9 Mai 2011
Depuis près d'une décennie, le terme de" développement durable" s'est imposé à l'opinion publique mondiale comme définissant la manière la plus raisonnable d'aborder de nos jours la gestion de l'activité humaine.
Certains, enthousiastes ou bien peut-être légèrement démagogues, n'hésitent pas à affirmer que cette politique (osons le mot) est le principal vecteur d'une meilleure réparation des richesses entre le Nord opulent et le Sud émergent. Ce sont ceux là même, il me semble, qui prônent le "commerce équitable" et une flopée d'autres alliances de mots maquillant souvent une autre vision du Monde en totale opposition avec les valeurs qu'elles sont censée défendre.
Car, à mon avis, le terme "développement durable » peut non seulement être perçu comme une perverse alliance de mots, mais aussi un bien doux euphémisme pour continuer à faire de la "Croissance" une des principale constante de nos sociétés industrialisées. Si beaucoup de bonnes initiatives ont été produites sous cette bannière, je pense malgré tout, à l'instar du sociologue Philippe Breton ("La parole manipulée") que les mots dans nos démocraties médiatisées ne sont jamais innocents. Allier le concept de développement à la notion de durabilité est une absurdité qui peut parfois même servir à maquiller de moins nobles ambitions.
La principale objection que je ferais à propos de cette appellation est qu'il semble dur de penser le développement, au regard de la systémie universelle comme pouvant durer indéfiniment.
En effet, il semblerait que toute chose en ce bas monde suive un cycle qu'il serait judicieux d'admettre comme vertueux. La genèse, l'apogée, le déclin voire la renaissance en sont les phases les plus évidentes .D'autres parleront d'un début, d'un climax et d'une fin. Chaque étape de ce système, joue un rôle important et interdépendant des autres. Les saisons, la vie d'un homme, les dynasties, les genres artistiques, les cycles cosmiques, la liste serait bien longue pour illustrer cette tendance qui semble régir tout ce qui se développe dans notre univers.
Certains, sûrement animés par une bonne foi sincère, me rétorqueront qu'ici l'adjectif "durable" sous entend que le développement est non conçu pour durer, mais pour faire durer.
Certes, je ne m'opposerais pas de façon absolue à cette optique, mais je me permettrais de leur répondre que, au regard de ce que j'ai exposé précédemment, rien n'est fait pour durer indéfiniment. Bien au contraire, il semblerait très sain que les choses aient un début et une fin pour qu'une nouvelle expérience, fruit des préceintes, voit le jour.
De la même façon, ce qui semble juste à une époque, peut s'avérer inadéquate à une autre. Ainsi, j'espère que vous aurez admis avec moi qu'un développement ne peux pas être "durable" et indéfiniment vertueux. C'est ce qui me fait affirmer qu'associer "développement" à "durable" est une alliance de mots, c'est à dire un paradoxe lexical, la rencontre entre deux notions qui n'ont pas lieu d'être associées si l'on veut un temps soit peu être juste dans ses propos.
Mais alors, si l'on admet aussi que les formulations qui circulent à travers nos médias sont rarement conçues par des ignares, incultes de la signification des mots, pourquoi avoir délibérément laissé une telle aberration linguistique s'installer dans le discours social? Pourquoi est-il difficile de ne pas s'inscrire dans cette formulation si l'on veut être crédible, ou bien tout simplement faire bonne figure quand on veut promouvoir un projet de mise en valeur des ressources autant humaines que naturelles? Comment ce fait-il que ce terme soit devenu une sorte de label garantissant une déontologie authentique et viable autant pour ceux qui le mette en place que pour ceux qui se soumettent à un tel concept?
Peut-être tout simplement pour qu'une minorité continue à promouvoir une notion qui, si elle a été longtemps le lite motive admis de tous, ne fait plus aujourd'hui l'unanimité: La Croissance permanente soit disant source d'une perpétuelle abondance et de progrès.
Le développement et la croissance ne sont-ils pas synonymes? Est-ce qu'il n'en va pas de même pour le terme "durable" et "permanente"? Un développement durable, au fond n'est-ce pas cette fameuse croissance jadis considérée comme nécessaire et constante par bon nombre d'entre nous alors qu'un "happy few d'initiés " non seulement ne pouvaient pas ignorer qu'elle est impossible, mais semblent-ils, ont fait de cette mystification la source de leur propres enrichissements ainsi que de la pérennité du système qu'ils ont mis en place?
J'aimerais me garder, si vous me le permettez, d'argumenter en supposant d'obscurs cercles d'illuminés maitres incontestés de tout et de tous... J'aimerais plutôt me référer à ce que parfois l'histoire peut nous apprendre à ce propos.
En effet, il suffit de lire celle des Etats Unis, notamment telle qu'elle nous est exposée par l'historien Howard Zinn dans son "histoire populaire " de ce continent pour admettre que les pères fondateurs de l'économie moderne ont préféré au fil du temps, jouer avec cette instabilité plutôt que de s'évertuer à instaurer une durabilité chimérique . En effet, depuis bien des siècles, ceux qui ont su accepter le fait que rien n'est durable, notamment la croissance économique ont réussi à optimiser leurs fortunes à travers les générations. Leur génie, d'autres parleront de malice, est qu'ils ont su imposer à leurs contemporains l'idée que cette croissance ne s'essoufflerait jamais.
Les dynasties Rockefeller, Kennedy, Morgan, pour ne citer qu'elles, ont survécu à tous les crashs boursiers qui ont jalonné l'histoire fort mouvementée de leur nation parce ces dernières ont eu le flair de sentir la fin de chaque période de croissance arriver et anticiper de ce fait le début d'une autre. A vrai dire, la seule véritable constance en ce bas monde semble justement être l'inconstance des choses.
Pourtant, il serait vraiment injuste de nier toutes les bonnes volontés qui se sont concentrées autour du concept de" développement durable".
ONG, associations, entreprises, bon nombre d'entre elles ont choisi de tenter cette expérience, souvent à mon humble avis en faisant tout autre chose dès lors qu'elles sont en contradiction avec les lois du capitalisme du siècle dernier. Cependant, les choses étant ce qu'elles sont, tout ce petit monde se doit de qualifier leurs projets par cette appellation afin non seulement de s'attirer les faveurs du public, mais aussi, et surtout l'assentiment des instances dirigeantes où qu'elles résident dans le monde. Car ce "mot piège" s'est largement imposé dans nos sociétés modernes...
A une heure où les préceptes établis lors des deux siècles précédents semblent de moins en moins faire l’unanimité auprès des nouvelles générations, notamment au regard des échecs de nos systèmes à assurer une véritable harmonie et équité à travers le monde, je pense que ce terme est une façon détournée de continuer à suggérer que la croissance continue est la voie unique pour assurer le bien-être de ce monde.
Personnellement, je préférais parler d'équilibre vertueux, même si, je l'avoue le terme sonne beaucoup moins bien. Mais c’est une autre histoire…
Karim Tedjani pour "Nouara-algerie.com