5 Mai 2012
Qui peut remettre en question la proche échéance de la fin d'un monde dont la matrice énergétique est basée exclusiviement sur l'exploitation des energies fossiles ? Chaque pays doit donc anticiper cette réalité s'il veut continuer à évoluer sans être ralenti par une inflation entre ses besoins énergétiques et les capacités de production pétrolière de notre planète. Voici donc le cas du Brésil, une des puissance de demain, qui a choisit de s'investir plus particulièrement dans la production des biocarburants. A la fin de cet article, vous pourrez lire le compte rendu d'un entretien que j'ai eu recemment avec Mr Ministre Conseiller de l'Ambassade du Brésil à Alger afin de l'interroger sur le sujet. Je tiens dès à présent à remercier Mme Azouaou, chargée de la communication de cette ambassade pour avoir permis cette rencontre....
"La fin de l'or noir est inévitable..."
Le pétrole a été un des facteurs indéniable du développement de l'industrie mondiale au point que la matrice énergétique de toute la planète est centrée sur l'utilisation de cet "or noir". Depuis la découverte de cette ressource, l'Homme moderne se déplace plus vite, plus loin, produit plus et cela à des cadences qui n'ont jamais été égalée jusque là. L'Humanité s'est développée d'une manière fulgurante et exponentielle. Il suffit de constater l'explosion démographique qui s'est amorcée depuis le siècle dernier ainsi que l'émergence d'une communauté mondiale pour accepter le fait que l'exploitation du pétrole a été à l'origine d'une mutation de nos sociétés parmi les plus importantes de notre Histoire mondiale.
Cependant, parce que c'est une énergie non renouvelable, et que le pic mondial de production pétrolière est devenu une réalité incontestable, beaucoup de pays ont cherché des moyens plus ou moins efficients pour tenter d'anticiper l'inévitable pénurie de pétrole qui se profile dans un avenir dont l'échéance dépend sensiblement de la subjectivité des prévisions annoncées par les spécialistes en la matière. La formidable croissance économique portée par ce système énergétique est à présent remise en question par cette progressive raréfaction des ressources pétrolières mondiales. Le développement de nos sociétés modernes risque ainsi d'être sérieusement ralenti voire même, si l'on se réfère aux prédictions des plus pessimistes, d'être mis en péril par la diminution des réserves mondiales en énergies fossiles. D'autant que nombre de nations ne semblent pas pouvoir ou vouloir, pour l'instant, se passer totalement du pétrole afin assurer la pérennité de leurs fonctionnements pour les décennies à venir.
De plus en plus, l'opportunité offerte par l'exploitation de certaines énergies, qui sont souvent considérées comme renouvelables et non polluantes , intéresse les responsables de ces nations afin de réduire la consommation d'hydro carburants de leur pays . Autant le dire tout de suite, pour nombre d'entre eux, il n'est pas encore question de changer totalement de système énergétique, mais bien de gagner du temps...
Pour la plus part des gens qui se soucient de la préoccupante dégradation de l'environnement planétaire qui a été une des principale conséquence néfaste de l'exploitation des ressources pétrolières de la planète afin d’ alimenter nombres des moteurs de la croissance mondiale, ce changement de cap annoncé est bien entendu une bonne nouvelle, même si, rappelons-le, bien que la fin du pétrole dans la matrice énergétique de notre monde est inexorable, elle n'est sûrement pas prévue pour demain.
Parmi ces palliatifs, les énergies photovoltaïques et éoliennes sont celles qui ont fait l'objet d'un intérêt plus particulier de la part de nombres de nations et, demeurent les plus connues du grand public. D'autres pays, comme la France ont opté plus particulièrement pour l'utilisation de l'énergie nucléaire afin d'atténuer leur dépendance aux énergies fossiles, de même que certains, à l'instar des Etats unis misent de plus en plus sur l'exploitation des réserves de gaz de schistes dont dispose leur territoire. Ces deux procédés sont cependant très controversés à causes de leurs conséquences néfastes sur l'environnement.
"Pourquoi le Brésil opte principalement pour l'exploitation des biocarburants afin d'assurer son indépendance énergétique..."
Le Brésil fait partie du club des B.R.I.C (Brésil, Russie, Inde, Chine) dont les membres sont les plus grandes puissances émergentes de la planète. Son économie connait une croissance annuelle de son P.I.B supérieure de deux points à la moyenne mondiale. Ce dynamisme influe très logiquement sur la demande énergétique de ce pays aux dimensions continentales au point qu'elle risque de doubler d'ici une vingtaine d'année alors qu'elle a déjà quintuplé en l'espace de quarante ans. Cependant, la nation brésilienne dispose d'énormes ressources naturelles et d’un potentiel parmi les plus important au monde en ce qui concerne les énergies renouvelables. Ce qui laisse présager que son avenir énergétique est assuré. Parmi cette large palette d'options possible pour assurer son autonomie dans ce domaine, l'exploitation de sa luxuriante biomasse, afin de produire des biocarburants, semble avoir été privilégiée par les brésiliens.
Pourtant, les potentiels du Brésil en matière d’ énergie hydroélectrique figurent parmi les plus conséquents au monde, notamment grâce à un important réseau fluvial ainsi que des reliefs très propices à ce genre d'exploitation. Mais les spots de productions sont souvent trop loin des grandes agglomérations urbaines et souvent dans des aires protégées. Le Brésil dispose d'un taux d'ensoleillement ainsi que de ressources en silicium (composant essentiel à la fabrication des capteurs solaires) qui auraient pu faire de ce pays un grand producteur d'énergie photvoltaïque.Cependant, pour l'instant, le coût de cette énergie est trop élevé pour intéresser un pays qui a tant d'autres solutions à sa disposition. Son capital en uranium représente près de cinq pour cent des réserves mondiales avérées; de même que les brésiliens ont devellopés quasiment toutes les compétences concernant le cycle nucléaire. Pourtant, le Brésil est réticent à s'investir plus dans ce genre d'exploitation et, il est facile de deviner que l'actualité risque de conforter ce pays dans ses réserves à propos du nucléaire. Les capacités de production en énergie éolienne sont aussi loin d'être négligleables.Mais là aussi la géo localisation des sites de production joue un rôle pénalisant pour le développement de ce procédé. Les sous-sols du Brésil abondent également de charbon. Cependant, il est de mauvaise qualité. Enfin, cette nation accuse une production pétrolière qui suffit pour l'instant à assurer ses besoins et à exporter ses surplus. Mais le pétrole est une ressource non renouvelable et, même si des réserves substantielles ont été récemment trouvées en zone off-shore, elles restent encore très onéreuses à extraire. Bref, si le Brésil dispose de multiples et abondantes ressources naturelles, des facteurs géographiques, économiques, politiques ainsi que géomorphologiques ralentissent le développement de leur exploitation. Par contre, la production de biocarburants n'a rencontré aucune entrave à son développement au point que, rappelons le, le quasi totalité de la production mondiale provient de cette puissance émergente.
Il faut dire que sa superficie, son importante biomasse, son climat, ainsi que son expérience séculière de la culture de la canne à sucre ont permis à la nation brésilienne d'obtenir des résultats plus que probants en la matière au point de la propulser au statut de leader incontesté de ce type d'exploitation. Le Brésil assure près de 90 pour cent de la production mondiale de biodiesel (autre appellation de ce carburant) et dispose d'un important parc d'automobiles "fuel-flex" capables de fonctionner autant avec des hydrocarbures ou des biocarburants. Ainsi, bien qu'il existe dans ce pays de nombreux autres atouts pour assurer son autonomie énergétique, le Brésil a choisit, sûrement parce que c'est la solution la plus pratique et la moins onéreuse pour l'instant, de miser avant tout sur l'exploitation des biocarburants.
Le Brésil s'appuie d'ailleurs sur cette culture pour développer d'autres ascpects plus socio-culturels de sa société. Je vous invite d'ailleurs à consulter ce site pour en savoir plus à ce propos (http://sugarcane.org),
Entretien avec le Mr Ministre Conseiller de l'Ambassade du Brésil à Alger.
Mr Sérgio Ricoy Pena, Ministre Conseiller de l'Ambassade du Brésil à Alger (Photo Karim Tedjani )
Le 30 avril, j'ai eu l'honneur d'être invité par Mr Sérgio Ricoy Pena, Ministre Conseiller de l'Ambassade du Brésil à Alger afin d'avoir son avis sur le sujet.
Je lui ai tout d'abord demandé si le Brésil, dont le partenariat avec l'Algérie a été intensifié depuis l'année 2000, avait, à l'instar d'autres pays tels l'Allemagne et la Suède, des solutions endémiques à proposer à la jeune nation algérienne en ce qui concerne l'écologie. Avec modestie, il m'a répondu que son pays n'avait pas vocation à être un modèle dans ce domaine bien qu'il n’ait pas totalement éludé la préservation de l'environnement dans sa politique de gouvernance. Selon lui, le Brésil est un pays en plein développement, ce qui génère forcement des conflits d'intérêts entre sa croissance économique et l'importance pour ce pays de préserver son immense patrimoine naturel.
A ce propos, nous évoquons le problème de la forêt amazonienne qui a, depuis toujours, subit de nombreuses atteintes à son intégrité à cause de cette croissance fulgurante. Mr Pena ne dément pas cet état de fait tout en soulignant que son pays n'a eu de cesse de veiller à limiter ces impacts néfastes qui ne peuvent être évités, selon lui, au regard des aspirations légitimes du Brésil à devenir un pays développé. Quand je lui affirme que, puisque la forêt amazonienne est considérée comme étant "les poumons de la Terre" cela incombe à son gouvernement une responsabilité vis à vis de l'écosystème planétaire. Loin de démentir totalement cette affirmation, il tient cependant à la nuancer et me rappelle que de nombreuses études scientifiques ont prouvé qu'elle produit certes beaucoup d'oxygène, mais qu'elle en consomme aussi une grande quantité. Pour lui, à l'échelle de son pays, cette forêt joue aussi un rôle capital dans le bon fonctionnement de son système hydrique, notamment en filtrant l'eau. Enfin, il me précise que l'Amazonie n'est pas le seul écosystème présent dans ce pays et qu’il serait réducteur de n’évoquer que cette forêt pour parler de la biodiversité de son pays.
Puis, je lui demande quelques éclaircissements à propos de certaines critiques qui ont été émises par de nombreux écologistes du monde entier concernant les biocarburants ainsi que le statut surévalué, selon eux, d'énergie renouvelable et propice au respect de l'environnement dont ce procédé fait l’objet. En effet, si les pots d'échappements des voitures fonctionnant à l'éthanol ne dégagent que très peu de substances polluantes, la culture de la canne à sucre, sur laquelle est basée essentiellement la production de ce type de carburant, impose, dans son exploitation intensive, l'apport d'un nombre conséquent de pesticides et d'engrais dont l'utilisation ne peut être considérée comme vertueuse pour l'intégrité des sols ainsi que pour la biodiversité périphérique à ces immenses champs de culture. Les sols ne sont pas forcement une ressource renouvelable, ils peuvent s'abîmer et devenir incultes si l'on ne les ménage pas. De plus, on dénonce souvent le fait que cette culture risque d'empiéter sur l'espace agricole utile ainsi que sur le patrimoine forestier d'un pays.
Une fois de plus, Mr le Ministre Conseiller tient à nuancer ces allégations qu'il avoue ne pas être en mesure de réfuter totalement. Tout d'abord, il me rappelle que le Brésil ne s'est pas lancé dans la culture de la canne à sucre pour la seule exploitation des biocarburants et que ce pays la pratique depuis le 16ème siècle. L'espace dédié à la canne à sucre existe donc depuis toujours sur le territoire brésilien. Le Brésil a, de ce fait, une grande expérience en la matière et continue à faire des recherches dans le but d'optimiser son savoir faire dans ce domaine. De plus, dans ce pays, il existe un organisme, l'IMRAP, qui encadre les exploitants afin que leur activité n'entre pas en conflit avec les autres aspects de l'économie nationale dont le respect de l'environnement ne peut être considéré de nos jours comme un sujet anecdotique. A vrai dire, selon lui, la politique du Brésil concernant cette culture vise plutôt à optimiser les rendements des terres déjà mises à la disposition de l'exploitation de la canne à sucre plus qu'à en étendre l'aire d'exploitation. Il m'informe d'ailleurs que l'espace attribué à la culture des végétaux pouvant servir à produire des biocarburants n'a pas été augmentée depuis longtemps ; de même que le Brésil a fait de nombreuses recherches afin de limiter l'utilisation des pesticides et des engrais, notamment en misant sur des espèces "naturellement" plus résistantes ainsi qu'en développant d'autres cultures dédiées à la fabrication des biocarburants.
J'interroge, ensuite, mon interlocuteur sur son avis à propos d'un éventuel développement de cette énergie en Algérie qui, bien que grand exportateur de pétrole et de gaz naturel, doit elle aussi faire face à une explosion de sa consommation énergétique liée à une forte croissance démographique ainsi qu'à son développement économique. Je précise à ce dernier que notre pays, bien qu'il ambitionne d'être un grand producteur de canne à sucre, au regard de son climat fort propice à cet effet, ne dispose pas des mêmes carectéristiques physiques que le Brésil. En effet, si ce pays est occupé à 60 pour cent par l'espace forestier et peut compter sur un espace cultivable très important, l'Algérie ne dispose que d'à peine plus de 10 pour cent de surface agricole utile et souffre d'une sérieuse dégradation de son patrimoine forestier. Cela laisse à penser que l'Algérie doit aborder cette culture avec beaucoup de prudence. De plus, l'Algérie a un taux d'ensoleillement énorme, notamment grâce au fait qu'il abrite sur son territoire le plus grand désert au monde, ce qui lui offre l'opportunité plus pertinente, dans son cas, de miser sur l'énergie photovoltaïque. Le professeur Chittour, grand spécialiste algérien et international de l'Energie, à récemment affirmé, lors d'un conférence sur l'économie verte organisée par la coopération allemande et le Ministère algérien de la PME, que notre pays devrait aussi exploiter les ressources géothermiques non négligeables de notre térritoire pour produire de l'énergie.
Mr Pena me répond que le Brésil n'a pas de projet de coopération particulier dans ce domaine avec l'Algérie et que les échanges entre ces nations se font plutôt autour de la culture de la canne à sucre comme produit de consommation agroalimentaire. Cependant, nous semblons d'accord sur le fait que le Sahara apparaît de plus en plus comme étant un espace propice à étendre l'aire cultivable de ce pays. Il m'informe qu'il a, lors d'un voyage dans le Sud du pays, été très impressionné par les progrès fait par les algériens dans ce domaine. Nous évoquons ensemble le cas d'Israël qui est pays désertique et dont la réputation d'être un grand pays agricole n'est plus à prouver.
Je lui donne d'ailleurs mon avis à ce propos: le Sahara regorge d'eau dans ces sous-sols, bien qu'elle soit pour l'instant très coûteuse à exploiter, il est à espérer que la technologie risque de faire de grand progrès dans ce secteur puisque l'eau est une ressource qui se raréfie au point de devenir aussi précieuse que le pétrole. Les terres cultivables de notre pays, situées essentiellement sur la zone côtière et les hauts plateaux, sont fatiguées et souffrent d'une mauvaise gestion et de nombreux facteurs qui risquent à long terme de les rendre incultes si des mesures encore plus efficientes que celles qui sont déjà prises ne limitent pas les effets néfastes de cette mauvaise gestion. La biodiversité si luxuriante et particulière de l'Algérie est menacée alors qu'elle pourrait, dans bien des domaines, être un facteur de développement d'une économie "verte" dont l'écotourisme, l'agriculture bio, l'artisanat et bien d'autres secteurs créateurs d'emplois sont à mon humble avis des secteurs clefs. Pour moi, comme beaucoup d'autres d'ailleurs, le Sahara si est la source de richesse du présent à cause de son pétrole, doit devenir aussi celle de l'avenir d'un pays dont les ressources naturelles n'ont rien à envier au Brésil. Pourtant ce pays est devenu une superpuissance émergente et l'Algérie tarde à être un pays vraiment développé...
Nous concluons cet entretien par quelques réflexions sur le terme de "développement durable», inspirés par le fait que la prochaine grande conférence mondiale sur le sujet se déroulera à Rio au mois de juin prochain. J'interroge Mr Pena sur le fait qu'il existe un paradoxe entre la volonté de préserver un espace fini, notre planète et de parler de développement durable, donc continu. Il me répond qu'en portugais, langue officielle de son pays, il est plutôt question de développement "soutenable" pour de la Terre et pour le bien-être de ses habitants. Enfin, je lui demande s'il avait, à titre personnel, un conseil à donner aux jeunes de ce pays pour aller dans ce sens. Il me répond avec modestie toujours que c'est une responsabilité qu'il ne se sent pas en mesure d'assumer et se contente de me suggérer que développer la responsabilité de chacun est à son humble avis la solution la plus judicieuse....
Dossier conçu par Karim Tedjani pour "Nouara , le portail de l'écologie en Algérie".
Pour en savoir plus:
(http://sugarcane.org),( site institutionnel en anglais)