6 Avril 2012
Bon an, mal an, avec sa moyenne de 8 000 hectares plantés annuellement, Mostaganem jouit de l’avantage de la précocité quant à la mise sur le marché de sa production. Un atout sur lequel les pouvoirs publics comptent énormément pour désamorcer la crise de “Dame’’ pomme de terre, de temps à autre, érigée en affaire d’État.
Parole de fellah rompu à la culture de cette spéculation agricole devenue hautement stratégique : la pomme de terre ne descendra pas en deçà des 40-45 DA/kg ! Faites un détour par la localité de Bouguirat et vous réaliserez pourquoi ce protagoniste dans la filière reste indubitable quant à ce qu’il avance, voire certifie !
Vous y constaterez de visu, la sinistre spéculation dont fait l’objet ce produit agricole de large consommation. L’État sensé et censé mettre le holà aux dépassements et à l’anarchie sur la voie publique, brille par son absence. Du coup, c’est une horde d’intermédiaires et d’énergumènes de tous acabits, qui depuis quelques jours, a réinvesti rues et ruelles de l’agglomération, pour vendre à d’autres intermédiaires des sacs de pomme de terre.
Les premiers sont des ouvriers journaliers qui louent leurs “bras” aux “patatiers” pour l’arrachage de la pomme de terre, et qui, au retour des champs, reviennent avec des sacs de 5 à 20 kilos de tubercules, glanés ou souvent maraudés. Des rémunérations journalières de l’ordre de 1 200 DA voire 1 500 DA lors des journées pluvieuses, en sus du sac de pomme de terre dérobée ou glanée à l’issue du travail à la tâche, qu’on vendra aux marchands de fruits et légumes du coin, ne sont pas monnaie courante à longueur d’année. L’aubaine est éphémère, aussi faut-il en profiter, et pleinement. Pour une meilleure position de force, voire de diktat, lors de la négociation matinale de la journée du travail avec le fellah, on s’organise en groupes et groupuscules d’ouvriers. La convention est claire. Généralement, on consent pour le quota de 30 caisses que chaque paire d’ouvriers doit récolter, ramasser et charger sur le camion de l’acheteur. Le travail est à la tâche et si le rendement est bon, la journée de travail ne se prolonge guère au-delà des 9 heures du matin.
Une promptitude dans l’exécution qui permet la large latitude de doubler sa rémunération journalière, car il arrive qu’à la demande de l’acheteur, les ouvriers soient sollicités pour doubler la cadence du travail afin de charger les camions qui se présentent. Durant le travail, le “patatier” a grandement intérêt à superviser son chantier. La ruse de “blesser” sciemment le meilleur tubercule qui sera, de facto, déprécié et refusé par l’acheteur, le fait de n’arracher qu’en partie les tubercules sous terre, sinon dissimuler en certains endroits, sous une brassée d’herbes, le contenu d’une caisse entière, sont autant de subterfuges notoires pour retrouver de quoi remplir au plus vite et aussitôt l’acheteur libéré, son sac de patate qu’on ira vendre au bourg, au même prix que celui pratiqué par le fellah !
Au retour des champs, chaque ouvrier colporte un sac, lourd de 5 à 30 kilos de tubercules, glanés ou souvent maraudés, et destinés à la vente. Curieux paradoxe, le journalier employé s’obstine à céder le produit dérobé au même cours que celui offert au “patatier” qui pourtant, durant plus d’un trimestre, a engagé fonds et labeur, en confrontant risques et périls de la gelée ou du mildiou ! Davantage moins peinard que l’un ou l’autre, un autre intermédiaire se propose au ratissage de ce que les ouvriers ramènent, pour l’offrir au consommateur à 70 DA/kg, soit de 5 à 10 DA, net d’impôt et souvent sans avoir ni soulevé, ni transbordé, ni déplacé le moindre sac !
“Comment voulez-vous que le pauvre puisse acheter la pomme de terre moins chère avec cette foule d’intermédiaires auxquels personne ne reproche cette anarchique pratique commerciale !?”, s’insurge Mustapha, un riverain agacé par les dizaines de journaliers ayant investi le trottoir devant son commerce ! “En ce bled, quiconque peut s’improviser commerçant pour exposer impunément sa ‘’marchandise’’, à la vente, sur la voie publique !”, ajoutera-t-il, colérique !
Précipité par les cours record atteints et dépassés cette saison, l’arrachage de la pomme de terre a débuté durant la dernière décade du mois passé à Mostaganem. Il s’agit d’une récolte anticipée par la menace du désastre cryptogamique, mais surtout par le cours certainement alléchant avoisinant les 70 DA/kg au prix de gros, offert au niveau de la parcelle. Un cours fort intéressant pour se débarrasser de sa production sans attendre la maturité complète. L’espoir presque perdu au lendemain de la vague de froid et de gelée ayant frappé la région au mois de février, semble avoir été ressuscité à la faveur du climat favorable sévissant depuis.
Malgré les dégâts subis, les plantations de pomme de terre ont repris. Cependant, le spectre d’une attaque de mildiou demeure latent. Et pour en échapper, l’agriculture à haute teneur en empirisme offre une alternative : précipiter l’arrachage. Sur le marché du détail, “Dame” pomme de terre n’ose pas descendre en deçà des 70 DA/kg. Une aubaine pour les omniprésents spéculateurs. Tant que le prix y est, la qualité et le rendement relèvent du souci secondaire. Provenant des parcelles les plus précoces, c’est une pomme de terre peleuse, presque à l’état d’albumen, qui est mise depuis quelques jours sur le marché à Mostaganem.
Les patatiers sont soumis à un intense et véritable harcèlement de la part des courtiers et des acheteurs. Depuis quelque 3 semaines, la récolte des tubercules a commencé à travers le bassin maraîcher mostaganémois. Immature ou presque, le tubercule pelant au moindre toucher, parfois “sali” de terre, la “nouvelle” pomme de terre est facilement reconnaissable sur les étals des marchands. Proposées aux environs des 65-70 DA, tout venant, au niveau de la parcelle et au marché de gros, les premières livraisons de la patate de saison “peinent’’ à désamorcer la folie des prix qui s’est emparée, depuis janvier dernier, de ce produit agricole de large consommation.
En l’absence de réels professionnels dans la filière, le marché de la pomme de terre demeure livré aux spéculateurs de tous bords. Ce sont ces spéculateurs qui décideront des quantités à mettre sur le marché. Le consommateur ne pouvant s’en abstenir achètera à tout-va. Les services agricoles sont formels, ce n’est pas un problème de production puisque la pomme de terre est disponible sur le marché. Les responsables du commerce sont incapables de mettre un frein à l’anarchie. Les mandataires, officiels ou non, jonglent avec les prix et s’en lavent les mains. Le producteur se lamente des charges excessives à endosser pour mener à terme l’itinéraire technique requis, se plaint du déficit pluviométrique et déplore le coût de la main-d’œuvre de plus en plus rare, et estimera toujours dérisoires les cours auxquels sa production est cédée aux intermédiaires. Aïn Defla n’a pas encore pris le relais de la récolte. Les prix ne fléchiront vraisemblablement pas de sitôt et les grimaces du consommateur devant l’étal des fruits et légumes ne s’estomperont probablement pas demain !
M. O. T.