ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT EN ALGERIE (Une revue de web de plus de 4500 articles )
6 Mars 2014
Deuxième journée :
Tazemurt, l’arbre social…
Après une première journée bien chargée où j’ai pu visiter la maison de l’environnement de Bouira ainsi qu’une partie du parc naturel de Tikjda, me voici convié aujourd’hui à participer à l’inauguration de l’association environnementale « Tazemurt » qui s’est déroulé au sein de l’école primaire « Bessaouadi Arezki » du village de Takerboust.
Le rendez-vous était fixé à 9h30, le vendredi 28 février 2014. Malgré l’heure relativement matinale pour un jour de repos hebdomadaire, la plupart des convives furent présents dans le réfectoire de cette école qui a vu grandir tous les membres de cette jeune ONG.
Tazemurt, cela signifie l’olivier en Tamazigh. Tout un symbole pour la Kabylie, est-il besoin de le rappeler. Ce noble arbre est à la fois une source de nourriture, de médecine, utile pour le chauffage, autant que son bois sert à confectionner bien des outils traditionnels. C’est aussi, à son ombre, que les Kabylies aiment souvent à se retrouver ensembles, que ce soit pour se divertir, échanger, ou bien même prendre certaines décisions en commun. L’olivier est également un des maillons forts de l’écosystème local, garant à bien des égards de sa nature ainsi que de sa stabilité. L’olivier, qui se transmet de père en fils à travers les âges, est également une incarnation de la transmission intergénérationnelle si chère à ce fier peuple berbère d’Algérie.
Tous cela, nous le retrouvons dans le programme ainsi que les valeurs de l’association Tazemurt que M. Djamel Bellal a tenu à me faire connaitre. Sensibilisation, programme de reboisement d’essences rares , organisations d’évènements, gestion des déchets, amélioration des services liés à l’eau, développement de l’écotourisme dans la région, les ambitions de cette équipe très dynamique sont affichées dans un exposé assuré par Amirouche précédant une introduction de M.Bellal et d’Ouchene Samir, le président de Tazemurt.
A vrai dire, ils n’en sont pas à leurs premières armes. Déjà, avant de choisir le statut associatif, ils avaient activement participé à la rénovation de pas moins de 14 sources locales, pour le plus grand bien de ce village qui souffre d’un manque cuisant d’eau. Ici pas de nappes phréatiques, surtout des sources de montagnes et, le mont Laila Khadija, point plus culminant de la chaîne du Djurdjura est un rempart infranchissable pour les précipitations venues du nord-est, aux dires de mon hôte Djamel Bellal.
Toute la population s’était d’ailleurs mobilisée, la Tiwiza est une valeur collective encore forte pour les gens de Takerboust, à l’instar de la majeure partie des Kabyles. Il faut imaginer les conditions d’un tel ouvrage herculéen entrepris à presque mille mètres d’altitude. C’est une véritable prouesse technique et sociale qui a été accomplie ici avec la consultation des anciens, comme tiens à le préciser M. Bellal qui a contribué à une étude préalable, en la qualité de biologiste de formation.
_ Certaines personnes étrangères au village nous ont reproché de dilapider ainsi les ressources hydriques de la région, mais pour ma part, j’ai la conscience tranquille parce que j’ai eu l’accord des anciens du village qui sont les gardiens des prescriptions de nos ancêtres. Nous avons tâché à récolter seulement l’eau dont nous avons besoin ; n’oubliez pas que dans notre tradition, nous avons toujours veillé à laisser de nos oliviers la part destinée aux oiseaux.
Que penser de tout cela ? C’est un vaste débat qui devrait être engagé. Je n’ai honnêtement pas d’avis encore arrêté, ni les compétences suffisantes pour être catégorique à ce sujet. Je sais seulement que dans ma région, Guerbes, si les habitants avaient écouté ce que leur disaient leurs aînés, ils n’auraient pas tendance à transformer leur nature si florissante en un désert infertile…
De même que le réseau AEP de ce village n’est pas exempt de tous vices de formes, et donc que certains gaspillages inutiles pourraient être évités. Il est vrai, aussi, que les ancêtres de Djamel n’ont pas eu à accorder leur environnement naturel avec une population de plus de 15000 habitants…
Souvent livrés à eux même pendant de trop longues années, les habitants de Takerboust savent s’organiser, le plus simplement du monde, pour se retrousser les manches afin d’accomplir des travaux d’intérêt commun. Pour eux, la question de l’eau est une affaire de survie. Ils ont fait avec les moyens du bord et n’ont pas hésité à faire du volontariat pendant de longues semaines.
Ceux qui purent t travailler le firent gracieusement. Les autres, participèrent aux frais communs, offrirent même quelques têtes de bétail pour le repas de tous les bénévoles. C’est cela la Touiza (autre orthographe), une pratique qui persiste encore dans beaucoup de nos campagnes algériennes, particulièrement vivace en Kabylie. Autre phénomène flagrant de cette inclinaison pour l’auto gestion, il faut savoir que beaucoup des panneaux de signalisation (sens interdits, etc.) dans le village ont été installés par les villageois eux-mêmes. Dans de nombreuses ruelles, l’ensemble du voisinage participe quotidiennement à garder le passage propre.
_ Les règles du bien vivre sont ici tacites et, dans l’ensemble, tout le monde veille à les respecter. En montagne, on ne peut être isolé du reste de la communauté. On n’a pas le choix, il faut tenir compte des autres, éviter de trop les déranger. Djamel m’a souvent évoqué cette mentalité dont il semble tirer une grande fierté. Nous avons nos propres règles, nos fonctionnements locaux, mais toujours nous veillons à ce qu’elles ne soient pas en contradictions avec les lois en vigueur dans notre pays, l’Algérie.
La cérémonie suit son cours. A présent, la parole est donnée aux invités d’honneur. C’est M. Nacer Bellal , le président de l’APC de la commune d’Aghabalou, qui la prend en premier.
_ Je tiens tout d’abord à vous rappeler que je défends les valeurs de l’Agenda 21 pour le développement durable…
La suite du discours est celle, certes, d’un responsable politique soucieux de la fidélité de ses élus, et de justifier sa politique locale ; mais ses propos gardèrent cependant une dimension très humaine, bien plus que « bureaucratique ». II tiendra à affirmer son soutien à cette association. M. évoquera aussi les retards accusés par la Commune pour remédier aux problèmes des fosses sceptiques, s’en excusera auprès des élus présents. Il sera également question de la vétusté des AEP, ainsi que l’installation d’un C.E.T dans la région.
Un Centre d’Enfouissement technique prévu dans la commune d’Aghabalou
Cette dernière information annoncée fera quelque peu tâche durant toute la suite de cet événement dédié à l’écologie et le respect de l’environnement…
Dès son tour de parole, Le docteur Hocine Madaoui, expert en management, très préoccupé par les impacts négatifs de nos développements industriels « modernes » sur l’environnement, ne pourra bien entendu pas laisser passer une telle annonce sans réagir vivement.
Nous avions d’ailleurs longuement débattu avant le début de cette modeste cérémonie, en compagnie d’un jeune responsable de la radio web locale lui-même très impliqué par l’écologie dans son pays. Si nos avis ne se sont pas rejoints sur tout, nos analyses respectives des mauvais impacts du Libéralisme sur l’environnement se sont la plupart du temps accordées. J’ai pu profiter de son expertise, ainsi que de son expérience et, ses « bémols » à mes convictions furent toujours pertinents. Notre jeune interlocuteur ne fut pas aussi en reste. Nous nous sommes principalement entretenus de la pertinence ou non de créer un parti « vert » en Algérie. Il semblait pour, je suis personnellement très dubitatif à ce propos…
M. Madaoui, donc, après une éloquente exhortation du citoyen à reprendre conscience de l’importance sociale et économique du respect de l’environnement, s’adresse directement au président de l’APC pour le mettre en garde contre les risques écologiques de l’installation d’un CET dans la commune. Il rappellera que Takerboust n’a que des problèmes de déchets domestiques à surmonter puisque la région est quasi exempte d’industrie ; de plus elle ne se situe pas à la périphérie d’un hôpital (donc pas de déchets hospitaliers, très toxiques). Avec une telle infrastructure dans la région, n’est-ce pas les déchets d’autres communes que l’on risque d’importer tout près de Takerboust ? La majeure partie de l’assemblée acquiesce dans un murmure collectif…
Pour ma part, quand ce sera à mon tour de m’exprimer, je me permettrais de confirmer les inquiétudes de mon prédécesseur. Je témoigne également de ma visite d’un CET que j’avais croisé sur ma route lors d’une excursion à Ben Badis (Constantine) . C’était en compagnie de mon ami Abdelhouab Kaarali, un forestier à la retraite qui milite activement pour le respect de l’écologie dans sa wilaya. Il y a de cela trois ans, mais je reste à jamais marqué par le triste spectacle des multiples pollutions engendrées par une infrastructure très mal gérée…Presque un crime contre l’humanité, tant les léxiviats (huiles issues de la décomposition des déchets) avaient infiltré tous les pores de l’environnement périphérique, dont un cour d’eau allant se déverser dans un oued parcourant plusieurs wilaya. Un empoisonnement à grande échelle, on l’espère involontaire, mais dont les conséquences ne peuvent qu’être dommageables à des centaines de millions d’êtres vivants, hommes , femmes, animaux, insectes, végétaux , micro organismes…
Parmi les interventions à ce propos, celle de Saïd Mamri, chef de projet de la Dar Dounia de Bouira, sera plus pragmatique : en attendant de trouver des solutions plus écologiques, il faut s’appuyer sur ce type d’infrastructure pour endiguer une pollution qui ne fait que croître… Il ne remet pas en question les dangers d’une mauvaise administration d’un outil aussi technologique. Mais, il semblerait voir ces Centre d’Enfouissement Technique comme le moins nocif des pis-aller. M. Mamri parlera également d’économie verte et invitera tous les citoyens de Takerboust à profiter des services de son organisme affilié au CNFE.
Rappelons que les pays qui figurent parmi les plus performants en la matière, pratiquent une politique qui leur impose de ne jeter dans leur décharge pas plus de 10% de leurs déchets. Tout le reste est recyclé, mis en valeur par de nombreux procédés. Dans une agglomération aussi surpeuplée, il serait possible de réduire sérieusement cette part en pratiquant un compostage systématique des déchets organiques. On pourrait ainsi éviter à des tonnes de détritus de s’accumuler dans les décharges et, de plus, de perturber les régimes alimentaires ainsi que les comportements des animaux sauvages des zones naturelles environnantes.
Au Bengladesh, pays réputé pour sa grande précarité économique et infrastructurelle, d’ingénieux entrepreneurs ont d’ailleurs réussi à « industrialiser » ce compostage, mais, aussi, à le rentabiliser par une production d’engrais organique capable de répondre aux besoins des agriculteurs locaux. Ainsi, de nombreux emplois ont été crées, la part d’apports chimiques réduite dans l’agriculture de la région, les poubelles sont beaucoup moins garnies. A Takerboust, beaucoup de gens ont un régime alimentaire presque traditionnel à base essentiellement de semoule, de légumes, de plantes et bien entendu d’huile d’olive. Une telle entreprise pourrait faire de vrais miracles.
Pour ce qui est du traitement des eaux usées et des fosses sceptiques, la création d’étangs artificiels pour filtration de l’eau, des toilettes sèches ne seraient pas de trop quand la topographie le permettra dans cette zone montagneuse.
La démocratie au quotidien
La plupart des autres invités qui prirent la parole (voir album), eurent des discours cohérents et sincères. Tous ont exhorté l’ensemble de la communauté à se mobiliser toujours plus pour améliorer leur quotidien tout en veillant au respect de leur environnement. L’assemblée fut assez réceptive à leur message. Il y avait d’ailleurs une ambiance très familiale dans ce modeste réfectoire de cette école primaire. Toutes les générations étaient présentes.
Mais, il faudra déplorer, pour ma part, la seule présence d’une femme fut présente, qui plus était étrangère à Takerboust. J’aurais aimé avoir l’avis des femmes de ce village à propos de tout ce qui a été évoqué. Je suis convaincu qu’elles ont beaucoup de choses intelligentes à proposer dans ce domaine s. D’autant qu’elles sont les gardiennes les plus jalouses et fidèle de la tradition amazigh totalement imprégnée par la nature d’une région à la fois géographique et culturelle.
Puis, après que chacun ait pu s’exprimer, Djamel, le coordinateur de cette inauguration nous proposera d’assister à un spectacle assuré par une troupe locale de jeunes acteurs. Pas besoin de comprendre le Tamazigh pour avoir été fort amusé par le jeu de ces jeunes talents. Mon voisin me traduisait les lignes essentielles de ce « sketch » où les Algériens apparaissent comme complètement en retard sur leur époque parce qu’incultes en matière d’éco civisme. Le message des jeunes était clair : pas de palabres philosophiques, il faut convaincre le citoyen lambda qu’il n’est plus possible d’être aussi peu concerné par la propreté publique ; que la nouvelle modernité, de nos jours, c’est aussi le respect de son environnement…
La petite cérémonie s’achève dans la bonne humeur, autour d’une collation. Je propose une photo de groupe pour immortaliser cet instant. Une fois de plus, j’ai été très impressionné par la teneur des débats engagés lors de cette manifestation en zone rurale. Déjà à Naciria, à Tizi Ouzou ou bien encore à Ait Smaïl, j’avais remarqué cette maturité politique au sein de la population Kabyle. Même quand les esprits s’échauffent, que les voix se font un peu plus tonnantes, l’ambiance demeure souvent bonne enfant, voire familiale ; c’est cela la démocratie à la Kabyle…
Imaginez, le président de l’APC de Aghabalou est aussi un cousin de M. Bellal, cela ne l’empêchera pas de s’opposer ardemment à l’installation d’un CET dans la commune et à lui proposer, quant à la gestion des déchets, d’autres alternatives plus écologiques qui seront plus en adéquation avec le contexte géographique de Takerboust et ses environs.
M. Nacer Bellal avait l’air très intrigué par ce qui avait été dit à propos des CET, comme si il n’était pas au courant de tous les risques écologiques que sa commune allait encourir dès la mise en place de cette infrastructure chez lui. Il vint me rappeler, lors du pot de clôture, qu’il n’avait pas beaucoup d’autres alternatives que d’appliquer le programme national concernant la gestion des déchets. Je lui ai demandé de mieux s’informer et surtout de rester vigilant quant au respect de toutes les normes environnementales de ce projet.
Après un bon repas toujours aussi typiquement Kabyle à la table du chaleureux M. Bellal, nous avons rendez-vous avec le reste des membres de l’association Tazemurt pour une autre excursion dans le parc naturel de Tikjda…
A suivre…
Parc National de Tikjda-« Entre mobilisation civile et drame écologique » (1/3) Par Karim Tedjani
Parc National de Tikjda-« Entre mobilisation civile et drame écologique » (3/3) Par Karim Tedjani