ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT EN ALGERIE (Une revue de web de plus de 4500 articles )
3 Février 2014
Deuxième partie: La nature algérienne oubliée...
L’histoire de l’île de Néru, dans le pacifique australien, est une parfaite illustration de cette nouvelle vitesse vertigineuse à laquelle nous sommes en train de nous éloigner dangereusement de nos essentiels, même en Algérie.
Après avoir découvert que cette dernière regorgeait du plus grand gisement de phosphate au monde, si essentiel à la fabrication d’engrais chimiques, cette minuscule colonie australienne acquiert son indépendance et, fort de ses 2000 indigènes, devient la nation indépendante la plus riche du monde dans les années 80. En effet, le PIB par habitant dans un si petit pays aussi fortuné est mirobolant. De nouveaux venus affluent attirés par le gain facile que représente une telle manne rentière. On passe de 2000 habitants à près de 20 000 résidants. Une culture industrielle s’installe, l’argent afflue, les projets les plus pharaoniques et improductifs sont développés par des élites initiées à la corruption d’Etat . Les locaux découvrent très vite aussi les joies du gaspillage et de la mal bouffe. La vampirisation du pays par des firmes étrangères devient presque institutionnelle. En l’espace de deux générations, c’est le désastre écologique et la ruine d’un peuple. Après un boom fulgurant de la population, vers les années deux mille, la nation Néru a atteint le seuil critique avant extinction des mille cinq cent habitants. Jadis si réputés pour leur grande vitalité et force, ce petit peuple se meurt à présent du cancer, tous les habitants sont devenus diabétiques, fainéants et incapables de concevoir leur avenir autrement que par la rente…
La vitesse à laquelle se dégrade l’environnement algérien est encore plus inquiétante que l’actuelle proportion que la pollution prend dans ce pays. C’est une crise de fond et de forme.
Je me souviens, aussi, de ce trajet en bus passé en la compagnie d’un très vieux « pépé » dont seule la Tawra algérienne a le secret de fabrication. Un gentil vieillard qui tenait à peine sur ses jambes et qui avait par contre encore gardé toute la fraicheur de l’esprit. Il rayonnait d’un sourire qui restait angélique même quand il se mit, au bout de quelques politesses échangées, à me parler de la fin de la colonisation.
Sans colère, ni flagornerie, il me fit un bref panorama de son époque, en me décrivant pourtant des scènes parfois outrageusement atroces. Il me raconta aussi que, les paysages que je pouvais apprécier de la fenêtre du bus, étaient assez récents.
_ « Avant, tu sais, il y avait des immenses forêts denses à la place de cette autoroute. Jadis, bien avant moi, même, on racontait qu’elles étaient le territoire de lions et de panthères. Mais, déjà, les Français n’aimaient savoir que l’on pouvait s’y cacher malgré tout et échapper ainsi à leur vigilance ! ».
Des Lions ? Pas de problème pour eux, il y avait, parait-il, des hommes comme mon ancêtre maternel, Sidi Mansour Boulazaz, capables même de les chevaucher paisiblement par la seule puissance de leur Amour et de leur Foi. Tout est allé si vite en Algérie, entre moi, le fils d’immigré, et ce charmant bonhomme dont les chemins se séparaient à Berahal. Non sans me donner ses bénédictions et déplorer la vitesse à laquelle on avait continué, depuis l’indépendance, à laisser détruire les arbres en Algérie.
_ « Ces soit disant maquisards nous ont certes donné beaucoup plus que ce que les Français ont bien voulu nous céder de nos propres richesses, hamdoulillah… Mais s’ils avaient vraiment connu « el harb » (la guerre) , ils n’auraient jamais oublié que c’est grâce à ces forêts que l’on a pu survivre et échapper à ces Gewris qui ont tenté de nous exterminer… Votre époque a changée, certes, mais quand je vois ce que vous faites à nos forêts, je me dis que, l’esprit des hommes qui ont fabriquée la mienne n’a pas cessé d’être, lui! »
Les Algériens du temps de Nouara et de ce vieil homme n’étaient déjà plus seulement des « sauvages » modernes, des indigènes certes analphabètes pour la plupart qui subissaient la modernité française plus qu’ils n’en profitaient. Leur génération n’en demeurait pas moins à la lisière entre la postmodernité et une tradition millénaire ; plus d’ailleurs qu’inscrits dans la modernité qui leur était contemporaine ailleurs, comme en Europe.
L’Algérie, laboratoire de la France ? Des Ottomans aussi, et surtout. Déportés de toutes parts à travers leur propre territoire depuis « belles » lurettes, sans cesse déculturés, traumatisés de leur chair jusque dans leurs environnements, parfois même enfumés massivement dans des grottes comme me le confirma mon voisin de bus. Beaucoup de ces femmes et ces hommes ont dû adapter leur culture locale à de nouveaux espaces naturels où on les avait le plus souvent parqués de force. Ainsi, leur esprit même a été « colonisé », j’entends par là qu’ils ont adoptés des modes de vie et de penser de colons sur leur propre terre. Il faut bien plus de trois générations pour faire d’un colon un indigène, cela est autant valable à l’échelle locale que globale…
Un colon, c’est quelqu’un qui part à la conquête d’un environnement qui ne lui est pas naturel, et comme tout conquérant, il se doit de l’étudier avec soin ; en ce sens, seulement, c’est un « écologue » par nécessité. Il doit apprendre, vite et bien, à tenter de cerner et de maîtriser « son » nouvel environnement. Mais ce n’est pas pour autant un écologiste convaincu, il ne sympathise avec la Nature que lorsqu’elle peut lui apporter puissance et profits.
L’Homme postmoderne que j’évoque avec ce terme emprunté, est un néo colon, il doit se créer une nouvelle culture qui le liera définitivement à cette terre dont il s’est fait le nouveau maître. Ce n’est pas pour rien que Franklin Roosevelt considérait Hollywood comme une arme de domination massive plus redoutable et durable que la bombe atomique, même. C’est à ce titre que se sont crées des formes tout à fait inédites de cultures fragmentées qui, comme pourrait l’écrire si bien le politologue algérien Mohamed Achemaoui, ressemblent beaucoup à une tradition fabriquée de toute pièce.
Voilà en quoi ils étaient déjà en voie de postmodernité, nos grands et arrière grands- parents, ils ont été déconnectés de leur nature originelle avec une extrême violence, aussi dure et cruelle que celle subie par les chinois sous l’ère de Mao…
Leurs bourreaux se sont appliqué à réinventer leur histoire, jusqu’à même leur patronymes, parfois même leur inventer des saints patrons. Malgré cela, une certaine culture a persisté en eux, ils en seront d’ailleurs les derniers gardiens si nous ne prenons pas la relève. Non qu’il faille idéaliser cette tradition, en ce qui concerne la condition de la Femme, il y aurait beaucoup à redire de nos jours. Cette tradition écologique naturelle algérienne doit beaucoup au talent et à l’imagination des algériennes d’antan et parfois elle furent reines ou heroïnes de la lutte anti coloniale . Il est important de nous retrouver pour fonder les bases de notre « écologie » algérienne d’après l’Histoire (au sens début d’une nouvelle ère mondiale).
Les erreurs au même titre que les succès du passé forgent les réussites de demain. C’est une Lapalissade qu’il n’est cependant pas inutile de rappeler : la « troisième guerre d’Algérie », comme l’a mainte foi appelée l’historien algérien Lounes Aggoune, la décennie noire, aura fini de donner à ce pays la mémoire courte, ou plus précisément, ancrera dans la mémoire collective que seul le court terme paie de nos jours.
Or, en écologie, il n’y a pas de court terme qui tienne longtemps la route. Dans un laboratoire, seuls la vie des cobayes est à l’échelle des printemps. Un vieux proverbe oriental dit que celui qui plante un arbre sème un pays, celui qui plante une forêt donnera naissance à une civilisation.
Lire la première partie: "Tout ce qui nous entoure et nous influence..."
Lire la troisième partie: "Le syndrome de Guerbes"