Il était une fois un canal d’irrigation. Ayant été pendant plusieurs décennies irriguée grâce au canal d’irrigation réalisé par la France coloniale au profit de ses colons installés dans la région de M’chedallah jusqu’à Tazmalt, la vaste vallée du Sahel a perdu de son éden à cause du tarissement de ce canal dû en partie à la sécheresse ayant sévi dans les années 1980 ainsi qu’au laxisme des responsables de l’époque. Résultat : la vallée qui nourrissait des dizaines de milliers de familles avec des cultures maraîchères mais aussi de l’arboriculture et spécialement l’oléiculture qui a gagné ses lettres de noblesse même dans les foires internationales est devenue un désert désolant et affreux où, à la place de cette verdure qui la caractérisait, sont venues s’installer durablement aridité et disette. Il faut dire que ce canal d’irrigation qui a été réalisé par la France coloniale au début des années 1930 est entouré de toute une histoire. Réalisé sur un tracé de 24 km depuis le barrage hydro-électrique d’Illiten situé sur les hauteurs au pied du Djurdjura, le canal d’irrigation passait par des centaines de terres privées des Algériens mais sans qu’aucune de ces familles ait le droit de puiser de ces eaux quand bien même celles-ci étaient superficielles. Ainsi, pendant des années, les Kabyles voyaient couler devant leur yeux de l’eau, passant par leurs propres terres mais sans que personne puisse toucher à ce canal surveillé jalousement par des gardes champêtres français. Pour la petite histoire, et d’après des témoignages recueillis des anciens, même les Kabyles qui osaient puiser de ces eaux à l’aide de jerrycans et autres récipients de fortune pour arroser un jeune arbre ou une toute petite parcelle de coriandre sont pénalisés et leurs cultures immédiatement détruites. Cette injustice a duré plusieurs années, plus de deux décennies avant que la djemââ des M’chédali ne constitue un avocat au début des années 1950 pour réclamer un quota d’eau de ce canal qui traverse leurs terres. Au bout de plusieurs années de combat judiciaire, les Kabyles ont eu gain de cause et la France coloniale a consenti à ces «indigènes» un tout petit volume qu’ils doivent se partager avec rationalité avec un tuyau appelé tuyau du Syndicat, allusion à l’association des agriculteurs qui a eu gain de cause auprès de la justice. Cependant, malgré cette petite ration, les Kabyles ont pu créer des jardins d’où l’on pouvait récolter toutes sortes de légumes ainsi que des vergers de toutes sortes d’arbres fruitiers mais aussi et surtout de l’olive, avant d’en profiter pleinement, ou abusivement, c’est selon, après l’indépendance. C’est dire que lorsqu’au début des années 1980 le canal d’irrigation est tari, c’était la fin de tout un faste qui aura duré quelques décennies seulement. Un canal souterrain ou du gâchis au goût du PAP Quelques années plus tard, et suite à l’assèchement de ce canal, l’Algérie de Chadli Bendjedid a entrepris un autre projet aussi fantaisiste que le PAP (Programme anti-pénurie). Un autre canal d’irrigation à partir de la même station mais avec une conduite souterraine et un autre tracé qui passait exclusivement sur les terres étatiques devenues plus tard des EAC ou exploitations agricoles collectives a été engagé. Achevé vers le milieu des années 1980, ce projet s’avérera plus tard un véritable fiasco tant il n’a pu survivre que quelques années et avec un résultat des plus décevants. En clair, l’argent investi dans ce projet — on parlait à l’époque de plusieurs milliards de dinars — fut un véritable gâchis. Aussi, après une brève lueur d’espoir, la vallée sombrera à nouveau dans sa léthargie et son désespoir. Depuis, l’organisation des agriculteurs ne cessait de réclamer la réhabilitation de l’ancien canal d’irrigation. Des études furent à plusieurs reprises engagées mais, à chaque fois, la réalisation est remise aux calendes grecques. Jusqu’au début des années 2000 où le problème d’eau s'est fait sentir et le drainage des eaux depuis l’ancienne station fut totalement abandonné. 9 milliards de dinars pour que la vallée retrouve son éden Cependant, après la réalisation du barrage Tilesdit dans la daïra de Bechloul, la région de M’chedallah avec sa vaste plaine fertile du Sahel de 1 600 hectares reprend de l’espoir. L’idée du drainage des eaux d’irrigation à partir de ce barrage a refait surface. Surtout quand on sait que dans l’étude de réalisation de ce barrage, il y était clairement indiqué qu’outre le transfert des eaux pour l’AEP de plusieurs communes, l’irrigation du plateau d’El-Esnam et de la vallée du Sahel à partir de ce barrage dont la capacité est de 167 millions de mètres cubes y était prévue. Ce mercredi, lors du lancement de la campagne d’arrachage de la pomme de terre de saison au niveau du plateau d’El-Esnam, le directeur de l’hydraulique en présence du wali a déclaré que les études d’exécution de ce projet d’irrigation de la vallée du Sahel, outre celle de l’installation du réseau d’irrigation du plateau d’El-Esnam, ont été lancées et qu’une enveloppe de 9 milliards de dinars est dégagée pour leur réalisation. «Une réalisation qui ne saurait dépasser l’année 2011 », annoncera-t-il en substance. D’après le DHW, ce projet est d’autant plus réalisable que le volume des eaux au niveau de ce barrage est stable depuis plusieurs années, avec 165 millions de mètres cubes d’eau. En outre et pour parer à toute mauvaise surprise de sécheresse ou autre insuffisance, dans l’enveloppe allouée, il y est prévu également la dérivation vers ce barrage de deux oueds, celui de Barbar au nord et Zaïane au sud. Deux apports qui ne peuvent que garantir une plus grande stabilité à ce barrage. Aussi, et toujours au sujet de ce drainage, le DHW qui dira que cette réalisation est du ressort de l’Onid (l’Office national de l’irrigation et des drainages) rappellera que le projet permettra à la surface irriguée qui est actuellement de 4 000 hectares dont 2 400 à El-Esnam et 1 600 dans la vallée du Sahel de doubler pour atteindre quelque 8 000 hectares. Pour un tracé qui tienne compte de l’écosystème Cependant, même si nous ne savons pas encore quel tracé a été adopté par les études, beaucoup d’observateurs estiment que le meilleur tracé serait celui qui coiffera toute la vallée mais en poussant vers le nord afin de toucher, sinon toute, du moins le maximum de terres agricoles. Ainsi, ce canal superficiel qui passera près des forêts permettra aux animaux sauvages d’être proches d’une source intarissable qui leur évitera les descentes désagréables vers l’oued, descentes souvent fort coûteuses surtout pour les animaux rares, en voie de disparition ou appartenant aux espèces protégées telles que l’hyène rayée, ou encore le chacal, la genette, ainsi que des centaines d’autres espèces d’oiseaux vivant dans le parc du Djurdjura et les forêts voisines. Signalons au passage qu’au moment où le DHW annonçait cette bonne nouvelle, des agriculteurs de cette même vallée se battent pour sauver leurs terres du nouveau tracé du rail Thénia- Bordj-Bou-Arréridj qui devra les traverser sur une quarantaine de kilomètres et une largeur de 25 à 60 m. Y. Y. |