15 Janvier 2014
Ce jeune agriculteur algérien, si fier de ses courgettes cultivées sans engrais, sait-il a quel point il doit une fière chandelle aux vers de terre qui prolifèrent sous ses pieds?
(Photo prise à Guerbes par Tedjani K.)
Dans sa célèbre fable, Jean de la Fontaine nous rappelle un principe que la parabole biblique de David terrassant le géant Goliath suggérait déjà bien des siècles auparavant : la valeur d’un individu n’est pas proportionnelle à sa taille. Un plus petit que soi peut, à bien des égards, s’avérer un allié des plus utile et indispensable ; de même qu’un adversaire aussi vaillant que redoutable. Je pourrais également vous citer un autre conte très répandu, celui du Petit Poucet des frères Grimm, ou bien encore évoquer la légende des lutins et des nains…
Mais, comme vous devez vous en douter, la vocation première de cet article, n’est pas de prendre les airs d'une étude littéraire, mais, bien, comme je l’ai toujours fait, de vous parler avant tout d’Ecologie.
C’est que la plupart de nos contes et légendes puisent leur inspiration des miracles et mystères que la nature produit chaque jour. Avec une simplicité qui ne doit pas faire oublier la grande magie qu’elle opère quotidiennement dans les moindres recoins de cette magnifique planète dont nous avons toutes et tous hérité autant de la jouissance que la responsabilité. Il est possible, quand on prend le temps de baisser nos têtes vers la terre, de trouver une des illustrations les plus réalistes et incontestable de l’adage de ce Maitre de la Fontaine qui fit d’un Rat le plus grand obligé du Roi des animaux.
Oui, dans la terre.Il y a ce petit être qui parait si « insignifiant ». Il a pourtant le sort de nos sols, et donc d’une grande part de la biodiversité mondiale, entre ses anneaux, qui lui font certes plus office de pieds que des mains qu’il n’aura jamais. Ce ver, donc, dont on qualifie souvent la pire vermine humaine, eh bien, le Lombric, sachez qu’il est un des plus puissants et indispensables agents de la vie sur Terre…
Imaginez-vous que cette minuscule « bébête », qui n’a vraiment pas les atours de sa préciosité, représente 80% de la faune installée dans nos sols. On estime, selon les études, la population des lombrics dans un hectare de terre entre un et deux millions.
Pour une faune très nombreuse et variée, cette prolifique démographie est d’abord un formidable apport calorique. Une nourriture riche et, normalement, abondante. Tant que l’homme ne perturbe pas leurs rôles et fonctions écologiques essentielles, entendons-nous... Pour la flore, leurs fumiers jouent un rôle des plus nourrissant et fertilisant.
Mais, si j’osais m’exprimer ainsi, ce n’est que la face visible de ce qui se passe vraiment dans les sols heureux où grouillent en nombre suffisant les vers de terre. Car, si une foule de bestioles les dévorent, ces proies faciles, elles aussi, ne manquent pas d’appétit. Le peuple des vers est même comparé par certains experts comme une sorte d’estomac vivant pour nos sols. A bien des égards, cette analogie entre les fonctions biologiques de cet organe et le rôle écologique des lombrics, est fort justifiée: ils digèrent littéralement la terre…
Leurs déjections fertilisent les substrats qu’ils colonisent, y incorporent de la matière organique. Ces "compost" concentrent en surface, comme en profondeur, une multitude d’éléments nutritifs. Ainsi, telle une flore intestinale, une foule de micro-organismes et de bactéries essentielles à l’écologie des terreaux s’y maintiennent en une complexe symbiose avec la terre. Même les champignons, en surface, doivent une fière chandelle à cet asticot sub-terrien sans qui le monde ne serait qu’un vaste désert stérile depuis bien longtemps...
Un nombre croissant agriculteurs s'appliquent à présent, à travers toute la planète, à renouer avec une agriculture plus encline à conserver l’équilibre pédologique et biologique des sols. Tandis qu’ils s’étaient acharné pendant des générations à vouloir les enrichir et les domestiquer en pratiquant une agronomie outrageusement pétrochimique... Dans cette prise de conscience, les recherches sur les effets bénéfiques de l’occupation de nos sols par les lombrics (il existe d’ailleurs de nombreuses espèces), ont été capitales. Le ver de terre est incontestablement la pierre angulaire de l’agro écologie, appelée aussi agriculture naturelle, ou de conservation, selon les pratiques qui diffèrent entre chaque appellation.
Aujourd’hui, on sait que nos amis les lombrics labourent très subtilement les sols. Et cela bien mieux que n’importe quel engin, aussi sophistiqué et puissant qu'il soit. Leurs innombrables galeries verticales et horizontales permettent une parfaite aération des sols. Dans la même foulée, ces micro-galeries constituent un chemin idéal pour l’infiltration des eaux de surface, le drainage de fond. Leurs déjections font également office d’un ciment très efficace à maintenir la consistance des sols. Une terre riche en lombric n’a pas besoin d’être labourée en profondeur, à force de la digérer sans cesse, les vers de terre déplacent et remuent des quantités impressionnantes de terre arable...
Il serait, à ce propos, bon de rappeler que les principaux touchés par la biochimie écocidaire de l’agriculture industrielle sont ces mêmes vers de terre. Les produits hautement toxiques qu'elle utilise provoquent de véritables hécatombes parmi ces précieux locataires de nos sols. D’autant que, plus de 95% des substances chimiques présentes dans les produits phytosanitaires n’atteignent par leur cible initiale. Elles vont se diluer, tels des poisons invisibles à l’œil nu, dans tout l’environnement des cultures traitées et, bien entendu, dans les sols. Le résultat est simple : la défection des lombrics des terroirs est la principale source de leur appauvrissement. Dans un pays rendu fragile écologiquement par l'aridité, c'est le désert assuré avant même le bout du chemin !
Ainsi, une étude gouvernementale irlandaise a estimé, en ce qui concerne l'Irlande, la valeur de tous ces services écologiques à plusieurs centaines de millions d’euros, voire même, un milliard quand on tient compte des rayonnements de leurs bienfaits sur certaines activités très rentables pour le pays, comme par exemple l’horticulture… En limitant les excés de labourages, en réduisant la profondeur des labours mécanisés, la présence des lombrics permet de réaliser de sérieuses économies énergétiques ainsi qu'en produits phytosanitaires; c'est à dire du pétrole non consommé .
Je pourrais vous en dire long sur ces vers de terre qui, je l’espère, ne vous apparaîtront désormais plus comme des êtres indignes de votre d’intérêt. Bien au contraire, ils méritent tous nos soins et notre bienveillance, pour ne pas dire tout notre gratitude. Pour relever le défi d’une agriculture algérienne auto suffisante et soutenable pour l’environnement, nous n’aurons, à vrai dire, pas de meilleurs alliés que ces "plus petits que [nous]"…
J’aimerais finir sur une touche, à la manière de ces bergers de l’Est algérien dont je me suis toujours senti si proche intellectuellement. Je me permettrais donc une correspondance entre un fait naturel et une des réalité de la nature humaine.
Celles et ceux qui militent, souvent dans leur coin, pour que notre environnement, notre faune, notre flore et nos paysages retrouvent de leur superbe, ceux-là sont comparables à des vers de terre.
Non pas qu'ils soient pour cela méprisables, bien au contraire! Leurs actions, même dissolues, représentent un travail de fond inestimable pour les générations futures et même présentes. Il serait bon de voir leur force d'action positive avec autant de discernement que l’on doit reconnaitre celle des lombrics pour la terre. Les ignorer, prendre de haut leurs démarches, certes qui avancent à pas de fourmis, leurs petites améliorations quotidiennes, c’est être aussi aveugle et malavisé que ce Lion de la Fontaine qui snobait royalement le Rat. Jusqu'à ce qui ne lui enlève un jour une sacré épine du pied...
Aucun ministère, aucune institution mondiale ne réussira à dépolluer l’Algérie, si le cœur et l’esprit de ses enfants portent en eux la pollution comme une encre indélébile, un deuxième sang. Les acteurs civils de la protection de l'environnement sont les seuls capables de distiller la "bonne parole" à travers toute la société, comme on diffuse un reméde dans un corps malade. Tous ces gens responsables, qui militent à l'ombre des officines du pouvoir, dont je salue au passage le courage, le dévouement et le désintéressement respectifs, portent en eux encore de cette magie qui a fait, et doit continuer éternellement à faire de l’Algérie ce qu’elle est vraiment : non pas une prison à ciel ouvert peuplée de gens obtus, comme on s’ingénue à la cultiver intra et extra muros, mais bien la terre millénaire des « hommes libres », de corps et d’esprit. Le paradis d’un peuple naturellement toujours prompt à prolonger les limites de son horizon.
Oui, tous ceux qui s’activent pour l’écologie en Algérie sont comparables à des vers de terre ! On les dit souvent inutiles, parfois même insectes de mauvaise augure, alors qu’il suffit de creuser juste un peu (ses méninges) pour se rendre compte à quel point leurs petites (mais récurentes) actions sont essentielles , et pour l’environnement, et pour la santé de la démocratie de ce pays malade dans son écologie tant elle est minée par les impacts néfastes d'une gestion coupable de ses impardonnables paradoxes. D'autant que certaines associations algériennes commencent, dans le domaine de l'environnement , à émerger du lot. L'amateurisme des premières heures, semble de moins en moins au rendez-vous. Ils sont les fertilisants indispensables de l'Esprit de toute une nation. Sans l'apport complémentaire d'un tel intrant dans la politique environnementale du pays, aucune graine, même la plus féconde, ne pourra germer dans le coeur du peuple algérien. Aussi puissant que voudra se croire celui qui désirera la planter...
Qu’ils en soient fiers, car, pour celles et ceux qui prennent le temps de la connaître, être pour la nature ce qu'est le ver de terre, c’est recevoir le plus beau compliment que l’on puisse faire à ceux qui l’aiment…
Si j’osais, je proposerais même le Lombric, avec un brin de malice, comme un emblème alternatif à Dounia, cette gazelle qui pourrait être aussi le symbole de toutes ces espèces qui , comme elle, font régulièrement la joie de nombreux émirs saoudiens se donnant rendez vous chaque année pour les chasser en toute impunité sur notre territoire.
Ainsi, ils foulent avec une incroyable insolence, toutes les lois algériennes votées pour protéger ces animaux sauvages. Tels des fous du (tapis) volant , des bêtes dingues de la gachette, de la cible facile, du prêt-à-tirer. Venus pour tuer, pas pour semer la vie. Comme le font au contraire, chaque jour, le plus simplement du monde, des milliards de "misérables" petits vers nus qui nourrissent la Terre alors qu'ils n'ont même pas un milligramme d'os sous la peau...