8 Novembre 2011
"Coupes illicites dans la forêt de cèdres d'Atlas de Takkuct"
Photo: Karim Tedjani (Tous droits réservés 2011).
L’association « A.S.E.T », mon hôte à Aït Smail, m’a organisé pour cette deuxième journée, une randonnée à travers la forêt du Djebel Takoucht (autre orthographe) afin de dénoncer les coupes illicites qui s’y produisent régulièrement au vu et au nez de tous. Le discours des gardes forestiers, à propos de cette pratique, est que c’est une coutume ancestrale qui n’a pas de grande incidence sur l’écosystème de ce site naturel. Le nombre d’arbres abattus ne représente, en effet, qu’un faible pourcentage de la population de cèdres de cette vaste forêt.
Mes amis de l’A.S.E.T, répondent à cela que certes, si d’un point de vue quantitatif, ces coupes ne sont pas conséquentes, au regard de la qualité des spécimens qui sont souvent pris pour cible, les choses ne paraissent pas aussi évidentes à accepter. En effet, et je peux en témoigner personnellement, les « individus » ciblés, sont des arbres qui sont souvent plusieurs fois centenaires. C’est une perte, pour le patrimoine forestier algérien, irrémédiable et fort préjudiciable quand on sait l’état de grande fragilité où se trouve ce dernier actuellement. (Voir Album photo).
A Tizi Ouzou, un professeur d’histoire, Mr Omar Kerdja, que je salue au passage, m’avait exposé les nombreuses convoitises dont les forêts du Tell ont été victimes à travers les siècles. Au quinzième, notamment, les Ottomans exploitaient ces dernières afin de satisfaire la grande demande en vaisseaux de leur marine alors très redoutée sur la mer méditerranéenne. Et puis, il y eut les nombreux incendies criminels lors de la guerre de colonisation française. Que se soit face à l’illustre Emir Abdelkader, aux vaillantes forces de résistances des « hommes libres », ou aux armées du Dey de Constantine, et plus tard, aux courageux acteurs de l’indépendance de ce pays, l’armée française pratiqua systématiquement la politique de la terre brûlée. Devant la grande difficulté imposée aux soldats de l’empire colonial par la guérilla algérienne, dont l’Emir a été l’inventeur cité même bien plus tard par le Che Gevara, ce procédé s’avéra d’une grande efficacité. Au point, que c’est, il me semble, une tactique encore fort usitée dans ce pays pour régler certains problème sécuritaires...
La forêt de Takkuct abrite une espèce d’une grande résistance ainsi que d’une longévité impressionnante. Le cèdre d’Atlas est une essence très prisée d’autant que cet arbre est rare. Très résistant au feu, à la sécheresse ainsi qu' à la pollution. Si on laisse le laisse se développer naturellement, sa longévité peut même atteindre les 500 ans.
Le cèdre est précieux et prisé dans bien des domaines.
Son bois est très adapté pour de nombreux métiers artisanaux (charpente, ébénisterie, marqueterie). On l’utilise pour la sculpture et la fabrication de meubles dans lesquels les vêtements sont naturellement à l’abri des mites. Car l’essence de cèdre est aussi un remède très efficace pour éloigner les parasites, et pas seulement les insectes. Le « Goutran » ou goudron végétal éloigne les aussi les reptiles et les scorpions des zones habitées. A cause de ses grandes vertus antiseptiques, on enduit de cette huile le fond des récipients destinés à la consommation de l’eau. Cet ajout donne, d’ailleurs un goût très agréable à ce liquide si précieux pour la vie. C’est une pratique que j’ai pu observer dans beaucoup de région du Tell et aux portes du Sahara. A Oued Souf, par exemple, beaucoup de gens ne boivent chez eux que dans ce genre de récipient.
C’est dire les convoitises que peuvent attiser ce cèdre si particulier qui aime pousser dès 900 m d’altitude et peut évoluer jusqu’à 2500m comme dans la chaîne du Rif au Maroc. En Europe, selon certains, il existe même un trafic autour du commerce de cette essence rare.
En Algérie, la coupe de cet arbre est réglementée par la loi et les conserveries forestières algériennes sont les principales garantes et gestionnaires de cette exploitation. Cependant, depuis des générations, les habitants des villages limitrophes aux forêts de ce territoire, pratiquent des coupes illicites et cela sans aucuns contrôles ou régulations effectifs. En Kabylie, les bois de chêne Afares, par exemple, sont régulièrement pillés pour les besoins de la construction privée et le chauffage d’agglomérations qui, cela dit en passant, ne disposent pas du « gaz de ville ». Dans des petits hameaux au pied du djebel takkuct, des hommes arrondissent leurs fins de mois souvent difficiles avec ce genre de commerce illégal.
Sont-ils à blâmer ? S’ils ne s’attaquaient pas aux spécimens les plus beaux et anciens , ces coupes traditionnelles pourraient être tolérées. On pourrait à la rigueur concevoir une coopération entre les autorités et ces derniers, afin de se mettre au diapason du cahier des charges d’une régénération pérenne de la forêt. Des concessions pourraient être accordées en échange d’un respect rigoureux des lois en vigueur à ces hommes qui ont besoin de gagner leur vie et envie de perpétuer leurs traditions. Le Goutran est un produit utile, un pesticide ainsi qu’un aseptisant naturel, en arrêter la production serait aussi attenter à la nature algérienne, au sens cette fois-ci abstrait. Le Professeur Messaouden, directeur de l’Institut National d’Etudes Forestières d’Azzagah (Tizi Ouzou), m’a convaincu que ce dialogue entre les conserveries forestières et les autochtones, ainsi que de réels efforts pour améliorer le quotidien de ces populations, sont des actions à privilégier afin de rendre la préservation des forêts algériennes plus efficiente. Il me signale notamment qu’on constate une très nette diminution de ces coupes dans les zones où le gaz de ville a été installé. Les besoins en bois de chauffage de ces agglomérations ne sont plus assez rentables pour qu’un tel commerce persiste. La forêt de Takoucht n’est malheureusement pas la seule victime de ce commerce parallèle. En Kabylie, celle de l’Akfadou est touchée, et bien d’autres forêts en Algérie.
Lors de cette fabuleuse randonnée en compagnie de Yacine, de Karim ainsi que Laïd, j’ai vécu un grand moment de Nature à l’état pure. Ces arbres m’ont parus des seigneurs si majestueux et tellement humbles à la fois. Tout dans leur ligne est raffinement ainsi que révérence hospitalière .Les Djebels de la Chaîne montagneuse des Babors ajoutent à ce spectacle bucolique une touche de grandeur et d’exotisme. On ne sait plus vraiment dans quel coin du monde on se trouve tant le décor qui vous entoure est varié. C’est une autre Kabylie, aussi belle que sa cousine dont les verts paysages printaniers m’ont rappelé un lointain voyage en Suisse. Bejaïa en été, ressemble à une Corse « nord africanisée ». Cette île de beauté, compte d’ailleurs beaucoup de spécimens de sa flore sont issus de la biodiversité de l’Algérie colonisée .
Mais c’est aussi, et malheureusement, un sinistre spectacle qui m’attend au moment où nous nous retrouvons subitement parmi des « cadavres » amputés ou calcinés d’arbres, qu’on imagine jadis si imposants. Même les panoramas somptueux qui s’offrent à mes yeux au détour d’un chemin accidenté, même la beauté noble et sauvage des lieux, rien n’arrive à apaiser mon malaise. Je sors un appareil vidéo et propose à Mr Kerrache, le président de l’A.S.E.T, de faire un appel sur le Net afin de sensibiliser les internautes sur cette atteinte désastreuse à l’équilibre naturel de tout un pays. L’homme est pausé, mais néanmoins déterminé et son message clair. (À visionner bientôt sur Nouara).
Durant toute la matinée, nous prenons des clichés afin de témoigner de ces crimes contre la Nature Algérienne, tout en parlant de l’avenir avec espoir. Karim Abdoune, Yacine Fengal et Laid Kerrache, me parlent d’un projet de base de loisir qui leur tient à cœur. Ils ont déjà déterminé l’emplacement qu’il me montre fièrement. L’endroit est somptueux…
Ils m’expliquent qu’ils ne sont pas une association de scientifiques, ni d’écologistes, mais plutôt des hommes de terrain qui se proposent d’assister ces derniers dans leur travaux afin de protéger la forêt de leur région. Ce sont de véritables vigies bénévoles qui arpentent les sentiers de cette forêt du djebel Takoucht et veillent au maintien de son intégrité. C’est une action civique et complémentaire à celle des gardes forestiers, en Algérie, selon les dires de mon ami Abdelhouab Karaali, retraité de la conserverie de Constantine. Pour lui, l’évolution de sa profession a tendance à les éloigner de plus en plus du terrain au profit d’une approche plus administrative et bureaucratique de la gestion sylvicole.
Une fois de plus, l’influence néfaste de la décennie noire sur la société algérienne semble avoir lourdement frappé. Pendant cette guerre fratricide, les gardes forestiers ont du sérieusement limiter leurs visites sur le terrain pour des raisons plus qu’évidentes de sécurité. Il semble depuis, que le spectre de la présence de groupes armés dans les forêts du Tell Atlassien, n’ai jamais vraiment disparu dans l’esprit de ce corps de métier qui a subit de graves pertes lors de cette triste période. Ce sont des gens comme les membres de l’A.S.E.T qui peuvent leur redonner goût à être plus présents sur place et non plus dans leurs bureaux. Les « forestiers » en Algérie, sont des gens passionnés et volontaires qui ne sont pas toujours assez bien équipés. Souvent, ils opèrent en effectifs insuffisants pour être vraiment efficaces. Ils connaissent leur métier et ne sont pas à blâmer, mais plutôt à soutenir dans leur noble entreprise. L’A.S.E.T fait partie de ces associations qui montrent l’exemple et invitent toute la société civile locale à s’investir dans la préservation de cette forêt, mais aussi de toute la nature de Bejaïa, au sens propre et figuré. Même si leurs moyens ne sont pas conséquents, leur passion est une richesse pour leur région. Chaque petite action, quand elles sont réunies au service d’une grande cause, a son utilité propre pour la communauté.
J’aimerais conclure ce modeste Web reportage en rendant un hommage sincère et reconnaissant à tous ceux et celles qui luttent avec leur bonne volonté et leur foi en la vie, contre les menaces écologiques qui menacent un des plus beau et varié écosystème de la Méditerranée et de l’Afrique « septentrionale », la Nature Algérienne.
Karim, Yacine, et Laid, ainsi que bien d’autres en font partie. Leurs actions sont les petites étincelles grâce auxquelles les prochaines grandes mesures seront prises. Ce sont des citoyens responsables et impliqués comme eux, qui, à travers tous le pays, s’investissent dans la préservation de leur environnement, qu’il soit géographique ou culturel. Pour moi, qui suis fils d’immigré, né en France, ces algériens et ses algériennes alimentent largement les espoirs que je porte sur mon pays d’origine. Chaque fois que je rencontre des membres de ces associations écologiques, comme l’A.S.E.T, je prends conscience de la grande force de solidarité qui persiste encore en Algérie. Cette force est mal encadrée, pour l’instant, mais les jeunes générations prennent déjà le chemin du changement en ce qui concerne l’action associative. J’ai eu mainte fois l’occasion de le constater sur le groupe de discussions qui se forment sur le Net autour de l’écologie. Il n’y a heureusement pas que des gens matérialistes dans cette Algérie qui veut se moderniser sans produire. Il n’y a heureusement pas que des corrompus dans ce pays et de nombreux responsables locaux apportent leur soutien à cet élan écologique. Les médias algériens semblent avoir pris le pli et bientôt, la société algérienne aura franchi un cap en matière d’écologie. C'est le souhait que nous sommes beaucoup à faire pour ce pays...
Alors, il faudra se souvenir de tous ces gens qui, comme les membres de l’A.S.E.T, ont cru en cet avenir avant tout le monde.
Moi, en tous les cas, ce voyage à Aït Smaïl, les amis que je m’y suis fait, je ne pourrais jamais oublier toute cette magie ...Inchallah, je reviendrais...
Photo: "L'Arme du crime" par Karim Tedjani (Tous droits réservés 2011).
Annexe:
Voici un Album photos de la matinée que nous avons passé à Takoucht
La forêt de Takkuct à Béjaïa: coupes illicites
Pour ceux et celles qui veulent en savoir plus sur cette forêt, voici un document qui m’a été fourni par l’A.S.E.T : Cliquez ici
Pour lire un article sur le Cédre d'Atlas, cliquez ici
Prochaine et dernière partie : Les glissements de terrains, un fléau périlleux pour toute la région.
Le 7 novembre 2011
Karim Tedjani pour « Nouara, le portail de la Nature et de l’Ecologie en Algérie ».