4 Août 2012
Deuxième visite à Naciria (Boumerdes).
Quand la soif devient sacrée…
En ce mois de Ramadan, il parait encore plus évident pour chacun et chacune d’entre nous à quel point l’eau est un bien précieux, source ultime et irremplaçable de vie.
Souvent, la canicule estivale aidant, bien plus que la faim, c’est la soif qui apparait être la privation la plus éprouvante à endurer pour tous ceux qui jeûnent. Les palais asséchés attisent les imaginations, hantent les esprits comme si l’on était perdu dans l’immensité du désert, espérant croiser sur sa route une oasis où une eau limpide et rafraîchissante coulerait à flots. Boire de l’eau fraîche devient presque une obsession au point qu’à l’heure de la rupture du jeûne le premier verre consommé, prend des airs de la plus savoureuse des libérations…
C’est sûrement pour cela que la période du carême est celle où de nombreux citoyens se ruent encore plus qu’à l’accoutumé vers les sources naturelles de leur région afin de faire « le plein » d’une eau aux vertus sanitaires et gustatives malheureusement bien au dessus de la plupart de celles qui jaillissent des robinets de leurs domiciles.
Car, pendant le Ramadan, il est de bon ton de se faire plaisir, de boire et de manger les meilleures denrées possible. Or, comme tout le monde le sait, le nec plus ultra en matière d’eau douce, c’est bien entendu celle qui coule des sources naturelles ! Chacun possède, en fonction de sa préférence, ses adresses coutumières plus où moins éloignées de sa ville où de son village. Ceux qui n’ont pas de véhicule, solidarité musulmane oblige, peuvent compter sur un membre de la famille ou bien encore un voisin compatissant pour lui apporter un ou deux bidons de ce précieux breuvage.
C’est dire, à quel point, Mohamed Djazaïri et ses nobles compagnons d’entreprise ont redoublé de courage ainsi que d’abnégation pour finir les travaux des fontaines de la source Tala Ifri de Naciria (Boumerdes) avant le début de cette saison sacrée pour tous les musulmans du monde.
Voici la deuxième fontaine érigée par nos Compagnons de l'eau de Naciria...
A Naciria, comme un peu partout en Algérie, l’eau du robinet n’est pas une valeur sûre pour les consommateurs.
Pour ceux ainsi que celles qui suivent l’actualité de ce portail, le nom de Naciria n’est pas une inconnue.
J’avais, en effet, il ya de cela quelque mois, publié sur « Nouara » un article intitulé « aux sources du volontariat » témoignant de la louable initiative de certains habitants de cette ville qui avaient décidé de s’organiser afin de restaurer le réseau de fontaines de Tala Ifri existant depuis au moins deux siècles dans cette partie de la Kabylie. En ce presque milieu de mois sacré, je suis revenu constater avec un immense plaisir les résultats de cette belle aventure humaine.
Dès mon arrivée à l’entrée de la route qui mène à la source Tala Ifri, juste au bord de la chaussée j’assiste, envahi par un léger frisson d’émotion, au plus motivant des spectacles .A voir le nombre de gens qui s’agglutine autour de la deuxième fontaine construite par ces « compagnons de l’eau » on comprend sans effort que cette entreprise est sans conteste un franc succès. Partout des sourires, des petits gestes qui ne trompent pas sur le fait que les habitants de Naciria sont heureux de pouvoir profiter d’un tel service. D’autant qu’à regarder cette fontaine, la belle fresque peinte sur un carrelage impeccablement posé, dont Abdelaziz Idres, un artiste de Tizou Ouzou est l’auteur, la citation de Albert Einstein inscrite sur l’édifice ainsi que les nombreux robinets à la disposition des usagers, on ne peut que respecter le travail bien fait.
A Naciria, comme dans beaucoup de communes qui ont gardé une empreinte encore rurale, l’eau se boit de préférence directement à la source. Il faut dire que la plupart des algériens, s’ils en ont les moyens, préfèrent éviter de boire l’eau du robinet.
A Boudouaou, par exemple, dans la même wilaya, celle du réseau domestique a plus le goût de la javel qu’autre chose. Je me souviens du témoignage d’une mère de famille dans le quartier très populaire de « L’Eria » à Oued Znati (Guelma) qui m’expliquait éviter cette dernière suite à de nombreuses maladies qu’elle et ses enfants avaient éprouvées en la consommant. A vrai dire, lors de mes nombreux déplacements à travers toute la zone tellienne du pays, j’ai rarement pu constater que les gens s’abreuvaient de l’eau du réseau domestique.
Si la politique hydraulique de notre pays semble avoir misé sur la quantité, il parait évident que l’aspect qualitative a été négligé. Lors d’une rencontre avec un ingénieur en hydraulique à Annaba, j’ai été étonné d’apprendre que, si notre pays avait largement investi dans la construction de grands barrages, le plus souvent, les stations chargées d’épurer l’eau collectée n’ont pas été suffisamment renouvelées. Elles ont des capacités bien inférieures au débit accusé par ces immenses réservoirs. Ce paradoxe surréaliste est à vrai dire souvent à l’origine des coupures récurrentes d’eau dont beaucoup d’entre nous sont victime au quotidien.
En ville, il est de bon ton de boire de l’eau minérale vendue en bouteille. Si cette tendance fait les affaires des distributeurs d’eaux minérales, elle pèse largement sur le budget de nos concitoyens ; surtout quand on sait que dans notre pays, un litre d’eau est, au mieux, aussi cher que celui d’essence ! Pour notre environnement, c’est un désastre car des millions de bouteilles non recyclées ont envahi la voie publique ainsi que nos plages et nos campagnes qui se dégradent à vue d’œil sans que la société algérienne ne semble vraiment réagir ou bien encore ne cherche de véritables solutions.
Disposer d’une source naturelle à la périphérie de son domicile est donc un avantage précieux, une chance inestimable qu’il serait dommage de ne pas saisir, encore moins de gâcher. C’est en adhérant à ce postulat que Mohamed et ses amis ont rendu un des plus fiers services à leur communauté.
Sur le chemin qui mène à notre point de rencontre, la grotte Ifri, je croise de nombreux habitants qui se dirigent où reviennent de la première fontaine construite par Mohamed et ses amis. Cette affluence illustre parfaitement ce manque de confiance envers l’eau du réseau publique. Si cette dernière était digne de confiance je pense que de telles fontaines n’auraient pas un tel succès…
A chaque fois, je suis accueilli par de grands sourires et des « bienvenus » venus du fond du cœur. Même si, au grand regret de Mohamed, les finitions décoratives de cet ouvrage n’ont pas pu être achevées avant le début du Carême, ce point de distribution n’en reste pas moins tout à fait opérationnel. La joie, la bonne humeur que je devine sans difficulté sur les visages de tous ceux qui sont venus ici pour chercher de l’eau, témoignent de l’importance d’une telle réalisation.
La première fontaine de la source Tala Ifri à Naciria...
Les "compagnons de l’eau" de Naciria.
Cette fois-ci, Mohamed s’est arrangé pour me présenter les principaux acteurs de cet acte de bienfaisance dont l’exemplarité devrait, à mon humble avis, rayonner bien au-delà des limites de cette commune si accueillante. Nous avions convenu de nous retrouver en fin d’après-midi, un peu avant la rupture du jeûne.
Me voici donc en présence de ceux que je considère comme des héros du quotidien, des compagnons de l’eau dont le seul intérêt dans cette démarche a été la satisfaction d’avoir œuvré pour le bien fondé de toute la communauté et d’avoir veillé au bien-être des jeunes générations.
Après de brèves présentations, Mohamed Djazaïri m’invite à visiter la deuxième grotte qui se trouve au bout d’un couloir naturel que nous empruntons tous ensemble. Une fois, ce couloir naturel traversé, nous nous retrouvons dans un très bel endroit qui ressemble beaucoup à un théâtre antique. Mohamed, m’informe d’ailleurs que c’est ici qu’avant se déroulait, entre autre, des joutes amicales sous le regard amusé des habitants de Naciria. Il me rappelle, une fois de plus et avec d’ailleurs beaucoup de pertinence que ce genre d’endroit, parce qu’il réunissait régulièrement toutes les générations du village, jouait un rôle essentiel dans le maintien de la cohésion sociale ainsi que dans la transmission du savoir et des valeurs auprès des jeunes. Pour Mohamed, c’est une chose qui s’est malheureusement perdue à travers tout notre pays. Cette négligence est à l’origine, à mon humble avis , de la progressive dégradation de la Nature Algérienne, qu’elle soit au sens propre ou au figuré.
« Construire ces fontaines a coûté environ un milliard de centimes de dinar (90 000 euros environs) sans compter les heures de travail fournies. Même si elle a tardé à être réactive et retardé ainsi notre progression, l’APC, nous a fait confiance en investissant dans notre projet. Aujourd’hui, selon mes calculs, nous pouvons offrir jusqu’à plus de 1000 litres quotidiens à chacun des habitants de notre communauté. C’est un gain énorme et durable pour la santé publique, le développement de l’agriculture locale et, nous allons à présent œuvrer pour que cela concerne aussi la culture, l’éducation et pourquoi pas l’écotourisme… »
Un de ces nobles personnages, Belmokhtar Ahmed, me répond, quand je l’interroge sur ce qui a motivé sa participation à ce projet : « Faire du bien autour de moi, contribuer à l’amélioration des conditions de vie des gens de ma commune est pour moi une source intarissable de satisfaction. Agir chaque jour que Dieu fait dans ce sens, c’est ainsi que je fais ma prière ! » me répond-t-il en affichant un sourire rayonnant de bonté ainsi que d’une profonde sagesse.
Amirat Arezki, en me lançant des regards malicieux se met à arroser une botte d’une herbe dont je n’ai pas la connaissance : « Vous voyez M. Tedjani, cette herbe quand on l’asperge, elle ne se mouille pas… Elle ressemble en quelque sorte à ce que nos concitoyens sont en train de devenir. Ils veulent que les choses avancent mais ils ne se laissent plus vraiment pénétrer par l’esprit d’initiative, et surtout, ils ne veulent pas se mouiller ! ». Toute l’assemblée éclate d’un rire approbateur …
Pour Bouroubi Rabah et Hamoudi Rabah, le discours est le même : tous ces « compagnons de l’eau » ont choisit de s’investir dans la construction de ces deux fontaines avant tout par soucis de montrer l’exemple et de délivrer ainsi un message d’espoir à leur concitoyens. Sans autre intérêt que la satisfaction d’avoir œuvré pour le bien de toute une commune, ces hommes ont consacré beaucoup de leur temps ainsi que de leur énergie afin que la source de Tala Ifri soit réhabilitée. A constater la constance de la fréquentation de ces fontaines jusqu’à une heure tardive, on comprend qu’il suffit de vraiment vouloir se prendre en main pour espérer obtenir des résultats probants.
En Algérie, il y a ceux qui, en majorité, ont baissé les bras, se contentent d’attendre un hypothétique changement ; et puis, une poignée d’homme et de femmes inspirés ont pris plutôt le parti de « se mouiller », de tenter des choses avec une motivation inébranlable. Les résultats obtenus par Mohamed et ses amis sont la preuve par A plus B qu’une poignée de gens organisés et motivés peuvent changer la vie de milliers de gens …
C’est pour cela que j’aimerais lancer un message à tous les habitants de Naciria qui prendront le temps de lire ce récit : A présent c’est à vous de soutenir ces hommes, de les porter encore plus loin car « Tout seul on va beaucoup plus vite, Ensemble on va beaucoup plus loin… »
Mohamed au centre entouré de ses amis et partenaires ainsi que de certains membres de sa famille et de personnes présentes à ce moment sur le site. Cette photo a été prise devant la source Tala Ifri.
Des projets pour l’avenir…
Après un délicieux repas en compagnie de ses fils ainsi que de ses beaux frères, nous nous rendons en ville pour parler d’avenir autour d’une boisson fraiche. Ghiat Mustapha nous a rejoints et participe activement à la discussion. Je propose à Mohamed de créer à présent une association afin de pouvoir aller encore plus loin dans les ambitions de ces « Compagnons de l’eau ». Il y a tout d’abord la nécessité de fournir un éclairage et de disposer des poubelles tout autour du parcours qui mène à la grotte Ifri qui pourrait avec peu d’aménagements, retrouver sa fonction de pôle culturel et de cohésion sociale. Avec ses allures de d’amphithéâtre, cette grotte pourrait accueillir des spectacles, des conférences, des expositions et tant d’autres événements. La restauration d’un ancien moulin à eau pourrait notamment fournir de l’énergie pour alimenter les ampoules… Mohamed aimerait aussi construire une horloge hydraulique.
Une des choses qui tient énormément à cœur à cet homme plein d’ambition pour sa région, est la création d’une cartographie détaillée de toutes les sources qu’abrite cette commune au patrimoine aquifère très important.
Bref, quand on voit comment avec peu, ces hommes ont accomplis beaucoup, on ne peut que souhaiter voir toute la société civile soutenir leurs actions. C’est aux représentants de l’Apc, aux médias ainsi qu’à tous les habitants de Naciria de porter à présent tous ces projets et de ne pas se contenter de puiser de l’eau sans donner quelque chose en échange….
Inchallah, la relève...