14 Octobre 2015
Un des meilleurs atouts face à la sécheresse, c'est tout simplement une vraie gestion durable et responsable de l'eau...
#2 Un climat qui échappe à notre perception « humaine »...
Prendre conscience de l’existence du Climat, à l’échelle de notre planète, n’est pas une expérience possible avec seulement une perception humaine ; au sens de corporelle. Elle ne saurait donc être totalement intime à chacune et chacun d’entre nous. Il me parait en effet difficile de le ressentir seulement armé de ses cinq sens, aussi affinés soient-ils. A cette réalité incontestable, il incombe de nombreuses interrogations sur la nature même du concept "Climat". Elle nous interroge aussi sur son origine et surtout notre capacité à le percevoir objectivement.
Une expérience artificielle ?
Certes, un peu partout où des êtres humains sont encore connectés avec un milieu « naturel », plus ou moins « sauvage », ils développent encore de fabuleuses capacités à anticiper « humainement » le climat. Essentiellement grâce à l’observation empirique, ainsi qu’en développant un lien intime avec leur milieu à travers sa biodiversité ainsi que son climat ambiant. Certaines civilisations anciennes ont également développée une mémoire ancestrale du « temps qu’il fait » leur permettant de percevoir l’évolution climatique de leur monde. Les exemples qui peuvent confirmer une telle aptitude chez l’individu, une collectivité ou bien même une société sont trop nombreux pour les évoquer ici de manière exhaustive...
Ma grande tante Noura, par exemple, une rurale de l’Est Algérien, qui n’a jamais vraiment eut ni télévision, ni même électricité courante à disposition, est depuis toujours capable de me prédire presque infailliblement le temps qu’il fera à Guerbes (Skikda). Là où elle se trouve depuis 1962 ; date où elle mit fin à sa vie de nomade transhumante. Parfois, mais avec beaucoup moins de fiabilité, elle se risque à des prévisions météorologiques pour des régions relativement voisines à la sienne. Grâce aux vents, elle sent également quelle est la température dans certaines régions du Sahara. Et tout cela, souvent, sur quelques jours, voir une ou deux semaines.
J’ai rencontré beaucoup de douari algériens capables de prédire le temps avec une certaine précision locale, voire régionale et parfois même pour des wilayas assez éloignées. Mais jamais ils ne purent me prédire le temps qu’il faisait à Paris ou bien sur les terres désertiques du Pôle Nord au moment même de notre rencontre ! Cela est humainement impossible, il me semble. Ce ne peut être un hasard si une des questions les plus courantes que l’on adresse à quelqu’un qui vous parle au téléphone d’un pays étranger est : « quel temps fait-il chez vous ? »
Certes, aussi, beaucoup d’entre nous se souviennent que le climat de leur jeunesse a sensiblement changé. Moi, dans ma mémoire, persiste une époque où la Seine même avait gelée à certains endroits. Puis l’arrivée insolite des mouettes dans Paris, annonçant sûrement un changement du climat puisqu’elles s’y installèrent définitivement.
Il y a également des changements seulement relatifs à la perception que l’on peut avoir de la chaleur ou du froid ambiant, qui change avec l’âge. Ainsi un individu ne la ressentira pas de la même manière à ses 20 ans ou bien quand il atteindra l’âge mûr. Souvent nos souvenirs « climatiques » nous rappellent à celui d’un corps et des sens alors bien plus vigoureux qu’aujourd’hui.
Pour finir d’évoquer cette approche mémorielle du climat, j’aimerais prendre à présent le temps de vous raconter une anecdote. Car elle me parait fort évocatrice à ce propos. Un jour que j’interviewais un éminent chercheur algérien, Mohand Messaouden, directeur de l’INRF de Azzazga (Tizi Ouzou), ce dernier me confia qu’il put retrouver la date exacte de sa naissance en étudiant les sillons gravés sur une coupe de tronc d’arbre qu’il avait prélevé dans région natale. Il fut étonné de constater que celle inscrite sur sa pièce d’identité ne correspondait pas avec le climat que lui révélait l’écart entre chaque sillon qui s’était imprimé avec le temps dans la chair de cet arbre. En effet, plus ils sont écartés, et plus le climat aura été propice à leur développement. Dans le cas contraire, c’est qu’il a dû faire très froid. Or, en regardant le calendrier climatique de sa région, il apprit que l’année de sa naissance officielle a été relativement chaude. Tandis que sa mère lui a toujours dit qu’il neigeait plus que d’habitude quand elle le mit au monde. En retrouvant cet hiver exceptionnel sur la coupe d’un tronc de chêne de son village, il pût ainsi corriger cette erreur et gagner deux ans de vie...
Le climat du consommateur
Mais, n’est-ce pas en tant que consommateurs de masse que nous disposons des meilleurs indices pour envisager le climat mondial comme une interaction globale entre tous les climats terrestres ? A bien des égards, le Climat s’invite dans nos quotidiens. Nous sommes des consommateurs de ressources naturelles, et elles proviennent à présent des quatre coins du marché international. L’influence du climat mondial sur cette sphère, notamment sur le court ainsi que la disponibilité des produits consommables est peut-être la relation la plus intime et quotidienne que nous entretenons avec un tel concept.
Nous sommes également de grands consommateurs de médias en tous genres. Dont certains ne sont pas nationaux. De ce fait, « la météo » publique s’est largement internationalisée. Sur le Web, il est assez facile de s’informer sur le climat de la plupart des points géographiques de notre planète ; et ce, parfois en temps réel. De nombreuses sources d’informations sur le sujet, et de nature très variées, occupent une place grandissante dans les médias du monde entier. Pour peu que l’on ait bien entendu d’un appareil et d’une connexion...Le Climat est également abordé avec une insistance croissante dans les programmes scolaires, la création artistique, mais aussi les discours politiques.
Les dérèglements de ce climat annoncés par le GIEC sont de surcroît attestés scientifiquement par cet organe mondial comme étant la conséquence la plus globale du système Monde basé sur la pétrochimie. C’est d’ailleurs le fondement même du discours politique qui s’est emparé de cette question ; en parlant tantôt de « réchauffement », de « changement(s) » et de plus en plus souvent de « dérèglements ». L’évolution de ce climat peut en effet signifier tant de choses, suggère autant d’interrogations et de remises à jours de nos conceptions personnelles et collectives des cycles qui font « la pluie et le beau temps » sur Terre. Il est capable aussi d’influer sur notre moral, inspirer nos arts et tant d’activités si vitales pour nos sociétés.
« Le climat », au sens global, est d’ailleurs une expression de moins en moins utilisée explicitement dans les discours officiels, qui reste cependant toujours rémanente dans la psyché des gens de ma génération. Elle s’est incrustée en nous par une induction forte, habile et progressive. C’est une idée qui défie totalement l’échelle de l’espace et du temps de l’être humain, en tant qu’individu. Dès lors qu’il est nu de tant d'outils outils de très haute pointe ainsi que démuni d’une formation scientifique au moins aussi éminente. Je pense pouvoir affirmer sans l'ombre d'un doute que ce n'est malheureusement pas le cas de millairds d'habitants de cette planète.
L’évolution de ce climat lance donc un défi sans commune mesure à ce que l’on appelle « l’homme moderne ». A la fois à son génie, mais aussi à son égo si enclin à la démesure. Autant, il me semble, qu’à l’aveuglement. Dans une mesure où l’issue de cette remise à jour climatique pourrait bien mener notre espèce soit à disparaitre, soit à prendre des airs de petit dieu sur Terre.
Gouverner global, agir local
Les enjeux de la COP21 sont-ils de ce fait vraiment perceptibles pour le plus quotidien des mortels? Pour les simples citoyens lambda que nous sommes, quels sont nos outils ainsi que les médias qui nous permettent d’accepter comme une évidence une problématique dont l’objet échappe totalement à notre perception sensorielle ?
La thématique des changements climatiques ne soulève-telle pas des questions qui ne peuvent être soumises à notre raison que par une adhésion totale ou suffisamment partielle ? Au consensus que la science et la politique semblent développer de concert depuis déjà quelques décennies. Pour animer et encadrer ce débat où la notion de gouvernance mondiale apparait régulièrement dans les discours officiels comme étant pour nos civilisations la seule issue d’adaptation possible face à ces « dérangements climatiques ». Qui ont été prédits par des modèles réalisés par le GIEC pour le compte de l’ONU.
Comment, dans la société civile de chaque nation, les militants ainsi que les médias indépendants qui tentent de l’informer avec objectivité, comment peuvent-ils espérer se placer correctement face à cette dialectique officielle sans fournir un petit effort d’analyse historienne ? Qui certes doit nous mener au possible vers une critique positive et non la réaction sans arguments. Une réflexion axée sur la volonté d’être au possible du côté de la synthèse et non de l’opposition catégorique ou de l’assentiment le plus naïf. C’est un devoir de fond qui doit nous éviter les dérives de la forme sans le fondement.
En étudiant de près la chronologie de cette « affaire » du climat, il parait évident que plusieurs dates émergent naturellement. Mais aussi que jamais science et politique n’ont été si collaboratives à chercher un consensus tolérable et soutenable par ces deux parties. Comme si le duo passé de l’Eglise et de la Monarchie avait changé, comme par l’alchimie d’un pouvoir Humain où Dieu aura été symboliquement exclu ; au nom de la science, des Lumières, de l’esprit moderne, de la Liberté.
Il est d’ailleurs, à ce propos, fort révélateur de constater que la première instance politique à avoir pris au sérieux la question du climat fut celle des Nations Unies. Une organisation mondiale dont les officines semblent avoir très vite compris tout l’intérêt d’un tel enjeu. Sous l’influence d’éminents climatologues dont Jules Charney, il y fut créé dès 1931 l’ICSU. C’est un bureau d’étude et de consultation sur les questions relatives au climat. En 1951, l’OMM, une organisation d’abord scientifique, intègre alors et officiellement l’ONU ; un an à peine après sa création. En toile de fond, le contexte d’extrême rivalité entre communisme soviétique et libéralisme américain incitera les Etats Unis à soutenir cette initiative, notamment par son influence géopolitique, ses fonds importants, mais aussi ses technologies de pointes ; dont une myriade de satellites semés dans l’espace à des fins d’abord militaires.
Dutant la deuxième guerre mondiale, et tout au long de la "guerre froide", de nombreux outils d’analyse météorologique en temps réel ont été développés. Car dans un conflit mondial, l’étude ou la maîtrise du climat sont des must-have de l’art de la guerre. Des myriades de sondes en tous genres furent envoyées aux quatre coins du globe où un intérêt stratégique militaire était en jeu. Mais, il restait à pouvoir traiter à grande vitesse toutes ces informations qui ne pouvaient livrer leur véritable secret qu’avec une vision globale générés par de complexes algorithmes gérés à la vitesse dépassant la capacité actuelle du cerveau humain.
John Von Neumann sera l’homme qui proposera de relever ce défi d’Atlas. Il avait conçu, dès 1947, un ordinateur, « Johnniac », dont il voulait éprouver les formidables capacités de calcul et donc de traitement de l’information. En 1957, Jules Charney et son équipe sont en mesure de fournir des prédictions très précises pour l’ensemble du territoire des Etats Unis ; grâce à cet ordinateur. John Von Neumann, lui, n’hésitera pas à faire miroiter aux militaires américains que les résultats de ces calculs pourront aboutir à l’invention de nombreuses armes climatiques. Il fut alors, apparemment, fort peu question d’étudier ou de s’intéresser aux changements climatiques ; ni même à l’effet de serre qui fut évoqué dès 1896 dans un article du chercheur Arrhenius. Non, il était alors surtout question de contrôler, de maîtriser le climat...
Il faudra bien attendre les années soixante-dix ou la fin des années soixante, pour que l’opinion publique mondiale, ainsi que celles des autres nations, ne s’invite dans cette première rencontre entre l’intelligence artificielle et la météorologie qui bouleversera totalement notre vision de l’atmosphère et du climat. Mais aussi de la formidable opportunité de puissance que pourrait développer l’intelligence des ordinateurs. Une prise de conscience encadrée dès son origine par l’armée américaine ainsi qu’officialisée par l’ONU...
Mais c’est une autre histoire...
Nb: Parmi mes sources historiques, la plus récurente est l'ouvrage de référence:
"Gouverner le Climat?"
(20 ans de négociations internationales)
Editions Science.Po Presse
A suivre...