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Nouara Algérie

ECOLOGIE ET ENVIRONNEMENT EN ALGERIE (Une revue de web de plus de 4500 articles )

Dar, Douar, Dénia...Ou les potentiels fondamentaux d'une maana écologique algérienne moderne

Nouara, épouse de mon héros, est le dernier lien vivant  qui me reste avec une certaine Algérie qui m'aura autant fait grandir que mon Paris natal.

Nouara, épouse de mon héros, est le dernier lien vivant qui me reste avec une certaine Algérie qui m'aura autant fait grandir que mon Paris natal.

Chapitre 12

Un Monsieur tout le monde  pas comme les autres... 

 

 

Je ne sais que très peu de choses, à vrai dire, sur l’enfance de mon tout premier héros algérien. Lui qui,  alors âgé de soixante-dix ans environ, aura été  un des adultes les plus admirablement  influents sur la mienne...

Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de l’interroger personnellement à ce propos. J’étais beaucoup trop jeune à l’époque où, chaque été, je quittais les bancs de l’école parisienne,  afin de rejoindre la sienne.  Celle de la vie au  naturel,  au grand air libre,dans  le douar qu’il avait fondé en 1962, en pleine région de la baie de Guerbes. C’était une campagne de la wilaya de Skikda  qui était  encore fort sauvage;  toute forme de confort moderne y  était  encore plus inexistante que partout ailleurs où je m’étais  jusque là rendu en Algérie.   

Adolescent, je  pense que je le  voyais comme s’il avait toujours été ce vieillard rayonnant de toutes les forces et l’intelligence de la  vraie nature algérienne. C’est étrange à dire, mais je n’arrivais pas à imaginer qu’il puisse avoir été autrement que tel que je le connaissait depuis toujours.  Il me paraissait presque éternel ; si bien que, plus tard,  je n’ai pas su prendre   le temps  de lui rendre  aussi souvent  visite que dans les premiers temps. Avant qu’il ne s’éteigne comme un vieux chef indien,  qui n’aura été terrassé par aucun fusil, mais bien par les microbes ainsi que  la pollution importés dans son environnement ;  par un corps  ainsi qu’un esprit étranger à ses coutumes, comme à son milieu naturel. 

Ce que je  peux vous dire de sa mort, paix à son âme, je le tiens  avant tout de récits de ses proches;  et,  dans la pure tradition des héros, même  de ceux qui nous sont les plus intimes, elle est entourée de nombreux faits extraordinaires. Je ne pourrais vous relater ici tout ce qui se passa lors de la nuit où il rendit l’âme, car c’est surtout  le résumé de sa vie qui va occuper les prochaines pages de ce dossier dédié à l’écologie algérienne des temps modernes.  Il vous faudra patienter  d’autres lignes, d’autres pages, pour en lire la narration.

Ce que je peux vous affirmer dès à présent, c’est que  beaucoup de gens, hommes et femmes, parents, amis, partenaires d’affaire, virent lui rendre  un dernier hommage lors de ses funérailles. Ils venaient des quatre coins de la région de Skikda, et même pour certains de l’Est de l’Algérie. C’est dire à quel point il était considéré comme un homme sage, courageux, intrépide, inventif,  généreux et doté d’une parole qu’il n’aurait trahie pour rien au monde.  Pour moi, enfant, c’était cela être vraiment  un Algérien! Cela n’avait au fond pas grand-chose avec la naissance, mais surtout une certaine manière d’aborder son destin, celui d’autrui, ainsi que l’existence  qui nous entoure et nous influence, el dénia.

Les aléas et bonnes fortunes de ma vie, mais aussi l’actualité sanguinaire qui fit rage en Algérie dès la fin des années quatre-vingt du vingtième siècle,  autant que ma passion pour la musique,  tout cela m’aura détourné un peu le regard de mon pays d’origine; mais jamais le coeur. Je me suis éloigné peu à peu de lui tout en me sentant toujours très proche de mon douar. Pendant trop longtemps cependant ; au point que je regrette amèrement de n’avoir pas  passé plus de temps avec mon vieux mentor et grand père adoptif, lors de ses derniers jours en ce bas monde. En tous, cas, je peux le dire, avec son trépas, c’est toute la magie de son douar qui sembla  s’écrouler autour de moi.  Plus jamais Guerbes n’eut la même saveur de noblesse ainsi que d’authenticité que je lui connaissait de son vivant. Elle  était  à présent orpheline, avec la perte d’un tel homme, de son plus sûr gardien.

Plus jeune,  la plus belle chose à vivre sur Terre, pour moi, c’était tout simplement de  partager son quotidien.  Ainsi que de me perdre dans  les maquis de  cette campagne en bordure  de mer où lui naviguait comme un véritable  poisson dans l’eau. Je me souviens que beaucoup d’enfants algériens de mon âge  trouvaient cette passion un peu exagérée et, je sais que nombre d’entre eux auraient donné n’importe quoi pour vivre dans cette grande ville qu’est Paris et que personnellement j’étais ravi de quitter pour vivre pleinement toute les joies d’être un enfant libre, autonome, en plein nature et parmi sa tribu d’adoption.  

Pendant trois mois,  qui n’étaient jamais assez  trop long à mon goût, je m’immergeais dans une toute autre réalité que celle où j’avais vu le jour. Une autre poésie, et même une raison différente, mais tout aussi cohérente, une fois que l’on en connaissait et appliquait les principes fondamentaux. Ici, et durant une dizaine d’étés consécutifs, je retrouvais  ce grand oncle par une vague alliance, que je considérais pourtant comme le grand père que je n’avais jamais eu, et que j’avais  depuis toujours rêvé d‘avoir.  Mais c’était surtout un mentor, pour moi, sans qu’il ne soit jamais mentionné cet état de fait entre lui et moi. C’était  un pacte tacite entre nous.

Et puis je pense qu’il devait être curieux, lui-même, de fréquenter un petit parisien capable de parler sa langue. Enfin, je l’ai longtemps baragouinée et  il parlait le plus souvent  un dérija très local et ancien. Je lui racontais mon monde, celui de la modernité occidentale, et lui il m’apprenait à vivre le sien, un savant mélange de tradition ainsi que d’une débrouille  toute naturelle aux gens des pays que l’on qualifiait encore de Tiers Monde. Il vivait sobrement, lui qui disposait d’une fortune assez conséquente pour un fellah de sa région ainsi que sa condition. Il me disait souvent qu’il n’avait que deux sources de bonheur dans la vie : la terre et le troupeau. Pour lui, l’argent n’était qu’un moyen de maintenir un mode vie  des plus frugal sans en éprouver la précarité. Rien de plus, rien de moins.Ses enfants lui en tinrent  d'ailleurs beaucoup rigeur,  de ce que je sache, car,  pour eux, qui ne paratageaient pas ses passions, cette sobriété n'avait rien d'heureuse...Elle les coupaient d'un monde dont il avaient la soif de l'ivrogne naissant!

Je ne remercierais jamais assez la Providence de m’avoir fait un si beau présent, je veux dire de m’avoir offert l’opportunité de me choisir un tel grand-père. Je pense que tout ce que j’aurais pu tenter d’accomplir, ces dernières années, dans mon pays d’origine, est une sorte d’hommage à ce monsieur tout le monde algérien  qui ne ressemblait pas cependant à bien des Algériens que je pouvais côtoyer dans les années quatre-vingt,  lors de mes retour annuels au pays.

Ce berger  algérien, né nomade, fils d’une tribu de Biskra exilée  sur les terres de Oued Zenati, qui  choisit un jour  de se sédentariser, il aura ancré en ma personne la plus intime certaines valeurs et idéaux que je ne pourrais jamais considérer comme obsolètes. Comme je suis loin  certes de les incarner à la mesure d’un tel homme ;  et comme j’ai souvent idéalisé cette nature qui me plaisait tant en lui...

Mais, ce qui compte, c’est qu’elle  existe encore dans une partie de moi, et je l’espère de chacune et chacun d’entre vous.  Un peu à la manière d’une vieille lampe à huile,  oubliée dans un coin d’un grenier,  qui n’attend que notre sagacité d’esprit, ou bien un heureux hasard pour qu’on lui trouve à nouveau une utilité contemporaine .Pour ma part, le génie de cette lampe magique, il ressemblait plutôt à un survivant de temps modernes qui doivent   aujourd’hui  nous paraitre totalement dépassés. Il n’avait rien d’un Djinn, c’était un simple Homme, mais  au sens le plus souvent noble du terme. Enfant de cette génération qui fera tampon entre l’Algérie d’Hier et celle que nous voyons se muter sous nos yeux sans chercher à lui rendre sa vraie modernité locale.

Beaucoup de ce qui nous  encore aujourd’hui de cette Algérie confisquée, je pense que nous le devons essentiellement  à l’enseignement  prodigué de la manière la plus naturelle possible par ces livres humains,  qui ne se lisent pas sur des pages, mais les lèvres de leurs propres auteurs et acteurs. Ils  se racontent  au grès de leurs  faits et gestes,  de quotidiens ou de moments  extraordinaires. De telles  petites  histoires humaine s’ouvrent   toujours sur  un premier souffle et se referment  forcement par une ultime expiration. Pour moi, et je pense beaucoup de gens de ma génération, c’est dans cette histoire populaire informelle  qu’il faut chercher bien des clefs de notre avenir environnemental ; la morale de notre Histoire, de notre Siècle algérien, et puis, bien entendu, comprendre celui qui anime l’ensemble du Monde, qui doit réapprendre la symbiose avec sa planète hôte et non mère.

Mais, d’un autre côté, je pense que l’exemple de mon héros, et donc  également de la tragédie de sa vie,  est assez révélatrice de ce que cette génération n’aura pas toujours su, ou n’aura pas eu les moyens de semer dans l’âme ainsi que  l’esprit de celle qui leur survivront. Il faut dire, à leur décharge, et nul ne peut l’ignorer, qu’ils vécurent une période fort périlleuse, où la moindre erreur pouvait  s’avérer  fatale. Et puis, cela ne datait pas d’hier, la vie de nomade, ou de transhumant que Chaïb El Haidi et de tant de ses pairs contemporains subirent était souvent très rude autant que régulièrement dangereuse. C’était une époque qui avait à bien des égards des allures de Western algérien, où la force  des uns ne pouvait être compensée que par la solidarité des autres.

Ce  prospère berger et fellah qui avait toujours cependant des allures de sublime bohémien, m’a initié  à une toute autre éducation que celle qui m’aura été dispensée dans le pays étranger  et « ultra moderne » où je suis né. Certes, elle était essentiellement basée sur une science empirique, orale, parfois même un peu naïve. Mais elle était le plu souvent exacte, du moins dans l’environnement où nous évoluions.  Elle aurait pu paraitre archaïque à bien des jeunes  Algériens des années 2000. Pourtant, j’ai toujours considéré cet enseignement comme un  précieux héritage, le début d’une initiation qui devra me porter aux quatre coins de notre pays.

Tout ce que j’ai pu apprendre en compagnie de  ce vénérable paysan  posa les fondations, bien plus tard, de mon envie de parfaire  un  enseignement   qu’il m’avait prodigué  lors de moments privilégiés.  Où j’ai pu m’entretenir avec lui, l’observer agir ; mais aussi entendre sa poésie, sa musique et même apprécier parfois son art martial dont il faisait très rarement usage. Toujours en maniant sa canne,  comme les mots,   avec une foudroyante efficacité et sobriété.  

Pourtant, aujourd’hui, après sa mort, son douar est en pleine déperdition ; elle n’est pas que physique. Cet aspect n’est que le symptôme d’une maladie morale qui a affectée bien des enfants des Algériens de cette génération. D’une certaine manière, elle avait déjà commencé  à venir à bout de nos anciens. El Haidi commis autant d’erreurs, à mon sens, qu’il savait très souvent agir avec beaucoup de bon sens. Mais il ne sut ni intégrer notre mode, ni faire en sorte d’armer ses enfants contre ses dérives. Il préféra l’ignorer presque, et c’est pour cela que ce dernier vint jusqu’à lui et sema la zizanie dans sa famille. Un mode d’images tronquées,  de convoitises  avérées, d’apparences trompeuses ainsi que de vitesses et de quantités astronomiques. Il avait pourtant à bien  des égards compris notre époque, mais,   je pense qu’il sous estima l’importance de l’instruction pour affronter les complexités de cette dernière...

Mais, parce que son histoire est exemplaire dans le meilleur comme dans le moins bon  et parfois même le pire de ce qu’il aura pu accomplir dans sa vie, El Haidi restera pour moi un héros que j’aimerais vous apprendre à connaitre, au fur et à mesure que mes souvenirs le concernant resurgiront. Comme le thème principal de ce dossier n’est pas de faire en détail une telle biographie, je ne pourrais malheureusement   l’évoquer ici qu’en substance. Le but de cette digression étant surtout de vous inviter à vous  plonger   dans  vos propres souvenirs d’enfants ; afin de rallumer cette lampe magique qui vous aura tant fait rêvé quand vous étiez alors si innocents de tout ce qui vous rend si alertes les uns vis-à-vis des autres...

 

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