Voici un article paru sur le
quotidien liberté du 01/10/2002 concernant les volcans de Ain Témouchent.
L’inquiétant réveil des “Trois Marabouts”
Par :B. Ghrissi
Le cratère de Tzioua commence à inquiéter
A peine pénètre-t-on dans la sphère du volcan des Trois-Marabouts, qu’un relent âcre vous prend les narines. On dirait un peu le parfum des pots d’échappement auquel s’ajouterait un zeste de
soufre, une lame de chlore. Pourtant, on ne voit aucune fumée, le ciel est même dégagé.
“Les gens qui visitent pour la première fois le volcan d’Aïn Témouchent sont toujours un peu surpris. Mais nous, nous ne sentons plus rien”, affirme un monsieur sans âge aux yeux légèrement
rougis. En revanche, lorsque le volcan “exalte” ses émanations sulfureuses, il faut vite rentrer à la maison, fermer les volets, cacher les gosses. Il libère ses gaz plusieurs fois par jour, le
plus souvent la nuit. Les gens suffoquent. La mort biologique des petits potagers est depuis quelque temps consommée.
Des terres fertiles aux alentours commencent à se rétrécir comme une peau de chagrin. “D’ici à quelques années, la température du volcan va s’élever considérablement, le régime des pluies va se
modifier : on aura des problèmes d’eau et une accentuation des émanations de soufre”, préviennent des spécialistes en géologie. Mais que faire ? “Installer au plus vite un système de mesure et
d’alerte en cas de surcondensation des émanations sulfureuses, puis sensibiliser les pouvoirs publics et la population”, précisent-ils.
“L’événement le plus dramatique du XXIe siècle en Algérie, ce sera le lent réveil du volcan d’Aïn Témouchent et la disparition, comme une première étape, de l’agriculture comme activité pilote.”
“Nous sommes une autre humanité. Cette humanité n’a pas encore conscience du monde qui l’entoure. Il faut impérativement faire naître cette conscience, enseigner que le laxisme peut coûter très
cher”, précise un géologue-chercheur de l’université d’Es-Senia (Oran).
Situé à 5 km à vol d’oiseau du village des Trois-Marabouts et à 9 km d’Aïn Témouchent, le cratère de Tzioua compose essentiellement le volcan de Aïn Témouchent. Le nom de Tzioua est celui de la
montagne formée par le cône de débris du sommet qui domine la bordure nord de la dépression circulaire de Dayat Lemsir.
Photo satellite (Google Earth) du volcan du djebel Tzioua, situé à 9 km à l'ouest de Ain Témouchent
Les dimensions de ce cône de débris sont significatives ; l’ouverture du cratère n’a pas moins de 60 mètres de diamètre. Un spécialiste de géologie des carrières nous fait part de ses
appréhensions : “Malgré son état de conservation et de “sommeil”, l’ouverture du volcan de Aïn Témouchent a certainement grandi d’où les émanations sulfureuses.” Et d’ajouter : “La nature,
généralement tufacée et scoriacée des débris volcaniques qui le composent, indiquent qu’il a dû subir des dénudations faciles sous l’action des pluies.” Volubile, un spécialiste de volcans que
nous avons rencontré sur le site même est formel : “En 1896, il a été noté d’importantes coulées de laves émanées du volcan d’Aïn Témouchent. Celle-ci s‘était échappée de la base du cône de
Tzioua pour se diriger vers la mer. Les géologues de l’époque ont pu la suivre (la lave) sur une étendue de plus de 3 km. Mais au-delà, elle semble avoir disparu sous l’influence d’érosions
importantes, probablement contemporaines du changement de la vallée de l‘ouest Aïn Kihal qui prend, à partir de là jusqu’à son embouchure, le nom de Oued El Hallouf.”
Cependant, il est important de souligner l’étroite “parenté” qui existe entre les laves d’Aïn Témouchent et celles du Vésuve. Ces dernières sont en effet, caractérisées par le rôle que joue, dans
leur composition, “un minéral appelé leucite et qui apparaît souvent à l’œil nu, sous sa forme de cristaux à contours plus ou moins arrondis”, nous explique-t-on. La nature du soufre donne donc
au volcan d’Aïn Témouchent et de ses environs un intérêt tout particulier. Les volcans leucitiques, en effet, sans être d’une extrême rareté, ne sont pas très répandus. ”Quoi qu’il en soit, leur
composition minéralogique les rapproche de laves du Vésuve, ce qui implique une composition dans la consolidation d’une éventuelle formation de magma”, nous apprend-on d’autre part. Notre
accompagnateur explique : ”Etes-vous allé dans une serre ? Il y fait une chaleur étouffante. Le rayonnement solaire qui y pénètre provoque un réchauffement du sol, lequel dégage des
infrarouges.
Dans le volcan de Aïn Témouchent le soufre agit exactement comme le verre des serres, il fait monter la température du volcan, avec des résultats encore incertains, dont la perturbation du climat
environnant du plateau volcanique de Aïn Témouchent et la fonte exagérée des calottes leucitiques entraînant une montée du soufre au niveau du cratère, qui engloutirait des superficies
importantes aujourd’hui émergées…
“Il ne se passera peut-être pas grand-chose, car nous pouvons nous tromper sur l’origine des émanations sulfureuses. Mais à mon avis ce sera plutôt inquiétant”, confiait notre accompagnateur.
Selon l’hypothèse formulée par un géophysicien, les émanations de soufre, sous l’effet des frottements avec les gaz du cratère s’émietteront, s’échaufferont à des milliers de degrés et
exploseront plus ou mois violemment. Vérifier cet enchaînement sera déjà une occasion propice pour les chercheurs qui voudront savoir si les émanations sulfureuses forment des nuages, des
anneaux… Car les quantités de soufre relâchées du volcan de Aïn Témouchent prennent des proportions impressionnantes : en un siècle de 1898 à 1994, la concentration de ces émanations a
considérablement augmenté, alors que durant le millénaire précédent, elle n’avait augmenté que d’à peine 10 ppmv (parts par million en volume). “Une armada d’instruments doit être rassemblée pour
traquer les contrecoups du phénomène des émanations sulfureuses. Des engins d’observation puissants doivent être mobilisés, à l’instar de ceux du Vésuve et de l’Etna, et pourquoi pas prendre
attache avec le Pure” (1), préconisent les géologues.
En outre, la communauté scientifique nationale n’est pas unanime sur la définition des critères et les indicateurs de “gestion” du volcan de Aïn Témouchent et les moyens de contrôle et de
surveillance de ses émanations. Tout cela passionne les géologues, ils n’oublient pas une seconde que l’histoire des volcans est truffée d’”incidents”. Emanations de soufre ou leucites les
“chauffeurs” volcan d’Aïn Témouchent sont nombreux, “même si l’on en voit moins, aujourd’hui que dans le jeune âge du système terrien, il y a trois ou quatre milliards d’années”, nous
précise-t-on. “Regardez le cratère du volcan d’Aïn Témouchent, il n’est qu’à contempler son “visage”. Faute d’érosion par les pluies et les vents, il conserve tous les stigmates de ses mauvaises
concentrations sulfureuses à travers les âges. De quoi convaincre que les collisions souterraines, dans ce coin du pays, sont monnaie courante.”
Par son climat, par la composition de son sol, le plateau volcanique d’Aïn Témouchent est comparable à la campagne napolitaine si justement appréciée des agriculteurs italiens mais où se trouvent
réunis sur une étendue de quelques kilomètres seulement des volcans similaires du Vésuve et de l’Etna qui, eux, sont séparés par plus de 200 km... Mais pour le moment, le projet d’un dispositif
de surveillance de ces émanations sulfureuses paraît hors de portée politique, et probablement technique. Jusqu’à quand ?
(1) La stragégie du “Pure”
Parmi la multitude d’interventions financées par la Commission européenne au travers des gouvernements, des communautés locales et d’autres acteurs, citons le programme d’utilisation rationnelle
des écosystèmes (Pure) qui concrétise l’engagement de l’Union européenne.
Dans des pays faisant partie de l’Organisation de la Francophonie, le Pure collabore sur le terrain avec des ONG, des universités et de nombreux instituts de recherche européens et africains pour
développer une dynamique durable.
De cette stratégie, il résulte un développement de connaissances et de techniques appliquées en matière d’études géologiques et volcaniques.