Le lac et les marécages de Réghaia, situés dans la zone côtière de l’Est Algérois, se distinguent par leur biodiversité terrestre et marine, que n’épargne pas une pression anthropique dont les nuisances leur font encourir des risques irréversibles. Ce patrimoine naturel est aujourd’hui l’objet d’une attention particulière. On envisage son classement en tant que réserve naturelle et l’élaboration d’un plan de gestion. Pour cela, nous avons proposé une méthode, déjà appliquée dans la zone côtière algéroise et donc à une plus grande échelle géographique. Elle se base sur une démarche participative : l’analyse de durabilité systémique et prospective (ADSP). Ce travail de terrain a été mené à titre d’une contribution à la détermination d’un programme d’actions environnementales intégrées pour le développement durable de la zone humide. Il est aussi motivé par l’intérêt de mettre à l’épreuve et d’améliorer la fiabilité de la méthode ADSP.
The lake and the marshes of Reghaia, located on the East coastal zone of Algiers are characterized by their terrestrial and marine natural inheritance, but undergoing the consequences of an anthropic pressure which is likely to generate irreversible harmful effectsThis wetland is the object of an attention of the authorities which plan to classify it in natural reserve. A plan of management, reporting measures to be taken and actions to be engaged was undertaken. To contribute to its development, after a synthesis presenting the wetland and its problems, an approach of the coastal site of Reghaia is proposed. It is based on the analysis of systemic and prospective durability (ASPD)
1Sur le littoral Centre Est Algérien, la zone dite «le lac de Réghaia » est un site d’importance écologique de dimension internationale (protection RAMSAR). C’est un milieu lacustre et marécageux, entouré d’une ceinture boisée et en retrait d’un linéaire côtier sableux qui s’ouvre sur des petits fonds marins remarquables. Eu égard aux pressions anthropiques qu’elle subit, pour cause principalement de son insertion dans l’aire métropolitaine Algéroise, son équilibre est de plus en plus menacé. Au courant de l’année 2004, les pouvoirs publics ont engagé une réflexion pour une stratégie en vue de l’élaboration d’un plan de sauvegarde. Ceci démontre tout l’intérêt qui lui est accordé. Nous avons participé activement à ce travail. L’Analyse de Durabilité Systémique et Prospective (ADSP), méthode déjà appliquée à l’échelle de tout le littoral Algérois (larid – 2005), a été conduite pour orienter un programme d’actions en vue de la protection de la zone humide de Réghaia. Ce fut une bonne opportunité pour enrichir les enseignements sur la validité de la méthode ADSP, déjà testée à un niveau géographique élargie, mais non encore appliquée à une échelle réduite et autour d’un enjeu socio spatial plus circonscrit. L’objet du présent article est de rendre compte de cette expérience de terrain. Après un exposé succinct de la méthode, dont il existe une présentation plus explicitée par ailleurs (Coudert, Larid – 2007)1, nous tenterons de présenter les données essentielles et quelques aspects des enjeux qui caractérisent le contexte socio environnemental. On exposera ensuite le cheminement de l’analyse de durabilité de cet écosystème, afin de parvenir à un programme d’actions intégrées. On conclut avec un bref commentaire des enseignements qu’on peut tirer de cette expérience.
2L’Analyse de Durabilité Systémique et Prospective (ADSP) est une démarche qui peut enrichir l’analyse d’un territoire en vue d’orienter son devenir, en proposant des actions intégrées. Elle permet de mobiliser les acteurs pour construire, dans une approche participative, une vision de développement durable et un projet de territoire, de décrire, évaluer et explorer le niveau de durabilité d’un système local dans le passé, le présent et l’avenir, à l’aide d’indicateurs et d’aider à choisir des objectifs à atteindre et à suivre les progrès du système vers le développement durable. Elle propose, pour une entité socio spatiale, d’identifier les tendances lourdes, les contraintes, les processus en cours et les germes de changement.
3L’ancrage théorique et méthodologique de l’ADSP emprunte à de nombreux travaux relatifs à l’évaluation des territoires et à l’analyse systémique (HUGGETT. R – 1980, CHECKLAND, P.B - 1981, ECKERT. D -1996), aux indicateurs et à la notion de leur seuil de durabilité (BELL. S et MORSE.S - 2002) et aux approche prospectives (GODET. M – 1997).
4C’est un processus dynamique et participatif qui s’appuie sur l’expérience et l’expertise des acteurs locaux pour :
Instaurer et susciter un cadre collectif d’appropriation d’une problématique territoriale. En rassemblant les différents intervenants, il faut s’attacher à les motiver pour créer une synergie afin d’évaluer une situation, de proposer et de conduire un projet en commun pour lui donner plus de crédit et de garantie. A ce titre il convient de mobiliser des représentants des catégories sociales et technico administratives, impliqués de près ou de loin dans le devenir et la gestion du territoire en question
Fournir un produit collectif cognitif, riche de l’apport de chaque participant, qui indique les facteurs et paramètres d’évaluation, décline les problèmes ressentis en les priorisant et donne des éclairages pour élaborer et engager un programme d’actions en phase avec le projet consensuel de territoire.
5L’ADSP utilise des indicateurs et évalue un seuil de durabilité pour chacun d’eux. Sa dimension participative favorise non seulement l’implication des parties prenantes dans un projet qui intéresse leur avenir, mais aussi le décloisonnement entre disciplines, la fertilisation croisée entre de nombreux points de vue et la résolution de conflits entre objectifs différents. Des ateliers rassemblent les acteurs de différents secteurs et de différents statuts, pour parvenir, par consensus, à la détermination des indicateurs – clés, pertinents et plus fiables. En effet, la dynamique de groupe réduit la ‘subjectivité’ de l’expert et se nourrit de l’expérience et de la maturité de chacun des participants. Comme ce contexte de travail collectif est aussi productif pour mesurer la durabilité. Le groupe estime les valeurs minimum et maximum que l’indicateur peut atteindre et définit ainsi la marge de durabilité. Cette approche commune permet d’établir une bande d’équilibre qui encadre l’intervalle de durabilité compris entre la valeur durable supérieure et la valeur durable inférieure de l’indicateur (Figure 1).
Figure 1 : La bande d’équilibre (Coudert , Larid – 2007)
6On utilise un graphe (fig. 2) de type AMOEBA2 , établi sous format Radar Excel 2003, pour représenter simultanément tous les indicateurs, ce qui permet de comparer leur positionnement par rapport à la bande d’équilibre et de donner une image de la durabilité d’ensemble du système. Dans une vision idéale de durabilité, tous les indicateurs doivent se trouver à l’intérieur de la bande d’équilibre. Tout dépassement, en déficit ou en excès, montre une occurrence non durable de la valeur des indicateurs correspondants et doit conduire à examiner les décisions qui sont à l’origine de ces dépassements et à rechercher des solutions qui permettraient de ramener la valeur de l’indicateur à l’intérieur de la bande d’équilibre.
7La figure 2 indique, en exemple, le positionnement de 6 indicateurs – clé (calculés pour 1980) concernant la zone côtière algéroise.
Figure 2 : Schéma Radar : PAC, zone côtière Algéroise (2003 – 2004)
Indicateurs : (1) Extraction de sable ; (3) Linéaire sableux interdit à la baignade ; (8) Alimentation en eau potable ; (9) Réseau d’assainissement ;(17) Taux d’urbanisation ; (20) Linéaire côtier artificialisé
8Une fois le système connu, les indicateurs et leur seuil de durabilité définis, l’ADSP utilise les outils de la prospective pour réfléchir sur l’évolution future de l’entité socio spatiale en question. « En effet à partir des tendances passées et de la situation actuelle, on peut concevoir des futurs possibles et/ou désirables. La méthode des scénarios, un des outils le plus connu de la prospective, se base sur le choix d’hypothèses d’évolution, d’un horizon de temps et l’établissement d’un cheminement du présent vers le futur. Le raisonnement du type ‘Si…Alors’ permet la projection d’une image de la situation finale. Celle – ci serait le résultat d’un scénario tendanciel si ‘on ne fait rien’ ou bien l’aboutissement d’un (ou plusieurs) scénario alternatif si ‘on engage des actions’…. » (E. Coudert , M.Larid – 2007).
9La phase de réflexion prospective proprement dite, cherche à répondre à la question ‘Que peut-il advenir?’, elle se distingue de la phase de préparation à l’action où l’on se demande successivement ‘ Que peut-on faire’?’, ‘Que va-t-on faire ?’ et enfin ‘ Comment le faire’, (M. GODET – 1997.
10Une réflexion stratégique s’engage pour chaque indicateur – clé en rapport avec une situation à venir qu’on se fixe comme objectif. Il en résulte des actions à entreprendre pour atteindre un futur désirable et possible. La réalisation des actions suggérées par les scénarios alternatifs vise à conserver ou à ramener (selon le cas) chaque indicateur – clé, dans la bande d’équilibre. L’inflexion, à plus ou moins longue échéance, des indicateurs – clés vers la marge de durabilité établit la cohérence du scénario alternatif global.
11Dans le cadre de l’élaboration du Programme d’Aménagement Côtier du littoral Algérois, la zone humide ‘lac de Régahia’ a été retenue pour la conduite d’un projet pilote de gestion côtière intégrée.3 Ce patrimoine naturel fait apparaître des enjeux, à caractère écologique (zone humide), socio économique (agriculture, industrie, tourisme, habitat,…) et politique (administration, pression foncière,…). La décision prise par les pouvoirs publics d’ériger la zone humide en réserve naturelle témoigne de la nécessité de sa protection. Située à environ 35 km à l’Est d’Alger c’est une ancienne formation lagunaire côtière, qui représente aujourd’hui, l’unique vestige de la plaine de la Mitidja autrefois marécageuse. Un cordon dunaire forme une barrière naturelle séparant le lac de la mer. Dans les années 1950, pour les besoins en irrigation de l’agriculture coloniale, une digue à été réalisée en amont de l’embouchure de l’Oued Réghaia, transformant ainsi le lac en une ‘retenue d’eau’ permanente. Le projet de réserve naturelle s’étale sur environ 180 hectares entre les parties marine et terrestre (carte 1).
12Plusieurs compartiments composent ce riche patrimoine naturel (photo 1). Le plan d’eau lacustre (photo 2) dont les berges sont colonisées par des groupements de plantes hydrophiles : typha latifolia, Phragmites communis , Scirpus lacustris……. Les marécages (photo 5), plus développés vers l’aval du lac, constituent un habitat propice pour de nombreuses espèces d’oiseaux notamment le héron. Les plantes aquatiques émergentes dominant ce paysage sont à base de Typha, de phragmites et de scirpes. Autour du lac et de la zone amphibie, une ‘ceinture boisée’ (photos 3 et 4) comporte une végétation buissonnante et des lianes : olea europea, Cratageus monogyna, Rebu ulmifolius , Smilax, aspe. Ces buissons sont un refuge pour l’avifaune et de nombreuses autres espèces faunistiques. Vers le rivage marin, un cordon dunaire (photo 6) sépare naturellement la plage et le lac. Il se distingue par une bande végétale, notamment vers sa partie supérieure, assurant essentiellement la protection du sol. On observe une végétation adaptée à ce type de substrat : Pancratium maritimum, Ammophila arenaria, Chamaerops humilis. Il n’y a pas si longtemps, elle était encore abondante et entretenait la biodiversité du site et la stabilité de la dune. Enfin dans la zone marine (photo 7), les petits fonds, où apparaissent des affleurements rocheux, abritent des frayères pour de nombreuses espèces. Un îlot (hadjeret Bounetah) s’érige, face au marais, à environ 1 km en mer. Son importance est reconnue d’un point de vue ornithologique, en servant d’habitat ou de point de relais, notamment pour le grand cormoran et le Martinet noir. L’importance de la flore et de la faune observées, donne une valeur particulière à cet écosystème marin. La biodiversité côtière, encore plus ou moins préservée, est remarquable. On dénombre 206 espèces (BELLATRECHE – 1987, ATLASS DGF - 2002). Des oiseaux rares et donc protégés par la législation internationale sont recensés, comme la Sarcelle marbrée (Marmaronetta angustirostris), le fuligule nyroca (Aythya nyroca), l’Erismature à tête blanche (Oxyura leucocephala) et la poule sultane (Porphyrio porphyrion) (photos 8 à 11). Les mammifères sauvages (chacal commun, lièvre du cap, gerbille champêtre, ….), les reptiles (tortues mauresque, caméléon commun,….), les amphibiens (grenouille verte, rainette verte, ….), complètent l’inventaire de la faune locale.
13La zone humide est alimentée principalement par l’oued Réghaia auquel s’ajoutent deux Oueds secondaires l’Oued El Biar et l’Oued Boureah. Ces 3 oueds drainent un bassin versant d’environ 170 km2, avec une agriculture intensive, une concentration d’unités industrielles et de nombreuses agglomérations urbaines en pleine croissance (Réghaia, Rouiba, Ain taya, Haraoua,…..).
14L’équilibre et l’intégrité de cette zone côtière sont de plus en plus menacés par les nuisances dues aux activités et à l’occupation humaines. Le pôle industriel Rouiba - Réghaia (150 unités, 23 000 employés) comprend des usines potentiellement polluantes, comme celles actives dans les domaines de la tannerie, la sidérurgie et des produis détergents (carte 2). Les rejets annuels d’eaux usées, de l’ordre de 25 à 30.000 mètres cubes, ne sont pas épurés à la source et très partiellement traités par la station d’épuration, à proximité du lac.
15La zone humide de Réghaia est partie prenante d’une vaste région agricole (plaine de la Mitidja). Ses potentialités hydriques (facteur fondamental pour un écosystème de ce type) sont affectées par un phénomène ressenti à un double niveau. En amont, l’usage inconsidéré des fertilisants chimiques (engrais à base d’azote et de phosphate notamment) et des produits phytosanitaires (DDT et autres insecticides), altère la qualité des eaux de ruissellement, dont les principaux exutoires sont le marais et le lac (menace d’eutrophisation). En avalle pompage abusif des eaux du lac, à partir d’une station de relevage, indique en moyenne une extraction annuelle d’eau de 2,5 à 3 Hm3 (Agence Nationale des Ressources Hydriques - 2003) pour irriguer environ 1500 hectares de maraîchage dans les terres avoisinantes (carte 3).
Photos 1 à 11 : Un ensemble hydro géomorphologique côtier, et une biodiversité insérés dans une région connaissant une littoralisation accélérée
16Cette situation menace à la longue le potentiel hydrique, pendant les périodes de sécheresse notamment. L’introduction de nouvelles techniques d’irrigation (goutte à goutte) doit être réellement encouragée par l’Etat pour garantir la durabilité de la ressource.
17L’occupation humaine incontrôlée, se déploie sur la zone légalement non urbanisable. Elle se traduit par la prolifération de l’habitat précaire à proximité du lac et engendre des rejets incontrôlés de déchets solides et d’autres impacts de la croissance des agglomérations limitrophes (Rouiba, Réghaia, Haraoua, Ain taya, …), qui accusent un total de près de 300.000 habitants (CNERU – 2004). L’évolution du cadre bâti s’est faite, le plus souvent au détriment de la zone humide (photos 12, 13 et 14).
18La plage (le kadouss) ouverte et rectiligne, s’adosse au cordon dunaire. Elle connaît une forte pression estivale (estimation de 4 millions de visiteurs durant l’été 2005), qui cause des nuisances et menace l’équilibre de l’ensemble dune – plage (photo 15 et 16).
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20La prise de conscience collective sur la nécessité de protéger la zone humide de Réghaia s’est aiguisée au courant de l’année 2005, stimulée en cela par le programme MED WED à l’échelle du bassin méditerranéen4. La volonté politique aidant, un consensus a été établi entre les différentes équipes thématiques du PAC, pour le choix de la zone humide comme microprojet pilote de gestion intégrée. La dynamique de groupe suscitée par le Plan d’aménagement de la zone côtière Algéroise a été mise à profit, pour conduire l’analyse de durabilité, susceptible d’éclairages intéressants en vue d’arrêter un plan de gestion. La protection et le développement durable de ce site naturel, dans un cadre de gestion intégrée, ont impliqué de nombreux acteurs (forêt et environnement, collectivités locales, hydraulique, agriculture, tourisme, industrie et urbanisme, représentants des professions et de la société civile, ….)5
21La concertation élargie au maximum d’intervenants, concernés de près ou de loin par le devenir et la gestion du site dit «le lac de Réghaia », a abouti à la constitution d’un groupe de travail représentatif et pluri disciplinaire6, pour proposer un plan d’actions intégrées, en se basant sur la méthode de l’ADSP. Il s’agissait en fait, d’instaurer et de dynamiser un cadre collectif d’appropriation d’une problématique territoriale. En regroupant tous les membres (photos 17 à 20), il fallait s’attacher à les motiver pour engager une synergie afin d’évaluer une situation, de proposer et de conduire un projet en commun et donc plus crédible. Le but est ainsi de parvenir à la conduite d’une réflexion collective, riche de l’apport de chacun, pour décliner les problèmes ressentis en les priorisant et donner des éclairages pour élaborer et engager un programme d’actions, soutenant le projet de gestion.
22Dans une première phase, il s’agissait pour le groupe de travail de se donner une ‘image’ représentative de l’état des lieux et des intérêts en présence. La prise en compte et l’interprétation des données socio environnementales sur la zone humide (synthétisées dans la partie 2 du présent article), ont abouti à la perception d’un double enjeu, crucial pour son devenir : la gestion qualitative et quantitative du potentiel hydrique d’une part, les pratiques culturales et l’établissement humain anarchique, d’autre part.
23Sur cette base, la deuxième phase des travaux du groupe s’est attachée à la détermination des indicateurs de durabilité, l’estimation des valeurs minimum et maximum que les indicateurs peuvent atteindre en définissant la marge de durabilité et la bande d’équilibre. La détermination de ces valeurs a été une étape décisive dans la démarche. Il s’agissait pour les participants à l'atelier de convenir d’une « valeur durable » ou d’un intervalle de valeurs durables pour chaque indicateur, indépendamment de la valeur réelle de l'indicateur mesuré.
24Certains indicateurs, comme ceux relatifs à la qualité de l’eau, n’ont pas posé de problèmes, en raison des normes réglementaires existantes. Mais, pour d’autres indicateurs, les représentations individuelles et collectives ont suscité de longues discussions. Certaines parties prenantes ont exprimé des idées différentes pour argumenter une augmentation ou une diminution des valeurs inférieures et supérieures. Pour ces cas, on ne peut s’empêcher bien sur, de noter une ‘ part de subjectivité’ dans la détermination de l’intervalle de durabilité. En définitive, c’est par consensus, et les avis experts ont facilité la tâche, que la bande d’équilibre est déterminée et approuvée par tous les participants à l’atelier.
25Le troisième volet de ce travail participatif consiste en la projection de ce territoire dans un ‘futur souhaitable’, en inscrivant les indicateurs dans une perspective de gestion intégrée et de développement durable de la zone humide.
Photos 17, 18, 19 et 20 : Travaux du groupe, restitution en plénière des travaux de groupes, exposé du travail prospectif sur un indicateur-clé, synthèse de la réflexion sur un indicateur – clé
26Le travail de groupe a été incontestablement productif, dans l’étape d’identification et de détermination des indicateurs de durabilité, en rapport avec l’intérêt et la vulnérabilité de l’écosystème. La mise au point de paramètres susceptibles de qualifier le patrimoine naturel et sa fragilité s’est faîte sans difficultés.
27En revanche, des avis contradictoires se sont parfois longuement confrontés pour situer les responsabilités et reconnaître les causes des menaces qui pèsent sur la zone humide. Les débats engagés sur l’indicateur de pompage des eaux du lac sont à cet égard significatifs. Le représentant des agriculteurs partageait mal l’idée que les prélèvements d’eau pour l’irrigation peuvent affecter à terme le bilan hydrique et a insisté sur la prise en compte d’un indicateur de durabilité de son revenu en tant que cultivateur ….’. En fait, sa position, tout à fait légitime du reste, traduit ses préoccupations pour conserver intactes ses possibilités d’accès au lac pour l’irrigation et par conséquent pouvoir maintenir le niveau de rentabilité de son activité. Les échanges et les discussions ont fini par lui faire comprendre que ce n’est pas l’irrigation à partir du lac qui est remise en cause, mais qu’il s’agissait plutôt d’un problème de gestion rationnelle de l’eau qui préservera le rendement de ses cultures. Ce qui est alors remarquable et qu’il faut mettre à l’actif du travail de groupe, c’est les positions consensuelles, facilitées par les solutions que suggère le problème débattu. Dans cet exemple le représentant des agriculteurs a fini par adhérer à l’idée de retenir l’indicateur de pompage de l’eau du lac, dès lors que sont avancées des mesures et dispositifs d’aide publique à l’adresse des exploitants agricoles. Les représentants des services communaux et de la direction de l’hydraulique ont confirmé les possibilités d’appui technique et financier pour la promotion et la généralisation du système d’irrigation par ‘goutte à goutte’.
28Les discussions et concertations sur les volets relatifs à l’état, la qualité et l’évolution de la zone humide ont abouti en définitive à la détermination d’une liste de 33 indicateurs au total, susceptibles de mesurer sa durabilité et de fournir des éclairages pour entreprendre des actions, visant à préserver son équilibre. Après cette étape de ‘brain storming’, Il a fallu ensuite limiter le nombre d’indicateurs, pour faciliter le travail d’évaluation et de prospective, en opérant des choix basés sur des critères relatifs à leur :
pertinence : en mesure de rendre compte des enjeux en présence. Le choix s’est aussi porté sur les indicateurs situés en ‘bout de chaîne’ d’un ensemble de phénomène ou processus. Par exemple, parmi 4 indicateurs, volume d’eau rejeté, quantité d’eau usée traitée, fonctionnement de la station de traitement, demande biologique en oxygène (DBO5)7 , c’est ce dernier qui est choisi du moment qu’il synthétise les 3 précédents.
calculabilité : un indicateur qu’on ne peut quantifier, ou mesurer, pour différentes raisons (données non disponibles la plupart du temps) est écarté. On peut citer l’exemple du rapport oiseaux migrateurs / espèces sédentaires.
29A la fin de cette étape, 10 indicateurs – clés on été retenus (tableaux 1). Présentés dans un ordre indifférent, 6 sont en rapport avec l’eau, 2 en rapport avec la prolifération de l’habitat précaire ou illicite autour du lac, ainsi que la fréquentation du site et 2 en relation avec la faune et la flore.
Tableau 1 : Les indicateurs – clés
30La suite du processus consiste en la détermination de la bande d’équilibre. Les valeurs minimum et maximum que l’indicateur – clé peut atteindre sont établies et ainsi se démarque la marge de durabilité, qui encadre l’intervalle compris entre la valeur durable supérieure et la valeur durable inférieure de l’indicateur et son positionnement en rapport avec la valeur indiquée dans l’échelle de durabilité. En prenant l’exemple de la proportion du volume d’eau usée traité, il est convenu au sein du groupe de travail, comprenant bien entendu un expert dans le domaine9, que le volume minimum traité ne doit pas être inférieur à 80 % (Fig. 3). Il ne faut pas manquer de signaler une ‘part d’empirisme’ dans la fixation de cette marge inférieure de durabilité. Ce pourcentage dépend du volume total d’eaux usées industrielles que reçoit le lac soit environ 30.000 m3 /an. Du fait des possibilités de leur régénération (apports de l’oued Réghaia, et des eaux pluviales) et de leur qualité actuelle avec absence de traitement, il a été admis que les eaux du lac présentent des capacités pour l’autoépuration d’environ 5 à 6000 m3/an, notamment pour la matière biodégradable.
Figure 3 : Marges et Echelles de durabilité de l’indicateur volume d’eaux usées
31La spécificité de chaque indicateur - clé a nécessité une réflexion collective pour la détermination de sa marge de durabilité. Les indicateurs en rapport avec la qualité de l’eau, à savoir le taux de nitrate, la matière totale en suspension, la demande biologique en oxygène et le potentiel en hydrogène, ont été longuement débattus. Il a été convenu de démarquer la bande d’équilibre (marge du minimum et du maximum durables), sur la base des normes légales définissant la qualité des eaux et des cours d’eau de surfaces. Certains participants n’ont pas manqué d’évoquer les différences existantes entre les sources d’information sur ce sujet. En définitive, deux textes réglementaires ont principalement servi comme base de travail : le décret exécutif Algérien de 1993 (JO. N° 46) réglementant la qualité des eaux et le guide de lecture de l’arrêté du ministère français de l’environnement relatif à la qualité des eaux (Houlier et Oudart – 1994)10.
32L’indicateur sur la biodiversité a initialement posé des problèmes du fait qu’il est difficile de fixer les seuils mima et maxima de sa durabilité. La calculabilité de sa marge d’équilibre n’est pas, en effet, évidente, mais sa pertinence comme indicateur de gestion de la zone humide a été reconnue à l’unanimité. L’idée de travailler sur la base d’un indicateur de conservation de la biodiversité actuelle a été retenue, soit une valeur minimale de 263 espèces faunistiques existantes à préserver. Deux autres espèces reconnues comme n’étant plus observées dans le site, sont susceptibles d’être réintroduites.
33Pour l’occupation du site, par tous types de construction confondus, on considère que la vocation naturelle de la zone humide doit être préservée, mais un minimum d’aménagement est indispensable11. Le raisonnement inverse a été appliqué pour le taux de couverture végétale. En ce qui concerne la fréquentation du site, les grands flux sont saisonniers. La zone balnéaire ne peut pas être évidemment soustraite à la population. Compte tenu de sa proximité urbaine mais surtout de sa vocation naturelle (Littoral sableux du Kaddous) on ne peut raisonnablement la concevoir sans un minimum de visiteurs quotidiennement. Sans toutefois que le nombre d’estivants dépasse un seuil maximum, estimé à 15000 visiteurs par jour de grande affluence. Cette marge supérieure de durabilité a été retenue après discussions sur l’effectif quotidien de baigneurs que peut recevoir cette zone côtière sableuse qui s’étale sur un linéaire d’environ 1300 mètres avec une largeur moyenne autour de 75 mètres. Le souci a été de limiter la pression sur la plage, de fournir un meilleur confort de baignade, mais aussi et surtout de limiter l’occupation et le piétinement de la dune bordière. En fait cet indicateur se réfère à la notion de capacité de charge qui intègre divers paramètres (géomorphologique, topographique, sociaux, ….), La réflexion du groupe s’est principalement basée sur les commentaires du géomorphologue présent, qui a fait mention des travaux scientifiques en la matière12. Mais il faut préciser que c’est la surface balnéaire potentiellement disponible qui a été déterminante dans la fixation de ce seuil maximal de durabilité.
34Enfin les seuils de durabilité pour le prélèvement de l’eau du lac sont déterminés en rapport avec les données disponibles sur le bilan hydrique.
35Les valeurs correspondantes à chacun des indicateurs – clés (tableau 2) sont positionnées par rapport à la bande d’équilibre (figure 4), dans un graphique de type AMOEBA ( Tenbrink B.J.E., Hosper S.H. et Colijn.F, 1991).
36Un rapide aperçu de l’AMOEBA 2005 (figure 4), permet de déduire que seulement 3 indicateurs, à savoir l’indicateur 1, l’indicateur 4 et l’indicateur 6, soit respectivement le taux de nitrates, le PH et le pompage de l’eau sont inclus dans la bande de durabilité. Mais il est évident qu’ils ne suffisent pas pour assurer la durabilité du système, du moment que les 7 autres indicateurs – clés sont plus ou moins éloignés de la bande d’équilibre. Le traitement des eaux, la couverture végétale et le potentiel faunistique sont en dessous du minimum nécessaire pour la durabilité de l’ensemble. Tandis que la matière totale en suspension, la demande biologique en oxygène, la prolifération de l’habitat précaire ou illicite, et la pression humaine estivale affichent des écarts par excès en rapport aux normes établies. Cette représentation de la situation est simple et peut avoir un effet mobilisateur. Elle est suffisamment convaincante et assez didactique vis-à-vis des acteurs locaux en général et des décideurs en particulier. Elle permet d’avoir un rendu multifactoriel et donc plus complet de la réalité.
37L’observation du graphique AMOEBA 2005 indique des menaces sur l’équilibre de l’écosystème de Réghaia. Mais, eu égard aux écarts observés dans l’échelle de durabilité, qui demeurent toutefois rattrapables, la situation n’est pas critique et encore moins irréversible. On est alors conforté dans l’idée qu’il y a besoin et possibilités d’agir dès à présent pour orienter la zone humide vers son développement durable. Le positionnement du plus grand nombre des indicateurs – clés en dehors de la bande d’équilibre indique la nécessité d’entreprendre des actions à même de les ramener progressivement vers des positions les plus avantageuses possibles pour préserver et conserver le lac et réussir la mise en place de la réserve naturelle. L’observation des écarts par rapport à la marge de durabilité indique aussi l’ordre de priorité en agissant sur les indicateurs – clés qui s’éloignent le plus, ou qui indiquent des tendances lourdes. Pour le groupe de travail il s’agit de fournir un argumentaire en vue d’un plan de gestion en abordant la prospective, sur la base de scénarios. La démarche de durabilité a engagé les participants à l’exercice de la gestion souhaitée de la zone humide de Réghaia. La projection d’une ‘image’, tendancielle et alternative, pour chacun des 10 indicateurs – clés a suscité une réflexion stratégique et a permis la détermination d’actions à entreprendre, pour infléchir la zone humide vers une situation future désirable et possible. La réalisation des actions suggérées a pour but de conserver tel quel le positionnement des indicateurs 1, 4 et 6 et à ramener les autres dans la bande d’équilibre. Plus précisément, des minis - scénarios sont élaborés. L’approche prospective par indicateur est apparue avantageuse pour traiter la problématique de cet écosystème complexe. La réflexion du groupe est plus productive quand elle porte sur un objectif lié à un seul indicateur – clé. Les actions à engager, pour infléchir les tendances lourdes, sont plus apparentes et mieux perçues13.
38A titre d’illustration le travail prospectif relatif à l’indicateur – clé Matière totale en Suspension s’est d’abord basé sur une réflexion relative au scénario tendanciel. C’est globalement ‘l’image future’, résultant d’une situation actuelle de ‘non action’. L’approche rétrospective s’est basée sur les années 1992 et 2000, pour lesquelles des données sont disponibles. Les dosages des MES effectués en 2005 indiquent une augmentation de près de 60 % par rapport à 2000. Une approche empirique, basée sur l’hypothèse dite ‘pessimiste’ a été retenue pour l’indication des valeurs en Matière totale en suspension, correspondantes aux années 2010 et 2015. Il s’agit en fait, en se basant sur ces valeurs extrêmes, de sensibiliser les acteurs locaux sur les conséquences futures, si aucune action n’est engagée dès à présent pour infléchir les tendances lourdes qui s’affichent. Les valeurs 2010 et 2015 sont suggérées par une aggravation de la pollution, comme le laissent craindre les croissances urbaine et industrielle, le développement de l’agriculture intensive sur le bassin versant de l’Oued Réghaia, ainsi que la prolifération de l’habitat précaire autour du lac.
39Le scénario alternatif se base sur des actions visant des objectifs de réduction de la matière totale en suspension dans les eaux du lac aux horizons 2010 et 2105. La réflexion du groupe a porté sur la faisabilité des opérations à engager pour ramener l’indicateur MES dans la marge de durabilité. Le tableau 3 résume les hypothèses du travail prospectif concernant l’indicateur en question. Le scénario alternatif indique notamment la nécessité de réaliser un réseau de collecte des eaux usées pour les canaliser vers la station de filtration et de traitement avant leur rejet dans le lac. Sur un autre plan, pour limiter l’érosion des sols et épurer les eaux de ruissellement, Il préconise le reboisement des proches bassins versants.
Tableau 3 : Analyse prospective de l’indicateur – clé matière totale en suspension.
40Les schémas AMOEBA prospectifs indiquent les degrés de durabilité de la zone humide de Réghaia, en rapport avec les scénarios alternatif et tendanciel, horizon 2015 (Figures 5 et 6).Le maintien (ou l’aggravation) des tendances affichées par 7 indicateurs – clés , accentue les menaces qui pèsent sur l’équilibre et la conservation de l’ écosystème . Cette évolution l’éloigne de plus en plus des seuils de durabilité, puisque seulement 3 indicateurs – clés sont susceptibles de se maintenir dans la bande d’équilibre. L’indicateur 9, qui concerne le couvert végétal composante essentielle pour ce type d’écosystème, va s’éloigner davantage de la bande d’équilibre du fait qu’il subit les contre coups de l’occupation du site (indicateur 5) et de sa fréquentation (indicateur 10).
41Dans le scénario alternatif, les suggestions faîtes concernant les stratégies à adopter et les actions y afférentes laissent espérer une nette amélioration de la durabilité. A des rythmes sûrement inégaux, les 7 indicateurs en dehors de la bande d’équilibre, tel qu’ils se positionnent dans le scénario tendanciel, sont ramenés vers une situation favorisant la conservation et la protection de la zone humide. Ceci bien entendu en mettant en œuvre les stratégies alternatives suggérées par le travail de prospective, qui précisent les opérations, pouvant être intégrées au plan de gestion en essayant, en dernier ressort, de réfléchir sur les priorités et les éventuelles incompatibilités entre les actions.
42Les hypothèses d’évolution des scénarios alternatifs suggèrent des actions qui ont pu être regroupées en 6 grands domaines.
Epuration des eaux
Réhabilitation du couvert végétal
Gestion rationnelle du pompage des eaux
Régulation du flux des estivants
Réintroduction d’espèces autochtones
43Pour mettre en évidence les priorités , en indiquant les volets les plus porteurs en terme d’impact ou d’influence sur les indicateurs – clés, on utilise une matrice, mettant les domaines d’actions en lignes et les indicateurs – clés de durabilité en colonnes (tableau 4). Il s’agit en fait de repérer les relations fortes entre les deux variables pour déterminer les priorités entre les programmes à mettre en œuvre14.
Tableau 4 : Matrice reliant les domaines d’actions et les indicateurs-clés
44Pour une zone humide, telle que celle du Réghaia, il n’est à priori pas surprenant que la qualité de l’eau ressorte comme le domaine le plus crucial.
45La priorité doit être ensuite accordée à la reconquête du site, autour du lac, en procédant notamment à l’élimination de l’habitat précaire et à la délocalisation des constructions illicites, établies sur un secteur considéré par la loi comme non constructible.
46En définitive, les résultats ci-dessus peuvent fournir des repères et situer les enjeux pour rendre plus intelligible le scénario alternatif et faire tendre vers le ‘futur souhaitable’ la zone humide. C’est un outil d’aide à la décision qui peut orienter et prioriser les domaines d’actions en vue de réaliser un ‘projet collectif de territoire’.
47Il n’est pas aussi exclu que les actions retenues pour chaque domaine et résultant des scénarios par indicateurs, présentent des incompatibilités, ou des incohérences qui risquent de compromettre la réalisation des objectifs poursuivis. La réflexion collective est là aussi mise à contribution pour repérer les incongruités ou autres contradictions entre l’ensemble des actions retenues.
48Chaque opération prévue est mise en relation avec les autres en s’interrogeant sur leur compatibilité (tableau 5). Cette démarche permet de prévenir, de réduire, ou d’éliminer les incohérences en prenant des mesures, ou en mettant en place des dispositifs nécessaires.
49Pour l’ensemble des actions identifiées aucune incompatibilité n’a été relevée, ceci démontre la cohérence entre les opérations proposées. Il faut signaler toutefois que la compatibilité entre les actions 10 (plan d’occupation intégrée du site) et 14 (alimentation artificielle de la plage) a été longuement débattue15. Il a été finalement admis que la plage du ‘Kaddous’ , vu son état d’érosion avancée, nécessite une réhabilitation. Il convient de la reconquérir en tant que patrimoine naturel. Cette action n’est pas incompatible avec des aménagements touristiques légers et appropriés et une pratique balnéaire (gestion des flux) préservant l’intégrité du site.
Tableau 5 : Matrice des cohérences entre les actions du scénario global
50En tant que site remarquable et rare dans le littoral Algérien, la zone humide de Réghaia, réunit tous les ingrédients d’une problématique et des préoccupations de gestion et de développement durable d’une zone côtière bio stratégique. Eu égard à la multiplicité des intérêts en présence, l’appropriation collective de son devenir s’impose. Elle assure davantage de garanties pour sa préservation et sa protection. Pour cela nous avons essayé de susciter une dynamique, avantageuse à la réalisation de ce ‘projet collectif de territoire’.
51La conduite de cette démarche participative a eu pour but l’évaluation des enjeux environnementaux et sociaux. Il en ressort que la maîtrise qualitative et quantitative de l’eau, l’élimination des constructions illicites et précaires et la régulation des flux humains balnéaires, sont au cœur de la reprise en main de cet écosystème. Il y a un besoin urgent d’un plan d’actions dont la réussite relève fatalement d’une approche concertée.
52L’Analyse de Durabilité Systémique et Prospective (ADSP) a été retenue comme cadre méthodologique. Cette expérience a confirmé l’effet mobilisateur de la méthode permettant une meilleure participation des ‘acteurs’.
53A ce propos et en comparaison avec le travail de même type réalisé dans le cadre du PAC – zone côtière algéroise, il est apparu que la motivation et l’implication des participants sont relativement plus fortes. Ce qui peut s’expliquer par le ‘caractère de proximité’ du projet et de la ‘dimension maîtrisable’ des enjeux. Certes, dans le passé, beaucoup de participants ont eu déjà l’opportunité de travailler et de débattre de la problématique de la zone humide, mais sans toutefois parvenir à la définition d’actions à engager et à préciser les responsabilités pour leur exécution.
54L ’ADSP de la zone humide a suscité une interactivité au sein du groupe. Son double caractère pédagogique (assimilation d’une méthode) et didactique a davantage motivé tous ses membres, qui sont parvenus, à la différence des rencontres antérieures, à l’élaboration d’un programme intégré et à la définition de ce qui est attendu de chacun, pour sa réalisation. Le produit résultant se traduit par un plan de domaines d’actions priorisé, en rapport avec les indicateurs – clés retenus.
55Il est bien apparu, au terme de ce travail collectif, que la démobilisation, auparavant ressentie pour la prise en charge du règlement des problèmes essentiels de la zone humide (gestion de l’eau, habitat anarchique, sur fréquentation estivale,…), n’est pas insurmontable. L’appropriation collective de cette problématique a généré, de facto, la sensibilisation d’abord, puis l’implication et l’engagement des responsables locaux pour œuvrer à la concrétisation du programme d’actions.
56Les consensus pour les solutions retenues et les opérations arrêtées, dénotent la ‘productivité’ de la méthode ADSP, qui est apparu beaucoup plus porteuse, en tant que démarche participative, quand il s’agit d’enjeux locaux. En effet, l’Analyse de Durabilité conduite à une plus grande échelle géographique (la zone côtière algéroise), a été pour le moins laborieuse. En raison de la complexité des problèmes et d’un plus grand nombre d’acteurs et d’intervenants, il faut reconnaître que la fidélisation du groupe de travail n’a pas été aussi forte que dans le cas de la zone humide. De plus, pour la zone côtière algéroise, la
57détermination des indicateurs – clés, des marges de durabilité, et des actions à mener à quelquefois abouti à des ‘impasses’, c'est-à-dire que le consensus recherché n’ a pas été toujours obtenu. A cette échelle socio spatiale aussi grande, où les enjeux sont plus importants et plus complexes, certains indicateurs n’ont pas eu l’adhésion de l’ensemble des participants. Ceci laisse pointer des craintes et des difficultés dans la réalisation des opérations proposées. Ces aspects ont été moins ressentis dans le cas de l’analyse de durabilité de la zone humide. De cette nouvelle expérience de terrain on peut retenir principalement et globalement que l échelle spatiale la plus pertinente et la plus productive pour l’ADSP est celle qui circonscrit une unité spatiale homogène définie autour d’un enjeu principal. L’approche systémique et participative facilite la perception des relations entre les problèmes posés et permet de mieux saisir les intérêts en présence et les priorités, pour l’avènement d’un ‘futur souhaitable’.
Carte 3 : Etendue des sols cultivés et irrigués à partir du lac
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1 Publication, volume 7 N°3, décembre 2006, complétée en novembre 2007, de VertigO – La revue en sciences de l'environnement. Le lien est indiqué en références bibliographiques. La méthode ADSP est aussi en ligne : http://www.planbleu.org/publications/cahiers3_imagine_fre.pdf
2 La représentation AMOEBA a été développée au départ par Ten Brink (Ten Brink et al, 1991) et l’acronyme signifie en néerlandais « méthode générale de description et d’évaluation d’écosystème ».
3 : Le programme d’aménagement côtier (PAC – zone côtière algéroise), a été élaboré en 2004 – 2005, sous l’égide du Plan d’Actions pour la Méditerranée (PAM / PNUE) et du ministère Algérien de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement. Plusieurs équipes thématiques se sont engagées. Nous avons eu la responsabilité de diriger l’activité gestion intégrée de la zone côtière et l’activité analyse de durabilité.
En raison du projet de classement du lac de Réghaïa en réserve naturelle, des dispositions officielles ont été prises au niveau local et central pour engager une approche participative. Les réunions effectuées dans ce cadre et les nombreux entretiens relatifs à la problématique du lac de Réghaia ont avantagé l’engagement d’une démarche globale, impliquant les secteurs concernés. Les rapports et compte- rendus peuvent être consultés en ligne : - www.pap-thecoastcentre.org/pdfs/Rapport%20final%20integre%20WEB.pdf
Plans d’Aménagement Côtier (PAC)
4 Cf. à ce sujet le rapport «Les zones humides : l’eau, la vie et la culture », 8e Session de la Conférence des Parties contractantes à la Convention sur les zones humides (Ramsar, Iran, 1971) - Valence, Espagne, 18 au 26 novembre 2002, notamment la partie ‘Objectifs opérationnels dans le projet de Plan stratégique 2003-2008’ :
http://www.ramsar.org/cop8/cop8_doc_05_f.htm
5 Le rapport sur l’opération pilote du lac Reghaia rend compte des réunions préparatoires à l’approche participative. Il peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.pap-thecoastcentre.org/pdfs/Action%20pilote%20-%20site%20du%20lac%20de%20Reghaia.pdf
6 Ce groupe est composé des responsables d’équipe thématique du PAC – Zone côtière Algéroise (pollution aquatique, déchets solides, urbanisation et artificialisation des sols, ressources hydriques, biodiversité terrestre et marine, sites culturels, analyse de durabilité, GIZC, systèmes d’information), des représentants locaux, des secteurs socio économiques et des agriculteurs, ainsi que de l’association écologique de Boumerdès.
7 Indicateur d’auto épuration, qui exprime le besoin en oxygène requis par le milieu afin de minéraliser les excès de matière organique qu’il reçoit du fait d’un déversement plus ou moins important d’eau usées non traitées.
8 Des dosages effectués sur les métaux lourds dans les eaux du lac (mercure et cuivre notamment), n’ont pas été retenus, du fait que le protocole d’analyse utilisé a été jugé non conforme. Les données relatives aux indicateurs MES (matières en suspension) et aux taux de nitrates, sont obtenues dans le cadre des travaux de mémoires universitaire (fin d’études d’ingéniorat en aménagement et protection du littoral). A ce titre elles sont considérées comme fiables et assez représentatives du fait qu’elles portent sur une moyenne obtenue sur une période de 18 mois de prélèvements, (Cf. les références bibliographiques).
9 Il est à rappeler la présence au sein du groupe de travail du consultant ‘ressource hydrique’ dans le cadre du PAC – zone côtière Algéroise.
10 Il faut noter cependant que le groupe de travail a eu des difficultés pour parvenir à un consensus fixant les marges de durabilité, notamment pour les indicateurs de la matière totale en suspension et de la DBO5. En effet des écarts existent entre les valeurs fixées par ces deux textes de référence. Les arguments avancés, donnant la préférence aux normes françaises plus restrictives, ont finalement abouti à la décision consensuelle de se baser sur ces dernières.
11 Les équipements d’administration, de loisir ou tout autre aménagement lié à la fonction socio culturelle sont considérées comme incontournables sur une superficie minimale de 5 % de la surface totale du site, sans toutefois dépasser le taux de 10 %.
12 Cf. à ce propos la bibliographie et les résultats d’une étude sur la capacité de charge, conduite par le Laboratoire de Planification Environnementale, de l’Université de l’Égée, Grèce : http://ec.europa.eu/environment/iczm/pdf/tcca_fr.pdf
13 La lutte contre la pollution du lac peut être citée comme exemple. L’altération de la qualité de ses eaux est due aux nuisances provenant de sources diverses (rejets urbains, unités industrielles, particules et autres détritus charriés par les cours d’eau,…). Une station de traitement réalisée en 1995, à l’amont immédiat du lac, a rapidement démontré ses limites, car elle est conçue pour un traitement primaire, avec des performances techniques inadaptées à la nature des eaux de rejets. En fait il s’agit d’une réponse globale à ce problème de la pollution, qui s’avère insuffisante, sinon inefficace, car l’épuration des eaux du lac exige des actions propres au niveau de chacune des sources de pollution.
14 Cette méthode s’inspire de la matrice d’analyse structurelle développée par M. GODET – 1997
15 A ce propos, des craintes ont été ressenties concernant le plan d’occupation intégrée du site (action 10), qui risque de faire la part belle aux aménagements balnéaires, compte tenu de la vocation naturelle de la zone côtière et d’accentuer la pression touristique estivale. Ainsi l’alimentation artificielle de la plage (action 14), élargira l’espace balnéaire et donc serait incompatible avec l’objectif d’atténuation de la pression sur le rivage, en tant que paramètre fondamental du plan d’aménagement intégré du site.
Mohamed Larid, « La zone côtière humide de Réghaia dans le littoral Est Algérois (Algérie) : Contribution méthodologique à son plan de gestion », Cybergeo, Environment, Nature, Landscape, Article 425, put online on 02 July 2008, modified on 14 May 2009. URL : http://cybergeo.revues.org/index18852.html. Consulted on 19 February 2010.
Enseignant - chercheurInstitut des Sciences de la Mer et de l’Aménagement du Littoral (ISMAL), Campus universitaire de Dély Brahim , BP 19, Alger (Algérie)med7_larid@yahoo.fr
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