Jijel, Kherata, Oued Sebaou et El Kala. Aux lacs de cette dernière région, on relève parfois des découvertes macabres telles ces deux spécimens trouvés morts (un bébé et un vieux sujet) près d’un filet de pêcheur. À Tazmalt (près de Béjaïa) des braconniers ont chassé deux loutres dont une gestante. En 1988, une mission internationale effectuée chez nous au sujet de ce mammifère a tiré des conclusions pessimistes.
Hélas, jusqu’ici, aucun travail n’a était accompli pour son dénombrement. On ne fait que déplorer son état. En l’absence d’un réseau, son effectif reste inconnu.
La sentinelle des milieux sains
Cette sentinelle vigilante de l’état du milieu est essentiellement nocturne. Certes, cet animal discret est difficile à débusquer mais ses épreintes ou crottes sont autant d’indices de sa présence. Elle établit son gîte sur les berges des cours d’eau, dans des coins impénétrables, encombrés de végétation et branches et dans une cavité naturelle entre les racines. Elle se repose dans des roselières, les friches et les creux d’arbres. Son lit est garni de roseaux, herbes et mousses. La furtive passe sa journée cachée dans un terrier à plusieurs entrées dont l’une au moins aboutit sous l’eau. Le couloir donne sur une chambre vaste tapissée d’herbes au-dessus du niveau d’eau. Un autre couloir relie la chambre à la surface en cheminée par où se dégage une odeur de poisson pourri qui l’a trahie.
La parade nuptiale et l’accouplement se déroulent dans l’eau. Le mâle émet alors des gémissements ou aboiements tout comme ceux des chiots. C’est d’ailleurs pour cela qu’on l’appelle en Algérie « chien d’eau » et au Maroc « chat d’eau ». L’accouplement peut avoir lieu à tout moment de l’année. La femelle donne alors 2 à 5 petits par an, après une gestation de deux mois seulement. Ils sont revêtus d’un manteau de poils soyeux de couleur foncée. Ils n’ouvrent les yeux qu’après 35 jours et restent à allaiter durant 8 semaines. Ainsi, ils demeurent plusieurs semaines dans le terrier avant qu’ils ne soient emmenés à l’eau. La maman va leur apprendre à nager même s’ils sont capables de le faire par instinct ; elle les pousse et les force à fermer les narines et les oreilles quand ils plongent. Ils resteront toujours avec leur mère jusqu’à ce qu’ils puissent se reproduire à l’âge de 2 ans.
En captivité, la loutre peut vivre jusqu’à 22 ans. Le soir, elle pêche en remontant les cours d’eau. Elle ne revient à son gîte qu’au matin. Dans l’eau, elle nage les yeux ouverts. En eau trouble elle repère sa proie grâce à ses moustaches qui captent les vibrations et la guident. Bien qu’un kilogramme lui suffit, elle gaspille plus qu’elle n’en mange. Lorsque le niveau d’eau est suffisant, elle se laisse flotter au grès du courant, la tête à fleur d’eau.
Elle dévore également des grenouilles, anguilles, insectes, rats, limaces et nichées d’oiseaux. Elle se déplace parfois sur de grandes distances, loin des endroits humides, et si elle trouve sur son passage des lapins ou de la volaille, elle s’en régale. Elle se déplace dès que les réserves en poissons diminuent dans les lacs et les rivières pour chercher d’autres cantonnements même si les pérégrinations sont longues. Elle peut parcourir jusqu’à 20 km sur terre en une nuit, allant d’une mare à une autre.
Ses empreintes sur le sol vaseux ou sablonneux des rives sont typiques. La loutre vit en solitaire ou en groupe familial. Craintive, silencieuse, elle a une ouïe et un odorat très fins, et au moindre danger elle disparait. Parmi ses prédateurs elle compte les rapaces. Mais plus rapaces et dangereux que ces derniers se trouve l’homme.
Dans une contrée d’Amérique, des pêcheurs l’ont « accusée » de leur prendre trop de poissons. Ils l’ont alors exterminée. Ainsi, les poissons malades ont décimé tout le peuplement sain. Il s’est avéré que c’était la loutre qui s’occupait de la sélection. Et c’est pourquoi l’animal fut réintroduit dans ces rivières et protégé.
En France, la mauvaise qualité de l’eau il y a un siècle et sa chasse effrénée l’ont fait disparaître. À l’époque sa peau valait un salaire d’ouvrier. Mais depuis les années 1970 et notamment 1990, elle revient timidement. Des indices de sa présence furent même trouvés à 1 800 m d’altitude. En liberté, elle est particulièrement furtive et difficile à observer. En captivité elle s’apprivoise facilement et s’attache à l’homme comme un chien. En Algérie, ce « chien d’eau » est devenu très rare.
Il est évident que sa protection passe nécessairement par le respect de son milieu en évitant la pollution. Ainsi, la pêche du poisson d’eau douce doit être réglementée, les défrichages des roselières et des friches évitées. Ce qui est encore loin d’être le cas. Une autre mesure des plus importantes est le maintien d’un débit minimum d’eau au niveau des oueds par les barrages, les retenues collinaires et les travaux d’irrigation. Les projets de développement algériens doivent tenir compte de tout cela pour que l’expression « développement durable » ne soit pas vide de sens.
Rachid Safou
dimanche 27 février 2011