4 Septembre 2012
ALGER - Rareté et hausse des prix de la matière première entravent l’essor de la bijouterie traditionnelle, malgré une forte croissance de la demande dans un marché qui brasse plusieurs milliards de dinars par an de chiffre d’affaires, relèvent mercredi des professionnels de la filière.
Rencontrés au Salon national du bijou traditionnel (26 août-1 septembre), qui se tient au palais de la culture ’’Moufdi-Zakaria’’, les professionnels de la bijouterie traditionnelle sont unanimes : ’’la matière première est rare, et coûteuse’’.
"Les prix de l’argent est en hausse depuis plusieurs années, et sa disponibilité sur le marché algérien dépend de beaucoup de facteurs, ce qui nous pose un sérieux problème pour le maintien de nos activités", a déclaré l’APS Amar Haouchine, un artisan de Tizi Ouzou.
Le cours du kilogramme de l’argent oscille entre 100.000 et 110.000 dinars, en nette hausse par rapport aux 40.000 dinars des années 2000, et les 25.000 de la fin des années 1990, se désole-t-il.
Entre 2000 et 20111, la hausse du cours de l’argent, matière première incontournable pour la confection des bijoux traditionnels dans beaucoup de régions d’Algérie (Kabylie, Aures, Hoggar et Tassili) a dépassé les 175%, explique cet artisan, qui se dit ’’fier’’ d’être un pur produit des centres de formation professionnelle et de l’apprentissage. Le cours de l’Argent a bondi depuis le début de l’année sur les marchés des métaux précieux, notamment sur le London Metal Exchange (LME) de Londres, sur le sillage de la hausse du métal jaune, porté par un retour massif des investisseurs face à la baisse de la croissance et la déprime en Europe. Vendredi en fin de semaine, l’Argent se négociait à 30,37 dollars l’once (31,33 grammes) contre 28,20 dollars une semaine auparavant.
Système ’’D’’
Face à cette situation pour le moins stressante pour les professionnels de la filière, les astuces ne manquent pas. Et, c’est le système ’’D’’ qui leur vient à la rescousse pour faire tourner leurs ateliers. Face donc à la rareté de la matière première, rien de mieux que les vielles pièces de monnaie en argent, et les bijoux inutilisés qu’ils achètent au prix de l’occasion.
Comme ’’débrouille’’, il y a encore l’ajout de beaucoup plus qu’il n’en faut de cuivre, un alliage utilisé surtout pour les ouvrages en or. Mais, attention ! l’ajout de cuivre ne doit pas altérer le niveau et la quantité de l’Argent dans un ouvrage (bijou) qui ne doit pas être à 950 millièmes, pour être certifié par les services de la garantie.
Actuellement, la mauvaise qualité des bijoux en Argent est due au fait que les artisans vont jusqu’à 925 millièmes de matière première, ce qui affecte négativement la qualité du produit.
Redouane Kasdali, directeur central de l’Agence nationale de l’Or (AGENOR), fournisseur officiel des artisans bijoutiers (Or et Argent) en métaux précieux en Algérie, estime que la marge bénéficiaire de l’agence est "très minime" par rapport à la surchauffe des cours sur les marchés internationaux.
AGENOR vend actuellement le kg d’Argent sous forme de grains à 100.000 dinars, et sous forme de plaques à 110.000 dinars, alors que l’OR est à 5,950 millions de dinars.
Par ailleurs, M. Kasdali a réfuté toute pénurie de matières premières (Or et Argent) sur le marché national, précisant que la crise enregistrée en 2011 était la conséquence du blocage durant cinq mois par les services des douanes des importations de métaux précieux, matière première pour les artisans bijoutiers.
’’Une situation anachronique qui a fait grimper les prix de l’Or et l’Argent, et permis aux métaux précieux de contrebande d’être introduits en Algérie’’, résume H. Ali, un artisan bijoutier à la Casbah d’Alger.
Devant le manque de matière première et la hausse des cours sur le marché parallèle, ’’nous sommes obligés pour faire tourner nos ateliers d’acheter de petites quantités d’Argent et d’Or fin’’ provenant de pays arabes ou Méditerranéens, ajoute-t-il.
Même situation pour le Corail, dont les prix ont explosé : 70.000 DA/kg. Même si la pêche au corail est officiellement interdite depuis le début des années 2.000 et les braconniers sévèrement sanctionnés, il y a ’’quand même du corail mis sur le marché’’, insiste un artisan.
Résistances
Mais, les difficultés pour les artisans bijoutiers ne s’arrêtent pas là : après la rareté et la cherté de la matière première, ils doivent en outre composer avec les ouvrages à bas prix importés, souvent ’’frauduleusement’’, selon des professionnels rencontrés au Salon national du bijou traditionnel.
"Notre métier est en danger. Beaucoup d’artisans, même à Ait Yenni, berceau de la bijouterie traditionnelle en Kabylie, changent d’activité à causes de ces difficultés", fulmine Arezki Kettab, un artisan-bijoutier à Tizi Ouzou.
"Nous continuons de résister, parce que nous sommes conscients de notre responsabilité de sauvegarder cet héritage culturel’’, a-t-il ajouté. Arezki Kettab a monté son affaire grâce à un crédit de l’ANGEM.
De leur côté, des artisans-bijoutiers des régions du Sud du pays estiment que des facilités administratives pour l’accès aux aides financières dans le cadre des différents dispositifs de soutien à l’emploi de jeunes notamment, est "plus que nécessaire" pour pérenniser et développer ce métier, "symbole de l’originalité culturelle de nos régions’’.
Pour les professionnels des régions de l’extrême sud du pays, qui s’approvisionnent en matière première des villes du nord, le manque de touristes au Sahara est également un autre danger qui menace leur métier, mise de plus en plus sur la demande croissante sur le marché nationale.
En fait, tout cet intérêt brusque pour les bijoux en Argent, qui étaient il y a quelques années délaissés au profit des ouvrages en Or, beaucoup plus valorisés car pouvant dans les moments de ’’disette’’ être gagés au niveau du Mont de Piété (Crédit Municipal), est le simple fait d’une hausse vertigineuse des prix du métal jaune en Algérie.
’’En vitrine à plus de 8.000 dinars le gramme pour le 18 carats, ou à 4.200 dinars au moins pour le 18 carats ’’cassé’’ (d’occasion) dans les ruelles humides de la basse Casbah, entre l’ex-Rue Mogador et le marché de la Rue Bouzrina’’, lance Yazid, un artisan bijoutier.
Et puis, ’’les goûts de notre clientèles en matière de bijoux ont beaucoup évolué. Les clients sont de plus en plus exigeants et sensibles aux moindres détails. Les échanges culturels dont les voyages à l’étranger sont l’un des principaux éléments qui ont participé considérablement à cette évolution ", constate Souad Melouli Bekhoucha, une créatrice de bijoux d’Alger.
"Heureusement pour nous que la demande est croissante. Notre métier pourra prendre son plein essor si on arrive à s’approvisionner d’une manière stable et à des prix raisonnables", affirme cette artisane qui a vu sa clientèle doubler en l’espace de deux ans.
Organisé par la chambre de l’Artisanat et des Métiers de la Wilaya d’Alger, le Salon national du bijou traditionnel accueille 60 participants dont 46 artisans venant des quatre coins du pays.
Les techniques de réalisation du bijou traditionnel sont différentes d’une région à une autre. Le bijoutier kabyle est toujours fidèle aux modèles ancestraux, avec le rouge et le gris comme couleur dominante, alors que celui des Aurès continue de reproduire les anciens modèles tout en intégrant dans leurs ouvrages les influences de la mode italienne ou Moyen orientale.
Quant au bijou targui, il est fabriqué toujours à partir d’un moule, puis façonné ou découpé pour être ensuite décoré des motifs du Tifinagh. Objectif du salon : mettre en relations d’affaires les professionnels, faire connaître leur métier au public, et promotion du bijou traditionnel, témoin d’un art de vivre, d’une culture, mais aussi d’une conception de l’univers des créations du génie populaire algérien à travers le temps