8 Août 2014
Et si on parlait plutôt d'économie responsable ?
La nouvelle législation environnementale, statuée en 2003, a abrogée celle de 1983. Afin d’inclure, notamment, la notion de développement durable comme une des valeurs fondatrices de la nouvelle politique environnementale de notre jeune nation.
Onze ans après, il serait fort démagogique de considérer qu’en Algérie cette mesure a été un premier pas vraiment sincère vers la nouvelle modernité imposée par ce début de siècle et de millénaire. Le 21ème siècle sera écologique ou ne sera pas. Après plus de deux cent ans de révolution industrielle, le constat est sans appel : ce système n’est plus soutenable, ni pour la planète, ni pour les milliards de laissés pour compte de ce Darwinisme social . Qui, aux quatre coins du monde, tentent de survivre à cet ogre invisible qui a mis dans quelques mains égoïstes la plus grande partie des richesses et des ressources naturelles mondiales.
Il me semble que la principale défaillance dans cette volonté de dévellopement écologique, certes fort louable sur le principe, est que l’on ne s’est pas attelé ni a définir ce que devrait être développement vraiment durable en Algérie, ni, encore moins, à sensibiliser les dirigeants de ce pays sur le caractère quasi suicidaire qu’il y aurait à considérer cette conception comme un vulgaire effet de mode. Un régime qui pourrait se satisfaire de quelques vitrines « pilotes », histoire de faire bonne figue, alors qu'il s'agit d'agir pour le bien de tout un peuple, de sa descendance.
Le citoyen, dans le contexte de la société algérienne très politiquement paternaliste, ne pourra trouver au quotidien les moyens de cette évolution écologique salutaire; si l’état ne lui en procure pas l’environnement économique et social. Il serait utopique de croire qu’il pourrait en être autrement dans ce pays.
Se développer durablement, ne doit pas signifier croitre en continu, indéfiniment. Cela n’est d’ailleurs pas possible dans un espace fini dont la majorité des ressources naturelles n’est renouvelable qu’à l’échelle des siècles et des millénaires. Il ne s’agit pas de maquiller sémantiquement une incapacité à concevoir le développement autrement qu’industriel et capitaliste. Construire, déconstuire, puis reconstuire, on n'a jamais vu ailleurs plus que chez nous le mythe de Sisyphe trouver sa logique dans une réalité économique.
On devrait plutôt aspirer à se développer pour durer et non seulement faire durer un développement suicidaire. Répondre avec créativité aux défis imposés par notre environnement; et non lui imposer des règles humaines arbitraires rarement compatibles avec l’équilibre universel en vigueur depuis que ce monde est monde. Recycler systématiquement plutôt qu'extraire indéfiniment ; car cela coûte moins d'énergie et impacte moins sur l'environnement, par exemple...
Construire pour durer, non plus pour obtenir dans quelques années la reconstruction du même projet conçu à la base pour être très vite obsolète. Moins de mines, d'usines d'incinération plus de ruches de recyclages, de centres de formation. Ce serait déjà un bon début...
Le développement durable, si le concept est résolument universaliste, ne peut être pertinent à l’échelle locale s’il n’est pas un tant soit peu endémique. Car il s’agit bien de poser les bases d’un développement soutenable en Algérie autant au regard de l’économie, de l’environnement que d’un point de vue social. Toutes ces particules d’un même atome ne sont pas forcement en miroir avec la réalité des sociétés hyper matérialistes et industrielles actuelles. Alger n’est pas Paris, ni New York, ni Tokyo. L’Algérie c’est un climat et une société qui sont le fruit d’une position géographique et d’un parcours historique bien particuliers. Il faut certes vivre avec son temps et son époque, mais cela ne veut pas dire pour autant se laisser dénaturer par eux…
La dégradation de l’environnement algérien est avant tout à incomber à une défaillance d’économie, au sens même d'éthique, qui a provoqué un avilissement de toute une société. Il ne s’agit pas d’une maladie, mais bien du symptôme le plus flagrant d’un profond malaise qui, lui, persiste à durer et à empirer les choses dans tous les secteurs vitaux du développement algérien.
Pour être innovant et pertinent, en Algérie, il faudrait redéfinir même la notion d’économie et ne plus en fragmenter les composantes en séparant l’environnement de la nécessité d’un bien-être social et d'une bonne santé économique. Il faudrait même, à mon humble avis, parler d’économie responsable , d’une gestion de la Maison, collective, à la société des êtres humains, capable de durer en évoluant dans l’espace et le temps.
Le développement n’est qu’un outil, pas une finalité. Une économie durable ne peut être que responsable vis-à-vis de tout ce qui nous entoure et nous influence. Elle est condamnée, si elle veut survivre, à s’adapter à la nature et non de croire que le contraire est possible. L’Evolution a toujours donné raison aux espèces capables d’adaptation face à un environnement sans cesse changeant et capricieux. La force, n’est pas un critère judicieux pour durer, sinon les dinosaures n’auraient pas été supplantés par les petits mammifères que nous étions; alors capables de survivre à un gigantesque cataclysme naturel.
Tout n'est pas seulement une affaire d’efficacité énergétique, de sobriété, mais de responsabilité; de ne pas rompre le pacte "gagnant- gagnant" érigé entre la Terre et tous les êtres vivants qui la peuplent et ne peuvent se développer sans évoluer au gré de ses régles. Prenons pour exemple le cas devenu très célèbre de cet acacia, un arbre épineux, qui est capable d’empoisonner toute une colonie de fourmis dès lors qu’elle ne respecte pas le contrat établi tacitement entre eux : « Je vous fourni un habitat sain et protecteur, vous me protégez de tous mes prédateurs. Vous ne prendrez jamais plus que votre part des ressources que je mettrais à votre disposition… »
L’Homme est devenu au fil des millénaires, un antagoniste qui a certes su s’imposer comme le plus influant sur l’environnement des autres espèces. En se développant au fil d’un algorithme fondateur, la croissance continue, l’Humanité a pris à présent plus que sa part, mange à tous les râteliers de la biodiversité, se sent la légitimité même de décider qui de telles ou telles espèce vivante a le droit d’exister ou non. Voici donc l’être humain, passé de régulateur ultime (chasseur –cueilleur) à celui de perturbateur principal de la Nature (Agriculteur, éleveur industriel). Voilà ce dont la révolution industrielle a principalement accouché.
La nouvelle modernité doit s’atteler à rétablir un équilibre plus sain entre nous et tout ce qui nous entoure et nous influence. La Bienveillance, voilà l’ingrédient magique qui manque à cette sauce écologique qui tarde à prendre dans notre pays. Veiller au Bien de tous et toutes, pas seulement à celui de sa tribu. Considérer la nature non comme un concurrent ou bien seulement un produit, mais s'en faire un partenaire. C’est ce que devrait comprendre le cultivateur de pastèques à chaque fois qu’il abat un arbre , juste pour gagner quelques mètres carrés cultivables. Ces derniers participent à l’enrichissement du sol qu’il exploite, et cela autant en y attirant eau, animaux et insectes, en fertilisant avec ses déchets la terre que l’agriculteur a le devoir de transmettre à sa descendance. Pour assurer ainsi une sécurité alimentaire à tout un pays.
L’économie, ou évolution responsable, doit partir d’un postulat qui a été un des fondements de la philosophie environnementale de nos anciens : il faut toujours laisser sa part à l’oiseau sur l’arbre que l’on a planté pour en récolter les fruits. Non pas seulement par éthique, mais surtout parce que cet animal et tous ceux qui se nourrissent comme nous des mannes dispensées par la nature jouent un rôle essentiel dans l’équilibre de ces êtres végétaux. Dans la formidable équation de l’univers, aucun élément n’est négligeable. Un grain de poussière peut provoquer la pire des pannes dans cet écosystème en perpétuel évolution.
Il ne faut pas s’opposer systématiquement au développement économique quand on aime la nature. Il faudrait juste ne jamais oublier de veiller à le définir toujours dans le contexte le plus responsable et pertinent à son égard.
Par exemple, en ce qui concerne l’Algérie, ce développement n’est pas soutenable parce qu’il a surtout été d’ordre matériel. L'environnement de la société algérienne, lui, n’a pas été vraiment mis en chantier. Il n’est pas prompt à favoriser le développement d’un épanouissement social suffisant pour apprécier à leurs justes valeurs les infrastructures construites à grands coup de milliards de pétrodollars. Le développement de la ressource humaine a été négligé au plus haut point; la médiocirté, le mépris des lois ainsi que le vandalisme conscient ou subconscient ont pris le pas sur toute autre forme moralité.
Construire plus de routes, plus d’immeubles, plus de ceci ou de cela. Pourquoi pas… Mais pas pour les offrir en pâture à une société civile qui n’a pas eu les moyens d’en faire usage avec responsabilité. Cela parce qu’elle a été conditionnée dans sa majorité à voir l’intérêt publique comme une utopie, un vestige d’un socialisme à l’algérienne à présent plus qu’anachronique pour biens des intellectuels algériens.
Dans un tel environnement, plantez des arbres dans un espace public et, dès lors qu’ils contrarieront un intérêt privé, ils seront détruits à petits ou à grand feux. Semer des poubelles un peu partout à travers la ville ? Mais jeter un déchet sur la place publique, quand on analyse la nature de ce geste en Algérie, on réalise justement que c’est le seul acte de rébellion qui existe , pour beaucoup trop d’entre nous. Non... ces poubelles seront elles aussi mises à rude épreuve. Puis, elles disparaîtront...
Un « J’me fous… » cependant plus qu’irresponsable et suicidaire, puisque c’est le citoyen qui vit dans ces espaces publiques, pas ceux qui ont généré cette indignation. Cela reviendrait au cas d'un enfant qui ferait dans sa couche en attendant, souvent sans espoir, qu’on la lui change; alors qu’il est déjà en âge d’apprendre à faire dans le pot.
L’urgence écologique est avant tout celle d’une transition d’Economie. Elle réclame avant toute chose une évolution des mentalités pour se guérir du cancer de la dégradation, au sens systémique, non pas seulement d'actions isolées; se limitant à panser les plaies déjà creusées dans l’intégrité de l’environnement intime, local et national de l'Algérie. Activer pour un meilleur environnement en Algérie, cela relève forcement d’une aspiration à voir cette économie responsable mise en pratique dans notre pays avec le plus sincère des patriotismes.
Tous les secteurs d'activités sont concernés et ils sont d’ailleurs autant de voies vers une autre façon de faire des bénéfices pour les Algériennes et les Algériens qui en pendront conscience. Je n’évoque pas ici, en ombre de chine, le concept de l’économie verte, parce que c’est aussi un euphémisme pour continuer de parler de croissance capitaliste continue. Je parle tout simplement de choisir toujours la solution la moins énergivore, la plus sobre en eau et en ressource naturelles pour atteindre le meilleur bénéfice de bien-être le plus collectif possible. Celui des humains et du reste de la vie sur Terre.
La construction, l’énergie, l’agriculture, la technologie, la culture, tous ces domaines et bien d’autres encore doivent être considérés comme parties intégrantes de la même économie fondée sur la responsabilité. Produire pour vivre et non vivre pour produire. Il en va encore plus de même quand il s'agit de consommer. Toujours choisir d’optimiser les bienfaits de la nature avec un soucis constant de ne pas perturber tout ce qui nous entoure et donc, nous influence.
Sans matière grise, pas de matières premières exploitées raisonnablement. Ne plus seulement développer, mais se développer. Il est question de travailler à mieux exploiter cette formidable ressource humaine que représente une population majoritairement jeune. Il est temps de former, de rapatrier les cerveaux, d’offrir à ce pays un cadre de vie apte à favoriser une évolution pacifique plus qu’à couver une révolution; à force de frustrer toute une jeunesse de tous ces droits naturels à vivre avec son temps.
Les milliards doivent à présent servir à éduquer, former, responsabiliser le peuple algérien et ses gouvernants; pour accéder à une modernité qui n’est pas celle du passé mais bien l'aube d’un monde nouveau. Il doit annoncer le crépuscule du "Nouveau Monde" érigé depuis 1492 par les armes et la spoliation systématique des plus faibles par le plus fort, ou le moins doté de conscience morale...C'est ce dévellopement du pire qui ne devrait plus autant durer dans notre pays...